Rencontre avec Lucie Morey, Set Designer pour Lomepal, Kekra, Médine…
Set designer, c’est la profession de Lucie Morey. Si ce métier ne vous dit rien, il est pourtant indispensable à l’esthétique de nombreux clips musicaux, et notamment de rap. « Pommade » de Lomepal, « Viceland » de Kekra, « Bataclan » de Médine sont autant de projets qui font (entre autres) partie du book de cette jeune entrepreneuse. Rencontre.
BACKPACKERZ : Pour commencer, est-ce que tu peux nous expliquer en quoi consiste le métier de set designer ?
Lucie Morey : Je dirais que mon métier consiste soit en l’habillement d’un espace existant, soit en la création complète d’un lieu (en studio généralement). De mon côté, il s’agit plus souvent de l’habillement autour d’un lieu existant, donc cela revient plus à faire ce qu’on appelle de l’accessoirisation.
Mon métier est donc principalement de dégager une atmosphère grâce à des accessoires, en fonction de ce qui va être voulu par le réalisateur et l’artiste. Ces derniers me disent quelle ambiance ils veulent en fonction des séquences (un ensemble de plans qui se déroulent dans un même lieu et un même temps, ndlr) et moi je trouve le moyen, en fonction du lieu choisi, d’y répondre.
C’est vraiment un métier qui se déroule en amont du tournage avec beaucoup de recherches visuelles. On va faire ce que l’on appelle des moodboards, des planches d’images de référence qui vont spécifier les différentes ambiances voulues et faire office de base de départ. Une fois que l’on s’est tous mis d’accord sur l’atmosphère et les accessoires nécessaires, vient ensuite l’aspect concret : qu’est-ce qui est disponible à proximité dans le temps imparti et en fonction du budget ?
Sur ton book, on a surtout répertorié des clips de rap. Quel est ton rapport au hip hop et comment en es-tu venue à travailler plus spécifiquement sur ce genre-là ?
Mon premier clip était pour un rappeur pas très connu qui s’appelle Ricardo Bullet et depuis, de fil en aiguille, j’ai développé un réseau professionnel autour de cet univers. Par ailleurs, il y a un effet d’aubaine car le rap est le genre musical le plus écouté en France, donc c’est également là qu’il y a le plus de budget pour de la réal de clip. Aussi, leur développement tend de plus en plus vers la fiction, donc le besoin de set design est grandissant.
Parlons plus précisément de ton travail : le clip « Post-It » de Seth Gheko se déroule dans un entrepôt désaffecté, du coup où intervient l’aspect décoration ?
C’est un des clips qui a effectivement nécessité le moins de travail de ma part, étant donné que le clip capitalise sur le lieu à l’état brut. Mon défi était d’arriver à récréer une chambre à coucher avec très peu d’éléments dans l’entrepôt.
J’ai donc rapporté un lit qui correspondait aux attentes du réalisateur, mais j’ai voulu aussi ajouter des lampes de jeu et des tables de chevet pour créer une meilleure dynamique à l’image. Quant aux post-its, j’ai dû les écrire en amont avec le manager de Seth Gueko, afin que ce soit en cohérence avec ce qu’il voulait dire dans la chanson.
Peux-tu aussi nous parler du clip « Bataclan » de Médine ?
Il y a eu un gros travail de préparation en amont, un mois et demi environ. Il y avait beaucoup d’idées à la fois de la part du réalisateur et de la déco, donc on a essayé de clarifier au maximum ce qu’on voulait raconter. L’histoire se déroule dans un futur post apocalyptique assez proche de maintenant, où les gens se droguent à la musique pour s’évader.
On a donc travaillé sur plusieurs séquences avec des univers différents mais tous en lien avec l’histoire. On a construit une structure pour le piano mais tout le reste était de l’accessoirisation.
Au final, le clip est très riche grâce aux diverses séquences. Il y a eu de vrais parti-pris que ce soit à la lumière, au montage et à la direction artistique en général.
Passons au clip « Diego » de Slimka : l’anachronisme entre le décor et la musique est super intéressant.
C’est vrai que ce château était déjà un très beau décor de base ! Mon travail ici était surtout d’aménager les pièces du château afin de les faire matcher avec les actions désirées par le réalisateur. Par exemple, quand ils boivent le thé dans le petit salon, la pièce n’était pas agencée de la même manière et, par rapport à son découpage, il a fallu que j’adapte les éléments à l’espace.
Autre exemple mais sur de l’accessoirisation cette fois-ci : j’ai composé la scène du dîner en ramenant une table, de la vaisselle et de la nourriture raccord avec le décor et l’atmosphère voulue.
Même chose pour la scène des télés où il a fallu apporter les éléments nécessaires à la scène.
Tu as également travaillé sur « Pommade » de Lomepal, vu plus de 4 millions de fois. Si l’ambiance du tournage était à l’image du clip, vous avez dû passer un bon moment ! Qu’est-ce que tu peux nous raconter là-dessus ?
Le tournage s’est déroulé à New York, c’était au moment où je vivais là-bas. Ce fut effectivement un tournage très chouette, on était une petite équipe pour un projet expérimental. L’objectif étant d’avoir un rendu déconstruit, on est parti sur plein d’inspirations.
De mon côté, j’ai surtout travaillé sur la scène de la baignoire pour laquelle il y avait un travail d’univers. Comme le budget était restreint et qu’on avait une pièce neutre à disposition, j’ai suggéré qu’on bâche les murs pour rappeler le rideau de douche et surtout pour donner un effet cool avec les lumières portées. A cela j’ai ajouté quelques éléments comme la bassine, le bonnet de douche clinquant et des fleurs pour habiller l’ensemble. Au final, la photographie est beaucoup plus accrocheuse que si on avait laissé la pièce en l’état.
Pour terminer, je te propose de nous parler du clip « Viceland » de Kekra ! Comment ça s’est passé ? Est-ce que tu as pu voir son vrai visage ?
Il a toujours été masqué donc, non, je n’ai pas eu ce privilège ! Il y a toute une partie en studio que je n’ai pas appréhendé, j’étais vraiment sur la partie « film ». L’histoire est donc celle d’un jeune Chinois qui travaille jour et nuit dans un restaurant mafieux qui dissimule de la drogue dans des raviolis vapeurs. Fatigué de la situation, il décide un jour de se rebeller et de se faire la malle avec l’argent.
On avait 3 lieux prédéfinis pour la mise en scène : le restaurant, l’arrière-cour du restaurant et sa chambre. Pour le restaurant, j’ai apporté quelques éléments comme le matériel de chimie et les pilules pour suggérer la fabrication de la drogue.
Quant à l’arrière-cour, elle était vide à l’origine donc il fallait vraiment réussir à créer quelque chose d’assez visuel et « vivant ». J’ai donc construit un cabanon où l’on peut apercevoir un chef couper du poisson mais également « le coin des hommes ». Ces derniers sont assis sur des cagettes et jouent au domino sur un carton en guise de table.
La partie qui a nécessité aussi beaucoup de travail de ma part est la chambre. C’était très cool car je suis partie d’une page blanche car il s’agissait initialement d’un appartement haussmannien entièrement blanc. Je me suis vraiment mis dans la peau du personnage pour imaginer la pièce et donner vie au lieu.
En tout cas, c’est un des clips les plus aboutis que j’ai fait en termes de fiction. En effet, les réalisateurs savaient ce qu’ils voulaient dire et connaissaient parfaitement leurs personnages. Cela m’a permis de réaliser un vrai travail de détails, des détails qu’on ne verra pas forcément mais qui participent au réalisme à l’image… Les personnages prennent vie, à travers l’univers qu’on leur a créé. D’ailleurs, c’est ça mon travail in fine : rendre réel et crédible ce qu’on voit à l’image.