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Le mafia rap : un genre qui traverse les âges

Apparu à la fin des années 80, le « mafioso rap » n’a depuis quasiment jamais cessé d’exister dans le paysage Hip-Hop. Qui sont les artistes qui continuent de faire perdurer ce genre aujourd’hui, presque 30 ans après ses débuts ?

Le rap mafioso, c’est quoi ?

On estime que le rap mafioso trouve ses racines en 1989 avec le premier album de Kool G Rap & DJ Polo intitulé Road to the Riches. Le déjà très talentueux MC new-yorkais y faisait quelques références à des gangsters notoires issus de la réalité comme de fictions (ex : Al Pacino en tant que Scarface). Les textes sont empreints de lyrics étalant une vie luxueuse ostentatoire ainsi qu’un grand nombre de mentions à des activités liées au crime organisé.

Ce sont donc des éléments qu’on retrouve typiquement dans des morceaux de rap mafioso. Voitures luxueuses, bijoux en or, champagne et vêtements hors de prix, trafic de drogue, proxénétisme, meurtres, voilà ce qui habite le plus communément le titres de cette sous-catégorie du rap. Quelques noms de personnes qui ont marqué l’histoire du crime organisé (Lucky Luciano, Al Capone, Pablo Escobar…) sont souvent cités dans les titres voire utilisés par les rappeurs comme alias (coucou Rick Ross), il en va de même pour les titres de films mafieux ou leurs personnages principaux (Casino, Le Parrain, Scarface…).

Les alter-egos du mafia rap

Nas / Escobar

Après avoir dépeint la criminalité sur son premier album qu’on ne présente plus, Nas décide d’endosser la veste du rappeur mafioso sur son deuxième opus It Was Written. Il s’approprie alors l’alias d’Escobar, en référence au baron de la drogue colombien. A l’image de morceaux comme « I Gave You Power » ou « Affirmative Action », ses textes s’orientent à présent plus vers des thèmes classiques du rap mafioso. Nas fonde même le groupe The Firm aux côtés d’AZ, Foxy Brown et Nature, entièrement dédié au genre mafieux.

Jay-Z / Frank Lucas

Dès son premier album Reasonnable Doubt, Jay-Z établi le mafioso rap comme son genre de prédilection. Mais c’est sur son dixième projet intitulé American Gangster que Sean Carter s’approprie le rôle du célèbre gangster Frank Lucas. Le choix n’est pas hasardeux car les deux protagonistes partagent certaines choses, notamment la vente de drogue, qui a fait vivre Jay-Z dans sa jeunesse.

The Notorious B.I.G. / Frank White

Le regretté Biggie Smalls avait lui aussi pour habitude de dépeindre sa vie luxueuse liée à des activités illégales sur ses albums. Il a choisi d’associer son nom à celui de Frank White, baron de la drogue dans le film King of New York. La comparaison fait sens, B.I.G. ayant lui même été confronté au trafic de stupéfiants avant de se lancer dans la musique, ce qui le conduisit en prison.


Kool G Rap / Sam Giancana

Comment parler des rappeurs mafioso sans évoquer celui qui est considéré comme le père de ce mouvement. Si Kool G Rap a « namedroppé » de nombreux Parrains ou gangsters notoires du 20è siècle (Carlo Gambino, Bugsy Siegel, Frank Costello, etc…), c’est le nom de Sam Giancana qui lui a inspiré son album The Giancana Story, sorti en 2002. Ce criminel d’origine sicilienne incarnait la puissance. Il dirigea le Chicago Outfit, association de gangsters à laquelle sont associés quelques grands noms du milieu mafieux tels que Johnny Torrio, Al Capone ou encore Frank Nitty.

Deux milieux intimement liés

La corrélation entre rap et crime organisé n’est pas qu’une histoire de paraître, ces deux milieux ont bien des choses en commun. Mettons de côté le passé (ou le présent) de certains rappeurs mêlés à des affaires de criminalité, les gangsters et les rappeurs ont finalement un même objectif à la base : trouver un moyen de sortir de d’une routine, d’une vie « misérable ». Dans les deux cas, leur activité a souvent été critiquée, en particulier quand elle a commencé à prendre de l’ampleur. Tout comme les mafias, le rap a commencé à déranger quand il est devenu important et qu’une grande partie de la population s’est retrouvée dans ce que ces « prophètes de rue » clamaient au micro. Car en effet, qu’on soit gangster ou rappeur, l’enjeu principal est bel et bien d’étendre son influence le plus possible.

D’autre part, tout comme le crime organisé est une histoire de clans et de familles, le hip-hop a lui aussi ses guerres et ses alliances. A l’échelle des quartiers (Queens vs Bronx / MC Shan vs Boogie Down etc…), des villes, ou encore du pays (East vs West). Mais les clans ne sont pas uniquement prétexte à des rivalités, un rappeur réussi rarement sans l’appui d’autres personnes dans le milieu hip-hop. Le fait que les artistes du rap s’inspirent des gangsters n’est donc pas complètement anodin.

Alors que les artistes rap prenaient jusque là une position de victimes du système condamnées à vivre isolées dans le ghetto afin de revendiquer un certains nombre de choses, le rap mafioso s’impose dans la posture totalement opposée. Les MC’s prennent désormais le rôle de « Don », des personnes qui dirigent des organisations entières, voire des sociétés, et qui vivent dans l’opulence après avoir réussi à sortir de la misère, bien souvent grâce au trafic de drogue ou autre activité illégale. Si pour certains des rappeurs ces thèmes n’étaient que pure fiction, ils étaient pour d’autre directement liés à leur quotidien ou à une partie de leur passé.

Mafioso rappeurs, « de pères en fils ».

Le succès qu’a connu Kool G Rap a ainsi inspiré un grand nombre de rappeurs à s’essayer à ce style dans les années 90, parmi lesquels on retrouve quelques pointures tels que Raekwon, AZ, Nas, Notorious B.I.G. ou encore Jay-Z à travers des albums comme Only Built 4 Cuban Linx, Reasonnable Doubt, etc.…. Durant la décennie suivante, le style a perduré à travers l’aura de certains rappeurs que sont notamment Rick Ross ou Jadakiss, en introduisant toujours des références d’actualité en matière de produits de luxe. Toutefois s’il est un peu moins présent aujourd’hui dans la partie émergée de l’iceberg hip-hop, plusieurs artistes continuent de faire du rap mafioso leur marque de fabrique en y apportant leur touche personnelle, en le faisant évoluer.

C’est le cas de rappeurs tels que Roc Marciano, Westside Gunn, Meyhem Lauren ou encore Willie The Kid (entre autres), qui sont aujourd’hui ceux qui perpétuent la tradition du rap mafioso en y apportant leur touche personnelle. Ce renouveau dans le style réside à la fois dans leur façon de rapper et dans les productions choisies. La plupart de ces rappeurs rappent sur des beats au rythme lent qui sont bien souvent constitués d’une courte boucle samplée à laquelle on ajoute des drums très peu percutants, voire pas de drums dans certains cas. Ainsi les rappeurs vont adopter une attitude plus calme, « lay-back » dans leur façon de spitter, qui épouse parfaitement les instrumentaux relativement smooth et les confortent tout à fait dans leur position de dominateur du rap ou de la rue. La force tranquille….

Les héritiers du mouvement aujourd’hui

ROC MARCIANO

Actif dans le milieu hip-hop depuis plus de 10 ans, d’abord au sein du groupe The U.N., Roc Marciano a sorti son premier album solo intitulé Marcberg en 2010. Marci base son rap sur la technique et en particulier les rimes multisyllabiques. Il développe bien souvent une seule et même rime sur plusieurs « bars » d’affilées grâce à un lexique étoffé qui va chercher aussi bien dans l’argot que dans l’anglais formel. Sa grande aisance lyricale lui vaut d’être invité sur bon nombre de titres chaque année.

Un projet de Roc Marciano à écouter : Reloaded.

MEYHEM LAUREN

Originaire du Queens, Meyhem Lauren s’impose au micro par une présence vocale et un flow légèrement plus soutenus que celui de ses contemporains dans ce genre. Il renoue avec le style mafioso des 90s en faisant le choix de kicker sur des productions plus typées boombap.

Un projet de Meyhem Lauren à écouter : Silk Pyramids

WILLIE THE KID

Willie The Kid, est le frère du rappeur L.A. The Darkman (affilié au Wu-Tang). Après avoir fait ses débuts sur les mixtapes de DJ Drama en 2006, il développe peu à peu son propre style pour finalement sortir des projets solos. Sur des productions toujours en adéquation avec leur époque, Willie The Kid vante sa vie luxueuse et son goût pour les belles femmes tout en maîtrisant un rap relativement technique.

Un projet de Willie The Kid à écouter : The Masterpiece Theatre

WESTSIDE GUNN

La musique de Westside Gunn est intimement liée à son quotidien dans la ville de Buffalo, dont il est originaire. Armes à feu, tissus de luxe et trafic de drogue sont les thèmes prédominants dans ses morceaux. Il développe un style qui comporte tous les codes du rap mafioso, et s’apparente à ce que peu faire Roc Marciano à travers un rythme assez lent sur des beats sombres. Après plusieurs mixtapes et un grand nombre de titres en collaboration avec son accolyte Conway, le rappeur de Buffalo a sorti en ce début d’année 2016 un album très prometteur.

Un projet de Westside Gunn à écouter : Flygod

Si nous nous sommes ici centrés sur des rappeurs new-yorkais pour la plupart, le rap mafioso ne connait pas de barrières et s’étend d’Est en Ouest sur la carte des Etats-Unis, avec bien évidemment quelques variantes selon les régions, à l’image de certains rappeurs comme Scarface ou Freddie Gibbs dans le Sud.

Ecouter notre playlist spéciale Mafia Rap

Afin de découvrir un peu plus ce genre très répandu, nous vous avons concocté une petite playlist de 10 morceaux qui illustrent le mafia rap.

Sébastien Laurent

Voue un culte à MF DOOM. S'intéresse au rap des bas-fonds, celui dont on ne parle pas assez. Un soupçon de technique dans l'écriture et un beat sombre font son bonheur.

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