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Lil Wayne – Tha Carter V

Tha Carter V est un projet que l’on espérait plus. Malgré une apparition convaincante sur le « No Problem » de Chance The Rapper il y a deux ans, Lil Wayne était devenu un membre assidu de la case faits divers. Sa santé vacillante, son différend avec Birdman, ses démêlés judiciaires. Ce qui nous a confortés dans notre démarche de laisser tomber l’urgence, la release date du 28 septembre dernier, pour mieux appréhender un disque qui a mis du temps avant de s’offrir à nous, et dont l’enregistrement a débuté il y a déjà six longues années.

More Than an accomplishment

Lil Wayne avait tout pour plier le game et devenir le visage du Rap des années 2000. D’une rencontre salvatrice à l’âge de neuf ans avec un certain Bryan Williams à son hospitalisation l’année dernière pour troubles épileptiques en passant, forcément, par une année 2008 bénie par la sortie de Tha Carter III. Si le début des années 2010 marque son apogée, il constitue aussi le point de départ d’un lent déclin que l’on pensait irrémédiable.

On connait les raisons qui ont empêché cet album de sortir depuis tant d’années. Dans les tuyaux depuis 2012 et annoncé une première fois en 2013, Tha Carter V n’est que la victime collatérale des tensions toujours plus vives entre Lil Wayne et le souverain du royaume Cash Money, Birdman. Celui-ci, jadis considéré comme un père d’adoption par Weezy, a repoussé inlassablement le projet, le litige trouvant son épilogue devant les tribunaux en plein marathon Kanye West, le 6 juin dernier. Un épilogue favorable à Wayne, puisque deux mois après la sentence, l’album promis est enfin là, et un mois après sa sortie, le moment est venu de poser un avis dessus.

Autant le dire tout de suite, le rappeur a vu les choses en grand et signe un retour en grandes pompes. Vingt-trois titres, presque une heure et demie de musique, et de nombreux invités, dont on parlera dans le détail plus loin. Ceux qui suivent Weezy depuis l’époque Hot Boys le savent : le rappeur n’a eu de cesse, à travers ses morceaux, de célébrer la femme qui l’a mis au monde. Comme sur Tha Carter III et Tha Carter IV, Lil Wayne nous expose sa bouille innocente d’enfant sur la cover. Contrairement à ces deux albums, il est accompagné pour la première fois par sa mère, Jacida Carter. Un moment forcément important pour le rappeur, comme il l’expliquait il y a déjà quatre ans à Billboard :

This album means a lot to me. People been waiting on this album and I’m just at the point in my life and stuff to have my mom on there. It’s more than an accomplishment, it’s an achievement.

Don’t cry, stay tuned

D’emblée, ce disque se distingue par sa pléthorique liste d’invités, dont certains se sont directement inspirés du natif de la Nouvelle-Orléans. D’abord Jacida Carter, qui ouvre l’album par le monologue « I Love You Dwayne ». Spoken word qui pourrait en émouvoir certains comme en endormir d’autres, ce track se révèle être un témoignage public de l’affection et de la fierté qu’elle éprouve pour son bien aimé Dwayne.

Le regretté XXXTentacion livre une prestation signifiante sur « Don’t Cry », le discret Swizz Beatz lâche quelques notes sur « Uproar », tandis que Travis Scott importe un peu de son Astroworld sur « Let It Fly ». Kendrick Lamar, quant à lui, continue de transformer tout ce qu’il touche en or. Il signe une nouvelle prestation magistrale sur « Mona Lisa », morceau qui s’impose déjà comme le blockbuster du disque. Nicki Minaj n’est pas en reste sur « Dark Side Of The Moon », alors que Snoop Dogg ne délivre pas la performance de sa vie sur « Dope Niggaz ». On retrouve également un Sampha apaisé sur « Let It All Work Out », track qui clôt le disque.

 

Lil Wayne convie même son ex femme Nivea, mère de l’un de ses quatre enfants, sur « Dope New Gospel », ainsi que son premier enfant Reginae, sur un des morceaux les plus forts de l’album, « Famous ». Suite à une si longue attente, il était intéressant de voir ce que Dwayne pouvait proposer en termes de rap en 2018.

De ce point de vue, on ne peut pas dire que l’intéressé déçoive. D’abord en surclassant son cadet Travis Scott sur « Let It Fly », ensuite en démontrant sur « Problems » qu’il est parfaitement conscient des évolutions du game, ou encore en tenant tête à Kendrick sur « Mona Lisa ». Toujours armé de son timbre de voix granuleux, Lil Wayne le rappeur devenu superstar malgré lui fend pourtant l’armure à plusieurs reprises et laisse place à Dwayne Carter, homme quoi qu’on en dise lessivé par les épreuves que la vie a pu mettre sur son chemin.

Dear Life

« Open Letter » est à cet égard criant. Lettre ouverte à ses proches, à ses fans, et à ceux qu’il considère en général, ce monologue sans refrain offre une lecture sans concession des maux qui ont pu tourmenter Lil Wayne ces dernières années. Le dégoût de soi-même, les responsabilités paternelles, ou encore la tentation de s’ôter la vie. Des tourments autrement mis en lumière dans « Demon », où le rappeur remet en perspective les conséquences du pouvoir de l’argent et de la luxure sur les hommes.

Mais ne vous attendez pas à un disque mélancolique. La démo offerte sur « Hittas », morceau tout droit tiré de la période « I’m the best rapper alive », nous rappelle que Petit Dwayne reste un as de l’egotrip effronté, ainsi qu’un type capable de nous jeter en pâture sa vision très personnelle du polyamour sur « Perfect Stranger ». Ce qui nous rappelle qu’au final, sur cet album de vingt trois titres, l’esthétique sonore se révèle être protéiforme, comme l’indique le pedigree des mains invisibles qui ont fait le son de ce Tha Carter V. A commencer évidemment par les vieilles connaissances Infamous, Cool & Dre, et Mannie Fresh, qui nous rappellent les bons moments de l’époque Cash Money.

Thank the lord, I ain’t a broke nigga

La nouvelle tête d’affiche des producteurs rap d’aujourd’hui Metro Boomin’ signe (en compagnie du français Prince 85) la prod de « Used 2 ». L’underground est représenté par Nick Da Piff (« Open Letter »), ou encore Louie Haze (Dedicate), sans oublier les hitmakers reconnus que sont Ben Billions et Dj Mustard. Tha Carter V était de ce fait destiné à marcher, commercialement parlant. L’attente du public, les featurings tous plus prestigieux les uns que les autres, l’équipe hétéroclite mais au final terriblement dans l’ère du temps à la production rendent le succès de ce disque évident.

Un succès que ne viendra pas ternir les temps morts qui noircissent quelque peu le tableau. Du discours d’Obama (sur l’Outro de « Dedicate ») à l’omniprésence de sa mère, ce disque n’est pas sans défaut. Mention spéciale à l’utilisation du sample du classique de Dr. Dre « Xxplosive » sur « Dope Niggaz », qui divisera sans doute les auditeurs assidus du disque.

 

Un disque qui vient surtout nous rappeler que, malgré ses multiples déboires, et un Tha Carter IV pas au niveau de ses prédécesseurs, Lil Wayne est un rappeur ayant marqué toute une génération d’amateurs de rap des années 2000, et qu’il est toujours pertinent dans les années 2010. Ce dont ne peut se targuer Eminem. Weezy est bel et bien de retour aux affaires, et dans une époque où la surproductivité est de mise, lui qui était déjà connu pour sa capacité à multiplier projets et collaborations, on a hâte de voir ce qu’il nous réserve dans les années (mois ?) à venir.

Basqui

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