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Lil Yachty – Nuthin’ 2 Prove

Overdose d’egotrip

Avant même d’avoir prêté une oreille à l’écoute de l’album, le titre de ce dernier dessine les contours de l’univers dans lequel le rappeur d’Atlanta évoluera 47 minutes durant. Force est de constater que Lil Yachty ne cache pas le délire mégalomane qui l’a prit pendant la conception de ce projet, baptisant ce dernier Nuthin’ 2 Prove. Du haut de ses 21 ans, il clame être le roi d’un genre de rap dont il est, ne nous le cachons pas, l’un des pères fondateurs. Au delà du simple titre de l’album, la cover de ce dernier nous renseigne également sur la teneur de celui-ci. On y voit Miles Parks McCollum assis à la proue du bateau, fumant sa pipe, toisant sans l’ombre d’un doute le reste de l’équipage qui, on l’imagine, se tient devant lui.

Une fois qu’on plonge dans les entrailles, on peut l’entendre affirmer sur Yacht Club « I’m a young king », roi donc d’un royaume où s’épanouissent autotune, 808 et faiblesse lyricale. L’égocentrisme du monsieur dreadlocks rouges se montre à son paroxysme dès l’ouverture de l’album  avec ce titre « Gimmie My Respect » où il étale son narcissisme et affirme être le père de toute une flopée de rappeurs :

Don’t be upset that I called you a mini-me

Avec ce genre de déclarations qui pullulent sur quasiment chacun des morceaux, Lil Yachty a la naïveté de penser que la notoriété qu’il a acquise en profitant du fleurissement des artistes SoundCloud quelques années auparavant ne le quittera jamais.

Cette erreur de penser que la popularité suit une courbe linéaire pourrait être ce qui le poussera hors du trône sur lequel il prétend être assis. Rappelons que lorsque sa côte de popularité a explosé, il demeurait l’un des uniques rappeurs de son genre. Loin d’être une critique, puisqu’il faut rendre à César ce qui appartient à César et reconnaître le caractère novateur de sa musique. Il n’est aujourd’hui logiquement plus seul dans son univers, nombreux de ses héritiers musicaux chassent le sommet des charts et réclament le trône de Lil Yachty. Certains d’entre eux comme Trippie Red ou encore Juice Wrld, dont on entend la voix sur l’album, connaissent un succès bien plus important que celui qui a fait naître le style qu’ils incarnent désormais. En nommant son album Nuthin’ 2 Prove, Lil Yachty fait l’erreur de ne pas avoir une introspection sur la situation actuelle de son art, dont l’acmé paraît avoir eu lieu il y a de ça quelques années.

Au nom du rap, chante.

Comme énoncé précédemment, Miles Parks McCollum est indéniablement l’un des pères de cette succursale du rap qui se définit comme Mumble Rap ou Melodic Rap. Cependant, quand il se lance dans un morceau purement rap où il doit kicker, le jeune MC semble à court d’imagination et n’hésite pas à puiser chez ses pairs. Si sur son dernier opus il était évident qu’il s’était fortement inspiré du triplet flow des Migos, Lil Yachty semble ici s’être épris du flow de Playboy Carti, de ses gimmicks et de ses ad-libs si particuliers. Le featuring entre les deux rappeurs est caricatural et il demeure cette étrange impression d’avoir écouté un morceau issu de l’album de Playboi Carti tant Yachty duplique son univers. Bien loin du niveau de son compère, il peine à suivre le rythme et se retrouve souvent off-beat, résultant de ça un charabia atrabilaire où il semble déblatérer ses punchlines au débotté.

« We Outta Here » est un concentré de tous ces problèmes dont on se serait volontiers passé. Sur une production qui apparaît être une version cheap de celles sur lesquelles Carti à l’habitude de poser, Yachty mâche ses mots et rend son phrasé peu intelligible, ce qui a au moins l’honneur de masquer la grande faiblesse lyricale. Au milieu de tout cet océan de médiocrité se trouve l’île « I’m The Mac« : des basses qui ne fracassent pas le conduit auditif, un léger loop de synthétiseur et des punchlines raccourcies qui lui permettent plus de percussion dans le flow sont la recette d’un morceau réellement réussi.

Le côté « rap » de l’album abâtardit malheureusement ce dernier ; qui comporte malgré tout son lot de morceaux intéressants, qui sont sans surprise les morceaux où le jeune homme d’Atlanta abandonne le rap au profit du chant. Dans des ambiances planantes, feutrées, il crée des mélodies dont l’harmonie avec la production est bien plus évidente que lorsqu’il tente de kicker. Sujet à de vifs débats, l’autotune tient avec Lil Yachty l’un de ses meilleurs représentants. Sans l’utiliser à outrance, il en fait une utilisation mélodique certes quelque peu stéréotypée mais toujours juste, servant parfaitement la création de l’univers stellaire qu’habite les morceaux dans lesquels il recourt à cet outil. « Yacht Club » en featuring avec Juice WRLD étaye ce propos, et de l’osmose entre les deux artistes naît une ballade dont la douceur tranche avec le thème qui porte sur leur vie sexuelle, laissant le respect de la femme tristement de côté.

Entrailles de l’album

Au delà de sa musique, le succès de Yachty a été bâti sur un univers lyrical déjanté, un storytelling au côté benêt et immature assumé donnant lieu à des phases décalées qui faisaient son originalité. Au fil de l’écoute de ce nouveau projet, on se rend compte qu’il a tout bonnement perdu cet aspect déjanté pour laisser place peut-être à une version plus sobre et mature ? Il suffit de se plonger un court instant dans les lyrics que compose Nuthin’ 2 Prove pour comprendre qu’il n’en est rien. Ni drôle, ni profond, ni pute, ni soumise, ce projet présente une version dramatiquement mièvre du rappeur aux dreads rouges. S’il était capable de déchaîner les passions (oui, il en était capable) avec des punchs à la limite de l’attardement mental, il est ici ennuyant et nous tire non pas des sourires coupables mais de longs soupirs d’exaspération. Cette pauvreté d’inspiration est également incarnée par des couplets de la longueur d’un vine et des refrains à rallonge dont certains paraissent interminables.

La production de l’album est à l’image de ce dernier : branchée sur courant alternatif, elle passe du bon voire très bon au très mauvais. Sans réel éclair de génie, il y a cependant une vraie volonté d’insuffler différentes nuances au fade monochrome qu’est Nuthin’ 2 Prove. Soyons de bonne foi et accordons au moins à ce projet le luxe de ne pas se contenter d’un unique registre. L’éclectisme de la production corrobore les variations de flow (quel qu’en soit la qualité) de Yachty, ce qui permet d’enrayer la monotonie qu’habite pléthore d’albums de cette génération Soundcloud.

A l’instar de son précédent opus, ce sont les artistes en featuring qui se démarquent et apportent une réelle plus-value. Entraînant en revanche un problème majeur : en partageant le micro avec des MC de la trempe de Cardi BOffset ou encore Kevin Gates, qui réalisent tous des performances notables, les lacunes techniques de Yachty ne sont qu’encore plus flagrantes. Réunis sur un même son, la rappeuse la plus streamé de l’année épaulée par le membre des Migos survolent une prod pourtant moyenne et éclaboussent le morceau de leur talent quand Lil’ Boat peine à dompter le beat.

De bric et de broc

J’entretiens avec Lil Yachty une relation néfaste, venimeuse, presque sado-masochiste. Habité par cette inexplicable attente pour la sortie de ses projets dans lesquels je fonde beaucoup d’espoir, je sais au fond de moi que je serais déçu. Nuthin’ 2 Prove ne déroge pas à la règle et l’espoir porté en cet album se solde comme à l’accoutumée par une immense déception et ce sentiment de gâchis. Il réside toujours cette impression que Yachty souhaite évoluer dans un registre qui n’est pas le sien et tente d’emprunter des flows qu’il ne maîtrise pas, le rap obombrant la lumière qui peut se dégager de ses mélodies chantées. Ne souhaitant pas pour autant abandonner le chant au profit du rap, il essaye sans succès de faire cohabiter ces deux univers musicaux dans un projet non pas novateur ni expérimental mais seulement brouillon. Ce nouvel album apparaît comme un collage raté, un assemblage de pièces distinctes sans aucune cohésion et regrettablement pusillanime. Si la recette est quelque peu différente de celle de Lil Boat 2, le goût est teinté de la même amertume (certes quelque peu atténuée par les morceaux mélodiques) mais surtout de la même frustration. Gangrené par son egotrip frénétique, la musique de Lil Yachty ne pourra s’épanouir qu’une fois qu’il se sera remis en question et défini les contours de l’univers qu’il souhaite bâtir pour nous offrir enfin un album à la hauteur de son talent.

Théo Lovestein

Malgré sa myopie, critique d'un oeil avisé. Son père a un jour dit de lui : "S'il passait autant de temps à ranger sa chambre qu'à écouter du rap, on pourrait bouffer par terre."

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