Sur l’archipel du Royaume-Uni, deux styles de hip hop dominent les charts à l’heure actuelle : le Grime, pur produit du paysage britannique né à l’aube des années 2000 et, de l’autre, la UK Drill, nouveau genre émergeant reprenant le flambeau légué par la scène de Chicago. Face aux deux grands envahisseurs, certains ont choisi de résister en adoubant un boom bap luisant et crasseux remis au goût du jour par Rejjie Snow ou encore Loyle Carner.
Sous cette tendance s’inscrit l’une des têtes les plus prometteuses du moment répondant au nom de Lord Apex. Un timbre de voix lourd sur des productions enfumées et Apex vous emmène dans les rues nappées d’asphalte de la capitale anglaise.
Enfermé entre quatre murs, Lord Apex s’adonne à une méditation durant de longues heures, guidée par de vieilles boucles du saxophone dissonant d’Ornette Coleman, puis allume un spliff qu’il brandit du bout des lèvres. Il sélectionne les meilleures séquences musicales afin d’éventuellement y déposer ses vers pour un futur projet dont il n’a pas encore dessiné le moindre contour. Il s’efforce de mémoriser chacune des idées abstraites qui lui parcourt l’esprit, dans la peur de les laisser filer.
Ainsi, le gamin qui a grandi dans le quartier de White City commence son épopée par un simple EP en 2013 nommé Gxlden Erv composé uniquement de faces-B de MF Doom, J Dilla ou DJ Premier, quelques-uns des grands noms qui ont formaté le rappeur. Et surtout, il bénéficie d’une notoriété grandissante sur la plateforme Soundcloud, au sommet de sa forme à cette époque. Le titre “BEBOP”, cette fois-ci sous une production originelle de Solipsis, vient inaugurer son compte et lui offre une visibilité remarquable. De ce fait, Apex va dans le prolongement de ses idoles en proposant un boom bap hypnotique qui s’inscrit dans une carrière incertaine, vue comme un passe-temps comme un autre pour lui.
Cependant, Lord arrive, sans le vouloir, à consolider une modique fan-base à travers une oeuvre qui fera l’unanimité. En 2015, le projet Hyōkō meisō dit élévation/méditation vient structurer la personnalité de l’artiste en faisant office de biographie musicale. On vogue entre sa passion pour l’île nippone ou son style de vie fondé sur une doctrine spirituelle. Il laisse d’ailleurs place à sa seconde personnalité nommée Sensei, celle aux vertus similaires à celles d’un sage, qui analyse le monde sous un visage neuf. Pour encadrer l’album, Apex s’entoure d’une ribambelle de producteurs encore anonymes tels que Tunami, avec qui il signera un EP commun quelques mois plus tard, ou encore GRIMM Doza, producteur du New Jersey qui produira pour la nouvelle vague comme Lucki et Wifisfuneral.
En 2016, il est réellement repéré par la nébuleuse underground du rap grâce à son hit “Spliff in The Morning” qui le fera connaître du grand public. Un court morceau bercé par une production de Walterwarm qui fait office de parfaite carte de visite tant dans les paroles, l’ambiance vaporeuse mais également le visuel. Englouti par son canapé, Lord fait des va-et-vient de gauche à droite avec un grinder tout en faisant mouvoir ses lèvres pour en extirper son flow grave et caverneux. Ainsi, il récolte quelques centaines de milliers de vues, fruit de son dur labeur.
Pour développer sa musique, il regroupe ses multiples projets sous la plateforme Bandcamp. Ainsi, notre rappeur poursuit sa route avec une collection d’ébauches venue renforcer ses habiletés lyricales et lui permettre d’explorer une variété de directions artistiques. Il s’associe alors à des producteurs le temps d’un quatre titres comme avec Lo Vibe, pour ensuite peaufiner un véritable album avec Walterwarm nommé Bamboo Forest où figure d’ailleurs “Spliff in The Morning”.
Comme point de chute s’immisce Interplanetary Funk. Un LP sorti en 2017 qui métamorphose Lord Apex en Sensei, se nourrissant d’influences ésotériques et spirituelles comme pour perpétuer les vertus bienfaitrices que porte en elle la musique depuis la nuit des temps. Le lexique qu’il érige se concentre sur le cosmos, les vaisseaux spatiaux, les étoiles et la méditation, le tout propulsé par des productions électriques sous un boom bap déconstruit. Et comme si Lord ne pouvait s’empêcher de manipuler toutes les fioles chimiques, il enchaîne des expérimentations en tout genre, comme lorsqu’il débite des rimes au côté du rappeur Finn Foxell pour embrasser des claquements industriels, se rapprochant du patrimoine qu’est le grime. Des petits projets qui lui permettent de se rapprocher d’une musique dite “professionnelle”.
Dès 2019, Apex décide de réellement s’imposer, et cela par tous les moyens, en s’attaquant à divers canaux de communication. Ainsi, il investit les plateformes de streaming avec Smoke Sessions Vol. 2, un EP mis en forme lors d’une journée de studio où Lord sélectionne les meilleures productions qu’il ait reçu pour les cisailler au mic. Le court projet lui permet de décrasser les compteurs pour atteindre plus de cinq millions d’écoutes rien que sur Spotify. Se déroule alors pour lui le tapis rouge, rejoignant Yasiin Bey (ex Mos Def) pour effectuer sa tournée Européenne. S’ensuit, quelques mois plus tard, une apparition dans les locaux de Colors pour jouer le titre “Vintage Garms”, lui offrant une visibilité non négligeable.
Tant de démarches qui mènent Lord au premier rang de la scène Lo-Fi britannique pour l’année 2020. Entre prestation pour Boiler Room à but caritatif pour la fondation NAACP durant le confinement et la sortie du projet Darkskies en janvier, suivi de près par Highsolation en mars, le rappeur tâte le terrain pour de futurs projets plus ambitieux.
Si Apex est victime d’une boulimie du travail (ayant sous le coude une vingtaine de projets en attente) il préfère se concentrer sur Supply and Demand, un album qui vise à exporter le rappeur hors des frontières anglaises grâce à V Don, producteur originaire de New-York qui a participé à établir la nouvelle scène underground d’un boom bap enfumé et boueux. De ce fait, il collabore aussi bien avec Willie The Kid, Styles P ou Da$h qu’avec A$ap Rocky, l’installant paisiblement sur le navire en mission pour redorer le blason new-yorkais. Dans une volonté d’atteindre une nouvelle audience, V Don se dirige vers l’un les artistes de la scène UK lui semblant être le plus pertinent. Nait alors ce projet, moins aérien que ce qu’à pu nous proposer Lord, et bien plus ancré dans les rues aux bâtiments victoriens de Londres.
Pour ce 11 titres, notre artiste est accompagné du vétéran Murs ou encore de Cj Fly, l’une des têtes les plus remarquables du groupe Pro Era. V Don met un point d’honneur quant à la mise en forme des boucles de sample à la fois poussiéreuses et raffinées, vacillant entre des percussions aigües et des instruments à vent, qu’ils soient un saxophone ou une flûte.
A présent, Lord Apex s’affranchit de tout codes musicaux propres à son pays pour s’aventurer dans le nouveau monde, rencontrer de nouveaux acteurs de la scène locale et s’enquérir des expériences de chacun. Ces dix années passées à tenter de nouvelles expériences, peaufiner ses vers et trouver la direction de vie qu’il souhaitait suivre ne semble pas encore terminée. Alors Supply and Demand n’annonce pas une fin de cycle mais bel et bien la genèse d’une carrière qui sera vite agrémentée par d’autres projets du rappeur.
Du haut de ses 24 ans, Lord devient l’une des têtes de gondole d’un hip hop nonchalant qui retranscrit l’ambiance sonore de sa ville industrielle. Une dégaine et une allure définie par ses pantalons droits et son sweat Carhartt trop large et Apex devient un personnage identifiable qui ne va pas cesser d’innover et de progresser. La récente reconnaissance par de grands rappeurs tels que Larry June, Evidence ou encore Freddie Gibbs laissent entendre que la route qu’il emprunte est la bonne. Tel un conquérant, Apex est prêt à s’emparer d’un public plus large, alors qu’il est en pleine préparation d’un Smoke Sessions Vol 3, d’un EP produit par Budgie et d’une signature chez UK Believe qui annonce probablement l’envolée de sa carrière.
Découvrez le boom bap sombre de Lord Apex en visitant son Bandcamp.
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