Un mois après la sortie de ton album, comment te sens-tu ?
Déjà un mois, c’est vrai ! Je vais bien bien merci. Je suis très content après trois ans de frustration en studio. C’est assez paradoxal parce que l’aventure ne fait que commencer alors que j’ai le sentiment d’avoir beaucoup donné et d’être arrivé au bout de quelque chose. Mais, la promotion d’un album peut prendre jusqu’à un an après sa sortie. Il y a des disques qui se révèlent sur le temps. Je pense que si le mien peut un jour connaître un succès un peu plus large et commercial, ça se fera avec le temps. Je n’ai pas un profil qui va breaker du jour au lendemain ! Et tant mieux, je suis très content de ça. Ça permet d’avoir conscience de chaque étape, et d’aller sur chaque marche de l’escalier avec beaucoup de précautions et, du coup, d’humilité ! Parce que ça connecte sur le fait qu’il est délicat de grandir. C’est très long, fastidieux, et ça demande beaucoup de rigueur donc c’est plaisant finalement.
Le morceau Paramour porte le même nom que ta marque et ton label. Est-ce que tu peux nous parler de ce mot et de la signification qu’il a pour toi ?
C’était un clin d’œil déjà ! J’aurai pu écrire “Par amour” en deux mots, mais il y avait déjà la chanson de Diams. Puis ce mot m’a toujours parlé, c’est pour ça que j’ai décidé d’en faire le nom de mon label. C’est très littéral mais, j’aime bien le fait d’être animé par cette énergie universelle qu’est l’amour. L’amour ce n’est pas que la relation amoureuse, c’est l’amitié, c’est un truc qui régit les relations humaines depuis la nuit des temps. Je trouve qu’il y a quelque chose de très fort et très beau ! C’est un peu un concept aussi fort que le temps. Pour moi, c’est spirituellement gorgé de plein de choses : l’amour de soi, l’amour de l’autre, l’amour de la nature… Ça implique un nombre de concepts philosophiques qui est dingue. C’est aussi pour un truc plus terre à terre : le fait de le faire avec amour, par amour. Et, d’être animé le plus possible par les bonnes raisons. Comme un reminder au quotidien de pourquoi je fais ça. L’idée est de rester proche et authentique de ce que j’ai envie de raconter.
La notion de “Paramour” englobe beaucoup de choses. Est-ce pour cette raison que le titre est un format long de plus de 6 minutes ?
Avant même de trouver le nom de la chanson, j’avais l’idée de ce long track. Il faut savoir que j’ai beaucoup bossé en studio pour cet album, et il y a plusieurs morceaux qui ont eu différentes vies. J’avais essayé un autre morceau au début, qui s’appelait déjà “Paramour” où il y avait les voix du titre “Jamais assez”. Et finalement, on a changé les accords. Ce n’est même plus très clair dans mon esprit ! Mais tout ça pour dire que ce n’est pas la première version du morceau, comme quasiment tous les titres de l’album. Après, je voulais déjà faire un morceau fleuve depuis longtemps et je voulais qu’il soit au cœur de l’album.
C’était un peu inspiré par “Humanoïde” de Nekfeu qui est l’intro de son album Cyborg. Je trouvais ça cool d’avoir un long morceau fleuve. Je crois qu’on est toujours à la recherche de notre “classique”. Ce n’était pas forcément la volonté sur ce morceau, je le dis d’ailleurs dans la chanson “Pourquoi courir après l’chef-d’œuvre, alors qu’c’est vous qui déciderez”. Mais on va dire, que dans la forme, je voulais que ce soit un long morceau qui amène une émotion. Finalement, c’est l’un de ceux qui ressort le plus. Et c’est cool, ça donne envie de faire plus de morceaux de 7 minutes.
Tu dis « La vraie grandeur c’est d’être supérieur à celui qu’tu fus jadis », « J’oublie pas, mais j’ai pardonné ». Je trouve qu’il y a une énergie de bienveillance qui se dégage de ce morceau et, plus globalement, du projet. Il y a quelque chose de sain qui s’en émane.
J’avoue que je n’ai pas trop fait attention à ça parce que je crois que c’est un peu plus une vision que j’ai en tant qu’humain avant que ce soit en tant qu’artiste. Mais je vois ce que tu veux dire sur la bienveillance. J’essaye de ne pas être dans le jugement au sens large et quotidien du terme. Pas seulement dans mes chansons. C’est un enjeu de ne pas être dans le jugement parce que le jugement est omniprésent. La bienveillance, le rapport à l’autre, la tolérance, ce sont des choses qui m’intéressent. C’est un chemin constant que j’aurais peut-être jamais vraiment pleinement effectué parce que c’est un travail de tous les instants. Mais, c’est important pour moi. J’ai de l’empathie pour l’être humain au sens large. Pour toutes ses complexités, ses failles, ses vices… Il y a des chansons sur des sujets assez deep comme “Château de Cartes”, “Caméléon”. J’essaye de porter un regard bienveillant et sain.
Et en même temps, je me contredis parce que parfois je suis un peu animé par l’envie de faire une belle chanson avec des phrases fortes – je pense à la chanson sur ma maman – et c’est impossible de résumer 26 ans d’existence et de relation mère-fils en 3 minutes 30. J’ai choisi volontairement les moments de vie les plus marquants et mélancoliques parce que je sais que j’ai une sorte de non-pudeur. Parfois je suis un peu animé par l’envie absolue de faire la bonne phrase qui tombe au bon moment. Dans “Paramour”, il y a des phrases fortes ! Je pense au moment où je parle de mon oncle qui a sauté d’un pont et je finis là-dessus. J’aime bien le côté magistral de “wow, émotion” et après je te laisse avec. Et ce qui peut aussi être dérangeant. La dernière fois, j’ai fait un mini showcase à la Caserne et une fille est sortie sur “Château de Cartes” parce que ça a remué des trucs. J’ai aussi des discussions avec des ami·e·s qui écrivent des chansons qui sont tous et toutes très talentueux·euses et qui ne sont pas forcément en accord avec moi là-dessus. Parfois, ils·elles vont mettre plus de pudeur. J’évoque des thématiques que j’ai indirectement vécues mais sur des sujets que je ne maîtrise pas forcément donc je vais aller me renseigner. Je sais que pour certain·e il y a de la pudeur qui peut s’installer.
Est-ce que le rapport à l’art doit être voyeurisme ? Ou est-ce qu’on doit parler que de sois et du coup ne pas évoquer certaines thématiques ? C’est hyper intéressant !
Pour certain·e, un artiste – au sens large – doit faire du beau avec des choses qui ne sont pas destinées à être jolies de base. C’est exactement ce que j’ai ressenti sur le projet dans le sens où tu abordes des sujets super forts et douloureux mais tu les amènes avec légèreté !
Je vois ce que tu veux dire, c’est le concept de la sublimation ! Ça me parle à fond de récupérer des énergies noires et sombres pour en faire des jolies choses. C’est parfois même un acte égoïste limite, quelque chose que tu fais pour toi et tant mieux si ça aide autrui. “Caméléon”, c’est une chanson où je m’adresse aux gens qui pourraient se reconnaître sur des addictions. Il y a un truc de bienveillance. Je ne veux pas être dans un jugement ou dans un discours moralisateur. C’est vrai que c’est délicat de trouver le juste milieu.
En tout cas, ça me parle à fond la transformation d’énergie au sens large. La frustration, la colère… Ça a été pour moi une longue période, j’ai eu beaucoup d’impasses, beaucoup de portes fermées. Ça a été tout un chemin pour retrouver des équipes qui me faisaient confiance. Tout ça a été très douloureux et fastidieux et je sais que durant ce processus là, l’énergie de frustration, de colère ou d’amertume que je pouvais avoir, j’ai essayé le plus possible de la transformer et ça passe par le travail. Quand j’ai cette énergie de colère, j’en fais un freestyle pour skyrock ou une chanson, ou des bouts de texte, ou un scénario… Et en même temps, je suis un peu matrixé par le capitalisme parce que quelque part une émotion négative, parfois elle est juste faite pour être vécue et non pour la transformer et être productif avec. En tout cas, c’est un chemin de vie et je sais que personnellement, dans mon chemin, j’ai toujours essayé de tirer un truc positif de ça. Mais parfois ça fait aussi du bien de juste le vivre, de le digérer. Si tu le transformes trop vite, ta frustration reste, tu l’éviteras juste l’espace d’un instant mais elle reviendra.
On parlait des sujets difficiles que tu abordes et le sujet de la mort revient beaucoup dans le projet. Personnellement, c’est quelque chose qui m’angoisse et pourtant ça n’a pas été le cas en écoutant l’album. Ça a été compliqué d’amener ce genre de sujet de manière moins brutale ?
Moi aussi ça m’angoisse, je te rassure ! Je sais que je dis “la mort est-elle l’arrêt qu’on pense ?” où je fais un jeu de mots avec la récompense et l’arrêt au sens du stop. Pour se questionner s’il y a une vie après. Aussi sur “Paradis”, qui parle plus de la lumière et de la réincarnation après. Moi, cette idée me fait du bien. Ça permet de se projeter dans quelque chose d’après et de se dire que même si ton corps a une finitude, ton âme pourra se réincarner et peut-être vivre d’autres histoires d’amour. Est-ce que tu seras un papillon ou un paysan du 14ème siècle ? Je ne sais pas mais en tout cas tu seras quelqu’un ou quelque chose. C’est aussi notre égo d’humain qui a besoin de se dire ça. Après, la croyance est belle et moi elle me parle.
Cette idée est toujours mise en opposition avec le concept de vie et de naissance, qui peut-être permet d’égaliser et de dédramatiser le rapport de la finitude du corps en tout cas pour se concentrer sur l’âme, qui, pour le coup, se réincarnera selon ma croyance.
Tu parles beaucoup de ta famille et de tes potes, c’est important pour toi d’être bien entouré et d’avoir confiance dans ton équipe ?
Grave, ça a été douloureux pour moi de vraiment réussir à trouver les bonnes personnes. Ça a été fastidieux, parce que j’ai commencé assez jeune, il y a eu pas mal d’enjeux financiers assez tôt. Donc, tu peux tomber sur des gens mal intentionné·e·s. Et en même temps, je suis très content de l’avoir vécu parce que ça m’a nourri et ça m’a permis de comprendre et de ne pas reproduire les erreurs. Puis, il y a des schémas même psychologique ! Je sais qu’il y a des personnes de qui je me suis entouré qui ne sont pas responsables de ce que j’ai projeté en eux. C’est moi qui ai provoqué ce truc là, donc il faut aussi se responsabiliser !
C’est important, parce que lorsque tu goûtes à un environnement sain, et à des gens motivé·e·s et bienveillants qui sont animé·e·s par les bonnes raisons, ça a du sens et ça résonne plus ! Et en même temps, je suis très content de l’avoir vécu parce que c’est important et ça m’a nourri !
Il y a ce côté formateur de l’échec !
Clairement, et ça nous accompagnera toute la vie ! Puis, qu’est-ce qu’un échec ? L’échec relationnel – comme je le dis dans “Paramour” – il y a des relations qui sont là pour te renvoyer des miroirs de certains moments de ta vie, de tes choix. C’est pour ça que je parle de responsabilisation. Une relation ça se joue toujours à deux et parfois par égo, par pudeur ou juste par fierté on n’accepte pas de se remettre en question et on va tout projeter sur l’autre. Ça m’est arrivé, comme tout le monde je pense ! Mais je crois que j’avais aussi envie de parler de ça, du fait que dans une relation, chacun veut que sa version soit la vraie. Dans toutes les relations conflictuelles que j’ai pu voir, j’ai toujours eu envie à un moment que l’autre puisse m’entendre ! Et le rapport à l’empathie : tu es obligé de prendre l’autre comme il est parce que tu l’as choisi. Si tu l’as fait rentrer dans ta vie, c’est que tu as accepté ça donc ne le blâme pas pour ce que tu as projeté en lui alors que tu es le premier à avoir placé ses espoirs, alors qu’il n’a rien demandé !
Est-ce que la phrase “J’écris pour ce jeune au premier rang en qui j’me reconnais”, fait référence aux ateliers que tu as pu réaliser en prison ou dans des SMAC comme l’EMB Sannois ?
Le « premier rang » c’était plus un clin d’œil au concert. Mais un peu plus tard dans ce même passage, il y a des phrases qui peuvent être prises dans ce sens là. Je pense à « Pour tous mes jeunes qu’on d’la sape et tous ceux qui portent qu’un seul jean ». C’est un moyen un peu détournée pour dire que je m’adresse à tout le monde et que je ne crois pas en la violence sociale. J’ai autant de respect et d’empathie pour le mec que je croise en bas de chez moi que mon pote qui a grandi dans le 16ème en gros ! C’est un peu cette idée-là.
Et oui, du coup, les expériences de prisons, je n’en n’ai pas parlé directement mais ça m’a beaucoup nourri humainement, ça m’a beaucoup inspiré, ça m’a beaucoup touché. Ça a aussi donné du sens en tant qu’artiste parce que c’est un métier égotique quand même. Forcément tu parles de ton album, tu fais des photos et des interviews de toi, donc c’est cool de rendre un peu ! Même si c’est parfois délicat parce que certains sont victimes d’un système raciste et violent et d’autres sont aussi là parce qu’ils le méritent. C’est tout un rapport à l’empathie, c’est un cours de sociologie clairement ! Et c’est tout l’échec d’un système qui est synthétisé dans le fait que la plupart sont de couleur, non blanche, et la prison est perçue dans leurs yeux comme une étape plus qu’un extrême. Ça devient une chose évidente et ça m’a beaucoup touché. C’est un processus qui se fait en 7 ou 8 séances. On commence par donner des tips d’écriture. Parfois certains savent déjà rapper alors il n’y a pas besoin d’aborder le flow, certains n’en ont jamais fait donc il faut apprendre à rentrer dans les temps. Et après on enregistre le morceau et on finit par un concert dans le gymnase principal de la prison. Ça m’a beaucoup nourri et ça donne beaucoup de sens. Le fait qu’il y en a certains qui viennent te voir à la fin pour te dire qu’il a oublié qu’il été là pendant 3h, c’est mission réussie.
Je l’ai fait 2 ans de suite, avant ça j’intervenais dans des lycées de la dernière chance avec des destins de fous. Mais je me questionne pour la suite parce qu’en même temps c’est beau, et en même temps je suis assez sensible. Les premiers soirs quand je rentrais de prison, je m’effondrais en larmes chez moi. Et en même temps, c’est plus grand que moi donc c’est ça qui est beau. Je continuerai à le faire dans ma vie, c’est sûr mais je ne sais pas si actuellement j’enchaîne. Puis c’est aussi un mood : le papier peint décrépit, les visages que tu croises, t’as envie d’écrire un roman à chaque histoire, c’est chargé, et pleins d’énergies qui ne sont pas forcément les plus saines.
Il y a aussi l’aspect de transmission qui doit être super intéressant !
Et de transformation ! Pour le coup, tu es dans l’endroit où il y a peut-être le plus de mal-être, de tristesse et de mélancolie sur terre. C’est une action où tu es dans la sublimation.
Sur la fin du titre, avant la discussion avec ta maman, on est sur un piano voix un peu poème. J’ai eu l’occasion d’assister à l’un de tes showcases en piano voix, et j’ai l’impression que tu défends beaucoup ce projet de cette manière ! Est-ce que c’est quelque chose de nouveau ?
Complètement, je ne l’avais jamais fait avant ! Mais j’aime bien chanter, je trouve que ça positionne aussi pour les personnes qui pensent que c’est encore rap. Il y a encore du rap dessus bien sûr mais globalement c’est quand même plus chanté, et j’apprécie ça. Ça fait ressortir les chansons sans artifices. Si la voix est parfois avec des notes bleues ou que je manque de souffle : il y a de l’aspérité. Sur l’album, tout est très travaillé, très lisse. J’aime ce travail là en studio, mais c’est cool aussi de faire vivre la chanson autrement après. Et même pour moi, c’est un kiffe de montrer les chansons à nu. Et en vrai, si elles marchent en piano voix, c’est que ce sont de bonnes chansons parce qu’il n’y a pas besoin d’arrangement. Si tu arrives à faire chanter des gens sur un refrain avec 4 accords et la mélodie de voix c’est gagné. Ça a été tout le processus de l’album de réussir à m’inscrire dans un truc plus mélodieux qui soit malgré tout efficace.
« Les Hommes pleurent », c’est une chanson d’amour qui parle plus globalement de l’égo et de la pudeur des Hommes. Ça fait écho à ce qu’on s’est dit tout à l’heure sur la considération de l’autre. Est-ce que selon toi, l’égo affecte les relations humaines ?
On l’a déjà évoqué, mais c’est quand même très intéressant. C’est juste tout le fruit de la destruction et du chaos depuis la nuit des temps, depuis le début de l’histoire de l’humanité. Mais attention, l’égo peut être positif. Je crois que c’est La Rochefoucauld qui parle de ça. Et il parle de l’égo négatif qui est donc celui qui a besoin d’écraser autrui pour exister. Je trouve ce concept simple mais très beau. Et je crois que dans une carrière artistique, tu n’as pas le choix, tu en as besoin. Et puis, je crois qu’il y a aussi le déterminisme et la fierté de défendre enfin ce projet. Je suis dans un truc où je me dis que je ne peux pas me plaindre. Si l’égo est sain, je pense qu’il permet beaucoup de choses. Mais l’égo c’est le patriarcat, c’est la destruction de la planète… c’est tout à la fois.
Sur ce morceau là, tu montres toutes tes capacités à faire des variations : tu chuchotes et tu hurles sur le même titre. C’est quelque chose qui me plaît dans ta musique depuis le début. J’ai trouvé que tu avais réussi à trouver un bon équilibre ou tu as réussi à trouver un juste milieu entre les deux. C’est une idée qui vaut aussi pour le projet dans sa blobalité, on ressent une étape artiste et un certain aboutissement !
Je suis d’accord, je me reconnais là-dedans. Ça a été long et très délicat. Le chemin sera toujours long parce que je vais encore trouver pleins de subtilités, mais c’était tout l’enjeu du projet : réunir ces deux personnalités schizophréniques.
Ça me fait plaisir que tu dises ça, car ça a été tout le travail autour de ce disque de réussir à trouver la subtilité entre les deux, la rencontre ! Et en vrai, ça a été long. Et je sens que j’ai passé un cap, en effet. Et en même temps, je sens que c’est tout l’avantage de ce métier c’est que j’en est encore 150 mille à passer ! C’est ça qui nous excite et qui nous donne envie d’aller plus loin. Même le rapport à la création a évolué : j’ai hâte de la suite, j’avais prévu certaines chansons pour la réédition, mais je suis en studio en ce moment et je me rends compte que je peux faire mieux encore, ou différent.
Pour l’album Phoenix, j’ai jeté des singles qui auraient pu être plus radiophoniques mais je m’en fou ! Je préfère ce que j’ai gardé, je préfère l’intégrité artistique, je préfère la cohérence des morceaux et le son. Et c’est quelque chose que les gens remarquent, les gens sont pleins d’intelligence. Et je pense aussi que les styles de musique attirent les styles d’audience que l’on cherche à toucher. Et je pense que sur cet album, il y a de la réflexion. Je ne m’en rends pas compte dans le sens large. Et tant mieux parce que c’est moi ! Je ne pourrais pas simplifier encore plus. Ça a déjà été tout un travail de réussir à dire des choses plus deep selon moi avec des mots plus simples. À l’époque, je mettais 46 mots, et je me perdais aussi un peu ! Ça a été tout le travail de reconstruction, de ne pas être guidé par la rime… Tout ça à la fois ! Mais voilà, je suis un peu dans « rien à foutre cette fois-ci c’est que pour l’art, rien à foutre si vous ne me validez pas ». Même si en tant qu’artiste, tout a toujours envie d’être validé. Si là tu me disais « bon je t’interview mais en fait l’album pas ouf », ça me ferait chier parce que j’ai quand même passé 3 ans dessus mais en même temps ça me permettrait une remise en question. Comme ce qu’a été Drapeau blanc, qui est un album que je considère comme étant assez mitigé voir plus ou moins raté puisque je l’ai fait assez vite et c’est aussi ce qui m’a donné envie d’aller chercher mon album « référence » (pas classique au yeux des gens, mais entre moi et moi, trouver que c’est le meilleur truc de ma discographie).
Et en même temps si tu n’avais pas fait drapeau blanc tu n’en serais pas là aujourd’hui !
Exactement ! Et même les feats que j’ai sur Phoenix, je les ai parce qu’il y peu, l’époque de Drapeau blanc avec les Planète Rap, les France Inter, les tournées, les festivals… Donc c’est trop simple de vouloir garder que le produit abouti. Mais sur certaines carrières qui inspirent de fou, il n’y a pas de faux pas. Et en même temps, c’est mon aventure et il faut que j’y montre de l’empathie et de la tolérance, parce que sinon tu te créeras des noeux dans la tête pour rien et juste de la souffrance gratuite. C’est tout un art de trouver le juste milieu.
Ce titre est composé par Nino, qui a composé tout le projet. Est-ce que tu peux nous parler un peu de la place qu’il occupe dans ce projet ?
Carrément, mais avant ça, petite anecdote ! « Les Hommes pleurent » je l’ai commencé avec un autre gars, qui s’appelle Dreadfull, sur d’autres accords. Sur le refrain, j’avais ressenti un truc sur la voix criée. C’était assez nouveau pour moi d’écrire un refrain sans rimes. Mais ça sonne vrai, et j’ai beaucoup de respect pour les gens qui font ça. Il fallait que ce soit des phrases fortes qui parlent. Donc on a commencé là-dessus, et Nino à juste récupéré le refrain et il a tout recomposé autour avec la suite d’accord un peu plus année 60. On l’a fait à deux, mais le travail d’orchestration c’est lui. C’est un mec qui a un diplôme de chef d’orchestre, donc il parle ensuite d’accord harmonique, il a fait de la musique de film ! Donc il y avait quelque chose de parfait pour moi qui voulais faire quelque chose d’assez épique, orchestral et dramatique. C’est simple, c’est mon binôme, c’est la personne la plus importante dans ce processus, qui a été ma boussole. Lui-même m’a dit qu’il n’avait jamais autant donné d’énergie pour un disque, alors que c’est un mec qui a bossé pour beaucoup de monde. Il m’a dit que je l’avais emmené dans un endroit qu’il ne connaissait pas, pas tant dans la musique, mais de lui-même. Je trouve qu’il a un talent extraordinaire, et d’ailleurs il va commencer à faire des chansons en solo. Pour moi c’est un génie au sens premier du terme, et je sais que c’est un terme qui est fort. Tout son entourage est aussi assez unanime là-dessus et c’est fabuleux de pouvoir avoir la chance de travailler avec lui. Il n’y a aucune impasse, c’est très addictif et même dangereux parce que du coup, après, je travaille avec d’autres gens que j’embrasse très fort et chacun a sa pierre à apporter .Il y a des trucs que Nino sait moins faire, je pense à des morceaux de l’album comme “Noir III”, “Black Amadeus” : il les a quand même débloqués. Les deux c’est lui qui trouve les mélodies de refrain. Mais les trucs de texture, des trucs très rap : il a peut-être moins ça. Mais du coup c’est parfait parce que je récupérais parfois ce qu’il faisait, je le donnais à quelqu’un d’autre qui le réintégrait, et ça donne des morceaux avec beaucoup d’arrangements, les plus aboutis. En moyenne il y a 200 pistes, c’est beaucoup quoi. Mais peut-être que je ferais un peu moins à l’avenir, je ne sais pas. Peut-être qu’une bonne chanson, tu n’as pas besoin de… J’en mets des couches et des couches parce que j’aime ça !
Le dernier titre que tu as choisi c’est “Château de Cartes”. C’est un titre très fort qui parle de ta maman. Si ce n’est pas trop indiscret, comment a réagi ta maman ?
Elle a pleuré. La première écoute était un peu deep mais c’était un bon moment. Elle a pleuré et a été un peu déçue mais je sais que ma sœur lui en avait parlé. Ma sœur s’est effondrée dès les trois premières phrases. C’était un grand moment pour moi. Je me revois la prendre dans mes bras. Et ma mère, je pense qu’elle avait été un peu hypée par le truc. En vrai, elle était très émue. Je l’avais prévenu, comme je te disais un peu plus tôt, ce n’est pas autobiographique. J’ai volontairement pris un axe et des moments les plus marquants et les plus tristes pour aussi sublimer, valoriser ça. C’est impossible de résumer une vie dans un film ou un roman… Une vie humaine, elle est pleine de subtilités et de nuances et, par essence, en 3 minutes 30, c’est encore plus délicat. Mais elle a été touchée, émue. Et quand je la joue, elle est fière aussi quelque part. En tout cas, elle regarde tout ce que je fais.
Tu disais tout à l’heure que sur cette musique, il y a des personnes qui ont un trop plein d’émotions, etc… Comment tu arrives à gérer toutes les émotions que tu donnes aux gens et qui doit te revenir ?
Ça, c’est plus dans les moments de concert, du coup. Après, je reçois de très beaux messages. Et ce qui est quand même très cool, c’est que la plupart des messages se ressemblent. Il y a beaucoup de gens qui disent plus ou moins la même chose sans se concerter. Beaucoup prennent le temps de m’écrire, souvent, c’est des longs messages et ce sont les mêmes idées qui reviennent de résilience, de bienveillance. Ça leur a fait du bien. Il y a des gens qui me disent que c’est un reflet de mon âme, ou que c’est un truc thérapeutique. Je suis à la fois hyper touché et à la fois, je ne m’en rends pas trop compte. Mais tant mieux, je crois. C’est bien de ne pas avoir trop conscience de ça.
Après, j’ai toujours reçu des trucs un peu deep. Des gens qui me disaient qu’ils avaient failli se suicider. Des lettres de jeunes, comme quoi ma musique les avait aidés donc, je suis hyper content. Mais je ne me rends pas trop compte de cet impact-là au quotidien. Et puis, moi, je suis animé par l’envie de faire des belles chansons, des belles œuvres. Je vais faire primer l’émotion et la phrase forte. Je sais qu’il y a des gens que ça peut mettre mal à l’aise.
C’est marrant, dimanche soir, j’étais à une soirée, j’ai rencontré des gens dont une actrice qui s’appelle Alice David qui m’a dit un truc très beau. Elle m’a dit que, pour elle, les plus grands, c’est ceux qui réussissent à provoquer une émotion avec ce qu’ils retiennent plus qu’avec ce qu’ils donnent. Elle me disait, parfois, quand quelqu’un donne trop, comme ça, d’un coup, ça peut te toucher, mais justement, il y a de la pudeur qui fait que ça peut te déranger, ça peut te mettre dans des positions un peu inconfortables. Et ça me parle à fond, ce qu’elle m’a dit. Je vais essayer de l’appliquer le plus possible.
Merci, ton album fait du bien !
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Merci à Lord Esperanza pour le temps accordé et ses réponses.
Merci à Soazig pour les photos.
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