Presque trois ans après leur dernier album, le trio le plus connu de Belgique revient plus affûté que jamais à travers le crépuscule.
Lorsqu’on parle de la génération dorée belge, on a souvent tendance à nommer quasi instantanément Hamza, Damso, Isha, Lous and the Yakuzas, les énergiques Caballero & JeanJass mais aussi Roméo Elvis (qui a fait ses armes à leurs côtés). Néanmoins il serait préjudiciable de les oublier tant ils ont œuvré pour cette scène depuis maintenant plusieurs années, sans pour autant prendre toute la lumière et les fleurs qu’ils méritent.
En comptant plusieurs projets à leur actif, le groupe aura pris presque trois ans pour nous proposer du nouveau contenu. Un tel hiatus est un risque qui peut paraître inconsidéré dans cette ère du streaming où la consommation de musique se doit d’être rapide. Cependant, le groupe n’aura pas chômé ni disparu des radars : Swing sort ALT F4 en début d’année 2020 et assure les premières parties d’Angèle tandis que Primero dévoile son état d’esprit avec Serein.
En parallèle, Loxley s’essaye à l’exercice radiophonique sur les ondes de la RTBF.
Pour leur grand retour, le groupe élargit son cercle musical en collaborant avec de nouveaux musiciens. PH Trigano se greffe donc à cette nouvelle aventure, lui qui avait déjà collaboré avec Swing et Primero sur leurs projets respectifs et plus récemment avec Lala &ce, Ichon ou encore Slimka. Il sera épaulé en grande partie par Phasm et Vax1 qui se fera un peu plus discret sur cet opus.
Avec toute cette palette de nouveautés et d’expériences en solo, le groupe va-t-il réussir à garder cette alchimie et à la bonifier? L’heure du verdict a sonné.
L’art du commun
L’album s’ouvre sur le morceau intitulé « Négatif ». A l’image du titre, le trio adopte un ton assez pessimiste sur l’état de la société. Cette facette ne nous est pas inconnue puisqu’ils ont déjà eu l’occasion de le faire sur SAPIENS, leur avant-dernier opus, qui faisait office de véritable observatoire sur l’Homme. On imagine assez rapidement une sorte de dystopie à la Black Mirror que les artistes tentent de nous décrire avec des contextes parfois accablants et malsains:
“Lorsqu’ils en auront marre des autographes, ils pourront choisir comment Primero termine. Tapez 1 pour qu’il vive une éternité, tapez 2 pour qu’il meure de quelque chose de grave.”
Les sonorités assez sombres voire oppressantes parviennent à capturer leurs propos avec succès grâce au savoir-faire de Seezy (Vald, 7 Jaws…) et de Frank Dukes qui a plutôt l’habitude de travailler outre-Atlantique avec des artistes tels que Drake ou The Weeknd.
On peut également souligner la présence de featurings qui viennent apporter une réelle bouffée d’air frais. Si SAPIENS ne présentait aucune collaboration et pouvait souffrir à certains égards d’un manque de diversité, il n’en n’est rien ici. En effet, cet opus accueille la crème de la scène belge avec Roméo Elvis, Lous and the Yakuzas, Caballero et Zwangere Guy qui permettent de rendre l’écoute plus légère et attrayante tout en offrant un panorama artistique plus complet.
La présence de ces artistes offre visiblement une certaine plus value à notre trio qui ne se fait pas voler la vedette.
Tout d’abord, nous avons « Banane » qui fait office de morceau fédérateur sous la forme d’un mini posse cut où chacun trouve sa place pour briller, puis il y a « Sable » qui s’autorise une ambiance plus feutrée et permet au groupe de privilégier la mélodie (notamment Primero qui a fait de réels progrès sur cet aspect) aux côtés de Lous.
De plus, le groupe a su faire évoluer sa formule et ses thèmes en adoptant un angle plus mature ainsi qu’une meilleure interprétation qu’on peut observer sur « Nuit d’hôtel » et « A l’aube ».
Ce dernier fait office de « Slalom 2.0 » (présent sur leur dernier projet) tant dans la thématique que dans les rôles qui y sont attribués. Swing enfile une fois de plus le costume de crooner qui lui sied si bien pour sublimer le refrain, accompagné de ses acolytes qui s’occupent des couplets. Du fait de cette progression constante, le groupe s’autorise à en dédier une chanson (« C’est dingue ») afin de se rendre compte du chemin parcouru depuis le Plat Pays avec quelques touches d’insouciance et de nostalgie.
Malgré tout, la deuxième partie du disque prendra une autre tournure avec un ton bien plus sombre.
Avant la nuit… le spleen
Par rapport à la construction du projet, on peut observer une certaine forme de dualité, semblable à la photo qui a été choisie pour illustrer ce dernier opus. La foule, habillée du rouge de la passion, se confond entre la ferveur de la fête ou celle de la bataille. Cette confusion aussi bien visuelle que sonore participe à cette division émotionnelle que le groupe nous soumet ici.
« Inertie », le septième morceau, se glisse parfaitement dans le rôle du “morceau de transition” qui va propulser l’expérience auditive vers des terrains plus mélancoliques:
Parfois j’ai pas vraiment les crocs, je me réveille et puis je me recouche.
Pourquoi voudrais-je compter pour les autres?
Je suis seul depuis le premier jour.
Bien qu’intéressante, cette deuxième moitié peut à certains moments perdre l’auditeur, notamment dans la dynamique qui demeure parfois affectée.
Toutefois, « Pas de regrets » se démarque par un storytelling maîtrisé. Le trio décide de raconter l’histoire d’une amitié qui disparaît au fil du temps, en mélangeant le regret de cette perte et la raison, sans faire preuve de fatalisme. L’évocation de ce sujet mêlé à la finesse de leur écriture nous permet de constater d’une plus grande proximité vis à vis de leurs textes, ce qui leur faisait défaut sur SAPIENS.
« Pollen » viendra clôturer l’album et prend à contrepied l’auditeur sur un son plus aérien et lumineux, mettant officiellement fin au voyage haletant qui nous a été proposé.
Pour conclure, ce projet est clairement le plus ambitieux du groupe à ce jour. Leur pause musicale a été bénéfique afin d’améliorer leurs techniques respectives, les rendant ainsi beaucoup plus complets dans leur art. Le soin du tracklisting et des thématiques choisies reflètent parfaitement la minutie dont ils ont fait preuve pour élaborer ce concept. C’est une véritable pépite digne de L’Or du Commun.
Cette chronique est une contribution libre proposée par Steven De Bok.