Maintenant qu’on a eu un peu le temps de digérer le dernier petit chef-d’oeuvre de Kendrick Lamar, DAMN., on a eu envie de se plonger un peu plus dans sa genèse, sa création, son making of. Et qui de mieux placés que les différents producteurs de l’album pour en parler ? Pour vous éviter des heures de digging dans les entrailles du web, nous avons ici regroupé en un seul et même lieu les récentes interviews des Sounwave, DJ Dahi et autres Steve Lacy (pour ne citer qu’eux) accordées aux médias américains. De quoi s’introduire dans les coulisses d’un studio d’enregistrement comme si vous y étiez…
Crédité sur pas moins de huit chansons sur DAMN., Sounwave est l’un des producteurs les plus fidèles de Kendrick Lamar depuis des années. Il fut ainsi l’un des mieux placés pour expliquer à The FADER le processus global ainsi que les conditions d’enregistrement de l’album : « Une fois que Kendrick avait fini toute la partie brainstorming et que nous savions réellement dans quelle direction nous allions, nous avons bloqué le studio pour des mois. Nous n’en sommes jamais partis. Il y avait littéralement des sacs de couchage dans le studio. Chaque producteur présent sur ce projet a réellement dû dormir dans le studio. Nous n’en sommes pas partis jusqu’à ce que le son soit parfait selon nous ».
Sounwave révèle également qu’il existe plusieurs versions de DAMN. : « Nous avons refait ce projet à plusieurs reprises, nous en avons différentes versions. Mais tant que nous n’avions pas ce petit frisson à la fin de la dernière chanson qui vous donne cette vibe que c’est la bonne, cela ne devait pas sortir. »
Sur DAMN., le hitmaker le plus chaud du moment Mike WiLL Made It marche sur l’eau. Le producteur d’Atlanta a tout simplement décroché les deux premiers singles de l’album, soit les énormissimes « Humble » et « DNA« . Il raconte ainsi au site NPR le making of de ces deux titres.
« Humble » : « J’ai fait ce beat l’année dernière quand Gucci Mane sortait de prison. Je l’ai fait avec lui à l’esprit. Je pensais juste ‘mince, Gucci est sur le point de rentrer à la maison, il doit y avoir quelque chose d’urgent prêt à retourner les radios' », se rappelle-t-il. « Finalement, je ne l’ai pas fait avec Gucci et je l’ai fait écouter à Kendrick. Je pensais que si Dot posait sur cette prod, ce serait la première fois qu’on l’entendrait sur quelque chose comme ça ».
« DNA » : « Kendrick est allé jusqu’au bout du track puis a commencé à rapper a capella. Il m’a dit : ‘je veux juste voir si tu peux mettre des drums autour de ça.’ J’ai répondu : ‘Bien sûr mec !’ Mais il tabassait tellement ! Ce mec rappait comme un fou. Imaginez-le juste rapper a cappella la seconde partie de ‘DNA’, et moi devoir construire un beat autour de ça. Je ne voulais pas que le beat ressemble à un boom-clap, boom-clap classique. Je voulais que cette m**** soit aussi folle que les rimes de Dot. Je voulais que cela sonne comme le chaos, comme s’il était en train de se battre contre le beat. »
Le chanteur et producteur anglais James Blake n’a certes pas eu une influence majeure sur l’album, mais il a néanmoins apporté sa contribution à l’un des morceaux les plus populaires : « Element ». Plutôt discret dans les médias, c’est Sounwave, co-producteur du titre, qui a finalement décrit pour lui sa participation : « La première version du morceau était un peu trop jazzy à notre goût. Elle avait un son four-on-the-floor (grosse caisse sur les temps forts) et cela ne nous convenait pas. La chanson était tout de même masterisée et prête à partir, mais on a fini par se dire : ‘attends une minute’. On s’est donc remis dessus, on a changé la batterie, on lui a donné un peu plus de rebond. Dès qu’on a fait ces ajustements, on a pensé ‘OK, celle-ci va être l’une des préférées des fans’. »
Toujours pas de British dans les parages ? Ça arrive : « James Blake est intervenu à la dernière seconde. Il envoie constamment des trucs à Kendrick, et il venait juste d’envoyer cette boucle de piano folle, au moment où on commençait à douter de la première version. Au final, on a incorporé son piano à la version originale, et c’est devenu ce qu’elle est aujourd’hui. »
À l’image de Sounwave, DJ Dahi fait également partie de la garde rapprochée de Kendrick Lamar depuis un bail. Pour le site SPIN, il s’est rappelé du background de cinq titres de DAMN. auxquels il a participé.
« YAH » : « Ce titre est issu d’une séance que nous avons faite à New York. C’était juste une jam session dans laquelle on a créé un tas de beats. Je prenais parfois le micro, je fredonnais des mélodies, et les autres réagissaient genre ‘Oh, j’aime bien cette partie’… Je me souviens de cette nuit-là, on s’est tous assis et on a écouté des albums. On a juste écouté de la musique. Et à un moment on s’est dit : ‘OK c’est ça qu’on veut. Et si on se faisait une petite jam session maintenant ?' »
« LOYALTY » : « Terrace Martin avait cette boucle, et l’a proposée à Kendrick, qui l’a kiffée. Il lui a demandé : ‘Yo, tu peux me faire un truc avec ça ?’ À la base, il avait cette loop, mais je crois qu’il l’a ensuite donnée à Sounwave, qui l’a découpée et en a fait un genre de pattern. Moi, je suis un batteur, donc j’ai juste ajouté quelques drums pour parfaire le tout. À ce moment-là, Kendrick disait déjà : ‘il faut qu’on ait Rihanna sur celle-ci. Cette chanson est faite pour Rihanna.’ Du coup, nous l’avons par la suite re-structuré afin que quand Rihanna débarque, ce soit le plus facile possible pour elle. »
« LUST » : « BADBADNOTGOOD avait envoyé Kendrick du son, et je savais que Sounwave avait commencé une démo à partir de quelques uns de ces trucs. Quand j’ai pu mettre la main dessus, il ne s’agissait encore que d’une simple boucle. Kendrick et moi avons alors juste discuté, en mode : ‘Yo, et si on essayait cela ? Et si on essayait ça?’… Kendrick a toujours un million d’idées lorsqu’il s’agit de musique. On était juste dans une pièce à dire ‘oh, essayons ceci » ou « oh, faisons ça.' »
« XXX » : « Au départ, il avait commencé ce morceau avec Mike Will, il tenait la structure de base, mais il souhaitait ajouter davantage d’énergie et de vibe. Quand je suis arrivé pour bosser dessus, j’étais là : ‘oh, ça tue, mais je ne sais pas, je sens que je dois le terminer et ajouter quelques trucs.’ J’interviens donc dans la deuxième partie du morceau. Je l’ai simplement transformé à l’aide de tout ce qui pouvait lui donner une énergie plus agressive qui, je pense, représente bien ce dont Kendrick parle, cette vibe de ‘je n’ai aucune sorte de pitié.' »
« GOD » : « C’est juste le mot que Kendrick employait le plus souvent en fredonnant le refrain, tout en marchant dans le studio :’This what God feel like / Laughin’ to the bank like a-ha’. Il le faisait sur différents types de beats. Il s’agissait donc simplement de créer une prod qui correspondait à cette chanson, vous voyez ? C’était le genre d’idée qu’il n’a cessé de peaufiner pendant des semaines entières. »
Un autre habitué des projets de Kendrick Lamar. Néanmoins, le génial musicien Terrace Martin n’est cette fois-ci crédité « que » sur un seul morceau, « Loyalty », sur lequel figure Rihanna. Il a raconté à Complex sa propre version des faits : « J’étais à ce moment en train de travailler sur davantage de projets que d’habitude. Je bossais sur l’album de Polly Seeds (un groupe signé sur son label, Sounds of Crenshaw), puis sur le mien. 9th Wonder et moi, on travaille en étroite collaboration sur tout ce que fait l’un et l’autre, donc un jour, 9th Wonder m’a envoyé un truc en me disant ‘yo, je veux que cette chanson soit pour Rapsody.’ J’ai lui ai alors demandé ‘qui a fait ce beat ?’ ‘Khrysis l’a produit’, me répondit-il. Et il y avait ce fameux sample de Bruno Mars sur ce beat. J’ai écouté le sample et je me suis dit ‘ce serait cool de faire quelque chose avec ça, c’est un joli petit sample. »
Terrace Martin poursuit : « je l’ai gardé de côté, mais je me disais que j’aimerais qu’il soit différent. Je l’ai donc pris, l’ai accéléré, et l’ai ralenti un million de fois. Je l’ai rejoué environ cinq fois, et j’ai continué à faire d’autres choses dessus. Ensuite, je l’ai amené à Kendrick et je lui ai dit ‘yo, j’ai une idée pour une chanson.’ Il a répondu : ‘Viens au studio.’ Dahi était aussi présent, et on a enregistré le morceau ce jour-là. Puis Sounwave est entré, il a fait ce qu’il sait faire. Au fur et à mesure, c’est devenu une sorte de fête créative : Dahi a joué avec, et on a continué de faire des allers-retours dessus, comme si on jouait au football ou comme ça. Ce fut un effort de groupe entre frères et honorables musiciens. »
Le petit génie de la bande. À à peine 18 ans, le bassiste du groupe The Internet est à l’origine du sublime morceau « Pride ». Lors d’une interview à la radio Beats 1, Steve Lacy est revenu sur les origines de cette collaboration de rêve : « j’ai rencontré Kendrick grâce à mon bon ami, DJ Dahi. On avait déjà fait de la musique ensemble, Dahi et moi. On s’est connu via un autre ami pour lequel j’écris actuellement, je ne dirai pas qui, je vous laisse la surprise… On était donc en train de créer des morceaux et j’avais écrit quelque chose pour son album, sur lequel il travaillait également. Un jour, Dahi m’appelle et me dit ‘mec, il faut que je t’emmène au studio avec Kendrick’. J’étais alors hyper excité, mais j’essayais de la jouer cool, pour ne pas trop me faire de fausses joies. »
Mais alors Steve, que s’est-il passé ensuite ? « Un mois ou plus passe, et je re-croise Dahi pour Halloween, puis on finit par se faire une nuit blanche, où l’on crée des beats sans s’arrêter. À la fin, il me demande : ‘tu fais quoi demain ?’ Je lui réponds ‘oh rien de spécial. Pourquoi ?’ Il me dit alors : ‘Kendrick a prévu une session demain, tu veux passer ?’ ‘Bien sûr mec ! À quelle heure, Ok cool.' »
La classe ! Vivement la suite : « je vais donc au studio le lendemain. Kendrick est là, toute la bande aussi. Je me promène dans la pièce et la première chose que Kendrick me dit, c’est : ‘j’ai déjà vu ta tête dans des clips !’ Alors je lui réponds ‘ouais, moi aussi mec !’ Et là toute la salle s’est mise à se marrer. C’est comme ça que j’ai brisé la glace. Au départ, j’étais juste perçu comme le petit frère de Dahi. »
C’est là que ça devient intéressant : « au début, on était juste en train de jammer, de créer des choses from scratch. Dahi programmait des drums en live, moi je jouais de la guitare, et Kendrick freestylait. Un moment, l’ambiance se calme un peu donc je sors ‘Yo ! Laisse moi te jouer quelques trucs !’ J’ai voulu tenter ma chance, je me disais que le pire qui puisse m’arriver est qu’il me dise non. Donc, je lui joue quelques trucs sur lesquels j’étais en train de bosser, des démos. Car quelques jours plus tôt, j’étais à une session avec une de ses amies qui est sur plusieurs de ses morceaux : Anna Wise. La chanson que j’ai faite pour Kendrick venait donc de cette session acoustique que j’avais enregistrée sur mon iPhone. J’avais montré à Anna Wise comment enregistrer ses voix, et elle avait donc enregistré cette idée sur mes accords de guitare acoustique et une petite boucle de batterie que j’avais faite. Ensuite, j’ai extrait sa voix et j’ai re-créé un beat autour de cela. »
Et voici l’épilogue : « donc, je joue à Kendrick la nouvelle version de ce track avec Anna Wise, et là Kendrick me tend direct son téléphone et me dit ‘yo, rentre ton numéro dans mon portable, j’ai besoin de ce truc.’ Je suis ensuite retourné en studio pour bosser sur d’autres trucs ainsi que sur cette chanson qu’il aimait vraiment beaucoup. Plus tard, je lui demande s’il va encore avoir besoin de moi en studio, et il me répond qu’il est en train de finir l’album. Je lui envoie un texto ‘Tracklist ?’ avec l’emoji des deux yeux. Il me répond ‘LOL, ‘Wasn’t There’ (le titre de la chanson à l’époque) est le track 7, plus connu aujourd’hui sous le nom de ‘PRIDE’. »
Comme en témoigne un tweet lui étant destiné en 2010, Kendrick Lamar a toujours été un grand admirateur du travail de 9th Wonder. Dès lors, il n’es pas si étonnant de voir son nom figurer sur la tracklist de DAMN., en l’occurence sur le dernier titre, « Duckworth ». 9th a accordé à Complex une interview dans laquelle il revient entre autres sur la genèse de ce morceau. « Rapsody (qui est signée sur son label Jamla) a d’abord fini sur To Pimp a Butterfly parce que les deux ont toujours été fans l’un de l’autre. Après cet épisode, Kendrick m’a dit : ‘il faut qu’on fasse quelque chose ensemble’. Du coup, une nuit, je lui ai joué une quinzaine dans son studio. Puis, l’été dernier, sorti de nulle part, il m’envoie un texto avec une courte vidéo de lui en train de jouer une partie de la chanson que vous connaissez aujourd’hui sous le nom de « Duckworth ». Et je savais qu’il s’agissait d’une de mes prods. »
9th Wonder raconte ensuite que plusieurs rappeurs ont passé leur tour sur ces beats : « ces beats-là (la prod de « Duckworth » est constituée de trois beats différents), je les avais déjà fait écouter à trois différentes personnes. Ces trois rappeurs les avaient choisis mais ne les avaient finalement jamais utilisés. Et je ne parle pas ici de rappeurs lambdas, mais de mecs que tout le monde connait, des superstars. Ils ne les ont jamais utilisés. »
Dommage pour eux… Le producteur revient ensuite sur le processus de fabrication du morceau : « une fois que Kendrick avaient fini de poser sa voix, j’ai dû retoucher la session moi-même, faire les drops que je voulais faire, etc. J’ai ensuite fait le mixage avec Khrysis, un autre producteur qui est avec moi sur le label Jamla. Big up à lui. »
Il évoque enfin l’incroyable histoire racontée par K-Dot sur le morceau (Top Dawg a failli tuer son père) : « quand j’ai eu l’occasion d’entendre la chanson en entier pour la première fois, je me suis dis ‘wow’. La première chose que j’ai demandée à Kendrick, c’est s’il s’agissait d’une histoire vraie. La réponse est oui. »
C’est l’un des invités surprises de l’album : Kendrick Lamar a choisi le vétéran et multi-tâches Kid Capri pour jouer le rôle de narrateur sur l’album. C’est donc lui qu’on entend notamment régulièrement crier le nouveau surnom de K-Dot, « Kung Fu Kenny ». Pour Mass Appeal, Capri raconte avec une modestie toute relative comment s’est déroulée cette collaboration : « Kendrick m’a contacté et m’a demandé de passer le voir. Il s’est assis et m’a expliqué ce qu’il faisait, quel genre d’album il faisait. Quand j’ai pensé à ajouter ma présence sur ce projet, cela faisait sens, c’était vraiment quelque chose que je voulais faire … C’est comme ça que ça s’est passé, il m’a appelé, je suis allé dans un studio à Manhattan, et on s’est mis au boulot. C’était en janvier ou février. Nous ne nous connaissions pas avant cela, je l’avais rencontré peut-être une ou deux fois dans différents endroits mais c’est tout. Logiquement, ce projet nous a beaucoup rapprochés.
« Cela témoigne de sa connaissance de ce qui est authentique », a-t-il déclaré en toute humilité. « Parfois, vous pouvez être pris par la popularité, mais la popularité ne fait parfois pas le job. C’est à ce moment-là que vous vous tournez vers la personne la plus authentique et qui sait ce qui satisfait le monde… Quand une personne travaille autant toutes ces années, comme je l’ai fait, vous ne pouvez que le respecter. »
Kid Capri laisse enfin entendre que Kendrick en a gardé sous le capot : « j’ai enregistré beaucoup, et ce que vous entendez sur l’album est seulement ce qu’il a choisi. Il a beaucoup d’autres choses que j’ai faites, et je pense qu’il va les utiliser plus tard. »
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