Lettre ouverte à Apollo Brown
Cher Apollo, je me permets de t’appeler Apollo, car pour moi ça fait bien longtemps que tu fais partie de la famille. Ma famille Hip-Hop du moins. Voilà maintenant presque 4 ans que je t’écoute de façon régulière et que tu fais intégralement partie de ma vie musicale. Tu as même eu, pendant longtemps, une place de choix dans mon lecteur MP3.
Je t’ai découvert à travers l’album Gas Mask sorti en 2010. À l’époque, tu officiais avec le groupe The Left, un trio que tu composais avec tes acolytes DJ SoKos et Journalist 103. Cet opus fut une vraie claque, un album qui marque. En tout cas qui m’a marqué et qui me suit encore partout. Avec du recul, je n’ai pas peur de le dire, ce Gas Mask fait sans doute partie de ce qui se fait de mieux niveau Hip-Hop. Il est pour moi l’un des meilleurs albums double H de tous les temps. Oui oui, tu vois Apollo, tu m’as touché et ce ne fut que le début d’une belle histoire.
Suite à ça, j’ai appris à te découvrir, que ce soit à travers tes beat tapes ou tes albums en collaboration. Et que dire des EPs The Reset ou Clouds qui m’ont fait voyager et m’ont permis de découvrir ce monde du beatmaking qui m’était alors quasi inconnu… Même si je fus moins séduit par ton album avec Boog Brown, tu me claques derrière Daily Bread, Dice Game et ce monstrueux Trophies. Telle une groupie je me mets à acheter tes opus en physique et mets la main à la poche pour prendre possession de certaines de tes galettes en vinyle. Puis, en 2012, tu passes du côté de Rennes au Dooinit festival pour un show que je n’oublierai jamais avec ce DJ set dont mes tympans ne se remettent toujours pas.
Et puis voilà Ugly Heroes. Tu sais Apollo, à ce moment-là, cela fait déjà quelque temps que sur la toile, des individus crient à l’usurpateur et te reprochent de ne pas te renouveler. À partir de maintenant tu es épié. Mais jamais je ne te lâche, j’essaie de défendre ta ligne de drums, ta basse et tes samples soulful qui me collent une douille à chaque fois que je fais play et enfile mon casque pour t’écouter. Ugly Heroes est là, et force est de constater que tu reprends tes vieilles recettes pour nous en mettre plein la vue. Mais le public gronde et le couperet tombe : comment Apollo Brown peut-il survivre dans le game si ses beats n’évoluent pas ?
Pour Ugly Heroes vol 2, même conclusion. La foule s’élève contre toi, mais je tiens bon et te défends corps et âme. Chaque producteur a son empreinte, son style, une chose est claire tu maîtrises le tiens à la perfection ; n’est-ce pas l’apogée pour un producteur ? Tu as su, à travers les années, imposer ta patte. Des beats que l’on reconnaît entre mille et qui résonnent Brown, Apollo Brown.
L’album Blasphemy, en collaboration avec ton pote Rass Kass, vient de sortir au moment où j’écris ces lignes. Le constat est sans appel, un son de vinyle qui craque, une ligne de drums qui tabasse et des samples soulful à la pelle. Pas de doute, on écoute bien du Apollo Brown. Comment un homme de Detroit peut-il fermer les yeux devant une musique qui a bercé sa ville ? Voilà ma réponse à tes détracteurs.
Cela dit, je remarque que sur certains morceaux tu muscles ton jeu, sur « Giraffe Pussy » par exemple. Tu essaies de te diversifier, mais cela ne fait qu’écran et je vois déjà s’abattre sur toi des tas de reproches. Mais comment blâmer ces gens ? Le constat est net : ce n’est pas sur cet opus que tu vas te réinventer. Alors oui, tu n’as pas la faculté d’un The Alchemist à partir dans tous les sens ou d’un Just Blaze qui a su produire des sons aussi bien mainstream qu’underground. Mais ce jugement n’est-il pas à relativiser quand on voit l’efficacité de tes morceaux ? Quand on voit comment tu arrives à nous faire bouger la tête sur chaque mesure ?
Quoi que l’on dise, un nouvel album d’Apollo Brown ça émoustille. Tes instrus sont toujours aussi mélodieuses et pourraient s’écouter en boucle pendant des heures. Certains de tes samples sont cramés, mais qu’importe, tes prods butent toujours autant. M’as-tu déçu ? Non. Cependant, je ne peux me mettre des œillères et faire la sourde oreille. Tu tournes trop en rond Apollo, mais en seulement 4 ans de carrière, est-il possible de te le reprocher ? Des beatmakers comme Primo ou Pete Rock ont derrière eux des dizaines d’années d’expérience. J’ai confiance en toi Apollo, je sais que tu aimes les samples soulful et que ta ligne de drums paraît inamovible, mais pense à nous, à eux, on aimerait tellement te retrouver avec un projet qui t’éloigne de tes sentiers. Tu as là une bonne occasion de clouer le bec à tes détracteurs. Et aussi fidèle que je sois, je te l’admets, moi aussi j’attends cet opus. Make me dream Apollo, make me dream.