En 2022, en guise de clôture de son single clipé « Rap mag », Mairo scandait : « L’heure de mon avènement a sonné et ils ne pourront pas gâcher ça ». Si certains auraient pu qualifier cette annonce d’arrogante sur le papier, les autres se sont tus et ont constaté la traduction de paroles prémonitoires en une réalité patente grâce une année 2023 tonitruante pour le rappeur suisse, de son vrai nom Romai Tesfaldet. En effet, Mairo a étalé sa palette musicale tout au long d’une année productive en s’attelant à trois exercices différents : projet commun avec Slimka (Qui a volé le Soleil sorti le 17 mars 2023), EP solo (Omar Chappier sorti le 19 mai 2023) et enfin EP en collaboration avec Jeanjass en guise de producteur (et non de rappeur avec Déjeuner en paix sorti le 22 septembre 2023). Parmi ces 3 projets, c’est bien Omar Chappier qui a attiré l’oreille des auditeur·rice·s en raison du coté organique qui en émane ; au détriment de deux excellents projets collaboratifs qui cristallisent chacun à leur manière une fusion entre deux duos d’artiste mais qui, par essence, limite l’expression de la folie créative de Mairo. Omar Chappier semble faire office de bascule dans la carrière d’un rappeur trop jeune aux yeux du grand public. Pourtant, celui-ci n’a cessé de perfectionner son art dans l’ombre depuis de longues années pour enfin se révéler à la lumière, à laquelle il aspire dès l’introduction du projet : « Que les nuages s’écartent et laissent place au soleil » (La Mouche).
Le projet s’ouvre donc sur le morceau “La Mouche” sur lequel Mairo étale aussi bien son sens de la technique, du placement et des punchlines que sa maîtrise de la culture rap. De fait, la boucle de piano qui donne un côté menaçant voire presque lugubre au morceau n’est autre qu’un sample du morceau « Bienvenue au 6e chaudron » d’Ärsenik. Voilà toute l’ambition de l’approche musicale de Mairo : réussir à digérer dans ses instrumentales et dans son écriture des influences « old school » tout en restant moderne grâce à des flows actuels et des instrumentales au goût du jour.
Ainsi, cette éclatante culture traverse l’ensemble de son œuvre sans pour autant devenir une musique exclusivement destinée aux puristes. En témoigne sa capacité à mentionner ou à citer dans ses morceaux des artistes français matriciels dans sa construction en tant qu’artiste (Youssoupha, Lino, Les Sages Poètes de la Rue, Kery James, Booba), sans pour autant négliger une culture rap US (Nas, Najubes, Jhené Aiko), qu’il souhaite combiner pour offrir une proposition hybride. Il le déclarait d’ailleurs déjà en 2020 sur le morceau « La danse des Indiens », où l’auditeur serait : « comme à New York en VF ».
Toutefois, nombreux sont les artistes possédant un immense bagage musical ayant peinés à produire une musique qui leur est propre. Or, si Mairo a su se défaire de ce fléau, c’est qu’il profite d’une famille musicale aussi bien au sens propre qu’au sens figuré qui le comprend et l’aide à façonner son produit.
Tout d’abord, au sens figuré, Mairo est un des membres du célèbre collectif de rap suisse intitulé la SuperWak Clique. S’il est longtemps resté dans l’ombre de Slimka, Makala et de Di-meh qui ont explosé aux yeux du public français dès 2016, la diversité des membres du groupe et l’originalité de la proposition de chacun a mis en place un cadre favorable à un développement artistique sans concession. Par ailleurs, au sens propre, Mairo évolue en tandem avec le producteur Hopital, qui a produit l’ensemble de son premier projet 95 monde libre et qui demeure le producteur principal sur Omar Chappier. Or, Hôpital n’est autre que son propre frère ! Dès lors, la connexion entre les deux permet de produire une musique au plus proche des attentes de l’un et de l’autre qui se nourrissent donc mutuellement pour tirer le meilleur de chacun.
Si Rome ne s’est pas faite en un jour, Mairo ne fait pas non plus exception à la règle. En effet, cet aboutissement artistique trouvé sur Omar Chappier fait suite à deux projets solo sortis en 2020 et en 2021 (respectivement 95 monde libre et Rougemort) où sa créativité artistique est au centre du propos mais où l’ensemble demeurait encore trop expérimental pour enfin parler d’un allant suffisant destiné à définitivement lancer sa carrière.
Néanmoins, les bases de son rap étaient déjà présentes. Au fil des projets, Mairo a su devenir un véritable funambule au micro . En effet, sa maîtrise des placements, sa capacité à poser des silences au milieu de certaines mesures ou plus simplement sa spontanéité rendent son style unique en son genre tout en demeurant au plus près de Romai Tesfaldet.
Le projet n’est même pas encore lancé que le ton est donné. C’est en effet le pari réussi par la direction artistique de l’album. De fait, sur la pochette, Mairo s’érige en cavalier sans tête muni d’une hache, qui est par ailleurs toujours à ses côtés. A l’instar de la légende qui soutient que ce cavalier fantastique serait capable de tuer au moindre murmure, Mairo arrive déterminé à user de son arme préférée, la maîtrise des mots, pour anéantir la concurrence et entrer dans l’industrie par la grande porte (« et rafaler sans cesse, appelez-moi le cavalier sans tête » dès l’introduction du projet).
Or, au cours de ces 8 titres, Mairo s’affirme bel et bien comme un artiste central du rap d’aujourd’hui et de demain par sa dextérité au micro et sa versatilité musicale. En effet, l’artiste suisse maîtrise son sujet aussi bien sur des morceaux solo boom bap, sur des passes-passes épiques avec des invités d’honneur que sur le morceau parfaitement inattendu « 2 Jackets » où il pose sur de la jersey.
Si l’on peut évoquer des invités d’honneur, c’est qu’en effet Mairo est reconnu par ses pairs comme une des têtes d’affiche montantes de la nouvelle génération. Ainsi, on retrouve sur ce projet H Jeune Crack, NeS, Wallace Cleaver et Implaccable pour assister Mairo. Notons d’ailleurs la multiplication des collaborations entre ces artistes depuis presque deux ans soulignant une conceptualisation familiale de la musique, qui n’est pas sans rappeler de bons souvenirs à notre cher rappeur suisse.
Tout semble donc réuni pour parler de projet pivot dans sa carrière ; il a du moins été pensé comme tel par l’équipe du rappeur. En effet, un album a été annoncé être en construction pour fin 2023 ou 2024. Plus qu’une bascule, Omar Chappier représente donc une excellente rampe de lancement pour atteindre un succès nouveau et recherché par Mairo, mais qui semble d’ores et déjà entretenir une relation complexe faite d’appréhension avec la réussite. En témoigne la publication en septembre de son projet Déjeuner en paix produit par JeanJass en référence au hit de Stephan Eicher du même nom. Celui-ci raconte l’histoire d’un couple au bord du précipice qui souhaiterait justement faire table à part et retrouver une forme de tranquillité. Une manière d’annoncer un rejet du succès ou justement de souligner la dernière accalmie avant un décollage tant attendu ?
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Chronique rédigée par Hugo Branche
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