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Le hustle selon Armani Caesar

Armani Caesar est née en 1989 dans l’est de Buffalo (New-York). Comme Conway The Machine, Westside Gunn, Benny The Butcher, ou encore le producteur historique du label : Daringer. Très enthousiaste à l’approche de sa premiere date parisienne, on a tout de même pris le temps d’aborder en profondeur plusieurs sujets qui nous ont permis de mieux comprendre et appréhender la personnalité d’une rappeuse qui rappe avec la faim de celles et ceux qui ont encore tout à prouver, suite à la sortie de son album THE LIZ (en 2020), et du succès de THE LIZ 2, sorti l’année dernière.


Si elle a commencé à gratter des textes dès l’âge de douze ans, la rappeuse de Buffalo a réellement explosé en 2020 après la sortie de son album THE LIZ, le premier chez Griselda, projet captivant et concis de onze titres qui lui a valu un beau succès d’estime. Néanmoins, elle a construit sa crédibilité de emcee avec patience à travers quatre projets. Bath & Body Work, 2009, quand elle n’était encore qu’une promesse. Puis Hand Bag Addict, sorti en 2011. Caesar’s Palace, qui date lui de 2015, période charnière dans l’histoire récente du Rap. Et enfin Pretty Girls Get Played Too, son meilleur projet jusque-là, arrivé dans les bacs en 2018. Pour BACKPACKERZ, elle est revenue sur cette transition.

« C’était un moment vraiment tendu pour moi. Je n’ai pas été exposée dès le début de ma carrière. J’ai dû lutter dans l’ombre, spécialement pour quelqu’un comme moi qui ai quitté New-York assez tôt pour la Caroline du Nord pour aller à l’école. J’ai dû me reconnecter à la scène locale, aux Djs, aux rappeurs. Cela a pris du temps, mais j’ai aussi beaucoup appris. À propos du business, des contrats, à propos de moi-même, de la musique, sur comment rester authentique en faisant mon truc. Beaucoup de questionnements sur : où je voulais aller, ce que je voulais vraiment en tant que rappeuse. Je ne voulais pas qu’on me mette dans une case et qu’on me dise quoi faire. »

DJ Shay était une figure ultra respectée de la scène Rap à Buffalo. Pionnier, fondateur du label Buff City Records, producteur historique de la Black Soprano Family, grand frère et ancien ayant collaboré avec les figures historiques de Griselda : Westside Gunn, Conway, ou Benny The Butcher, il est malheureusement décédé en 2020, à l’âge de quarante-huit ans. Si tous les visages aujourd’hui connus de Buffalo se sont unis pour commémorer la perte d’un personnage éminent de la culture locale (il apparaît à la fin du morceau « Forever Dropping Tears » de Conway), on a demandé à Armani Caesar de revenir sur l’impact qu’il a pu avoir sur sa vie à elle, du temps de son vivant, et de son héritage, toujours intact dans la ville.

« Ça me fait toujours quelque chose de parler de lui. Merde, je n’arrive pas à croire qu’il est parti il y a déjà trois ans. Je vais te dire les choses de manière explicite : rien de tout cela n’aurait été possible sans lui. Il n’y aurait pas eu de Westside Gunn, pas de Conway, pas de Benny sans DJ Shay. Il faut le comprendre. Et là je ne te parle que des artistes les plus visibles du coin. Tout a commencé avec lui. C’était son rêve. Il voulait mettre Buffalo sur la carte du Hip-Hop Us, il en a façonné le son. Il organisait les soirées. »

Elle continue. « À titre personnel, je n’aurais jamais rencontré les gars de Griselda sans lui. Je faisais partie d’un espèce de collectif, Shay s’occupait de nous. Il a été la première personne à croire en moi et à mettre de l’argent sur moi en tant qu’artiste. À cette période, je n’avais évidemment pas les moyens de me payer des séances de studio. J’étais une ado, mais il m’a fait confiance et s’est toujours bien comporté avec moi. Il n’était pas tendre avec nous pour autant, et avec moi en particulier. Ce gars m’a aidée à vraiment aller chercher au plus profond de moi-même pour rapper. Il avait cette obsession, que la musique doit venir des tripes, vu d’où l’on vient, on n’a pas le droit de tricher. Grâce à lui, j’ai pris le Rap au sérieux. Je lui en serais toujours reconnaissante. Qu’il repose en paix. »

Credit photo : LADEGAINE

En dehors du Rap, Armani Caesar est devenue une businesswoman accomplie. Notamment grâce sa marque grandissante Armani’s Closet. On a cherché à en savoir plus sur cette part de sa vie assez méconnue du grand public.

« C’est comme avoir une autre vie. Je fais de la musique, je suis donc une créatrice, mais après cela, je dois mettre l’artiste de côté pour être une Girlboss et faire tourner mes business. Mais je suis habituée à cela. Comme je te le disais tout à l’heure, j’ai été longtemps dans l’ombre avant d’entrevoir ce qui est en train d’arriver aujourd’hui. J’ai été indépendante pendant longtemps avant de signer chez Griselda. Donc il a fallu que je me débrouille. J’ai même fait du Strip à une époque, et plein d’autres choses. Je suis une charbonneuse. »

« Je n’avais pas de label pour investir sur moi, zéro exposition, rien. J’ai dû donc charbonner en parallèle, pour avoir la vie que je voulais sans faire de concessions, puis prendre soin de ma famille par dessus tout. J’ai dû activer un espèce de Boss mode, tout apprendre from scratch, tout étudier, analyser, faire des erreurs et avancer. Armani’s Closet a été lancé alors que j’étais encore à l’école. Ce qui n’était au départ qu’une activité pour me faire un peu d’argent s’est transformé en quelque chose de concret aujourd’hui. J’ai du me former en parallèle. Comptabilité, marketing, le décisionnel, l’inventaire, ma chambre était même devenue mon entrepôt pour que je puisse maintenir un volume de ventes élevé. »

« Mais je devais le faire. Et le plus drôle c’est qu’Armani’s Closet a commencé à grossir au moment où je signais chez Griselda. Les choses sont arrivées très vite. Mais j’étais préparée à cela, avec l’aide de ma team. L’enregistrement de THE LIZ n’était pas facile pour être honnête. Je devais gérer la pression de voir mon premier album sortir pour ce label, quelque chose que je voulais fort, et dans le même temps l’expansion de mes business à côté. Aller au studio jusqu’à pas d’heure, dormir, m’occuper des commandes des expéditions, les factures, puis retourner au studio. Mais je suis bien entourée et confiante dans l’avenir. »

Credit photo : LADEGAINE

Armani Caesar a signé chez Griselda Records en 2020. S’ils sont nés et ont grandi dans la même ville, c’est à l’adolescence qu’elle apprit réellement à connaître les gars du label, notamment West, via la connexion avec le regretté DJ Shay. Mais, le temps que chacune des parties fasse ses armes chacun de son côté, côté Rap comme côté business, le temps que la rappeuse revienne à Buffalo, elle qui s’était exilée en Caroline du Nord, il y eut quelques années de silence entre les deux parties. On voulait évidemment en savoir plus sur cette période qui, au final, aboutira à un move (la signature chez Griselda) qui changera à jamais sa carrière de rappeuse.

« En vrai, même si on ne se voyait plus, on est toujours restés connectés. On se suivait sur les réseaux, dès que je faisais quelque chose, ils partageaient, dès qu’ils faisaient quelque chose, je partageais. Quand Conway faisait un concert, on soutenait, pareil pour West. Sans même se concerter au préalable. Toujours une famille. Il y a de l’amour entre nous depuis le début. Mais il fallait qu’on fasse nos choses de notre côté. West était dans son hustle avec Conway, j’étais également dans le mien. Je n’étais plus à Buffalo pendant un moment. Je savais qu’on allait se retrouver mais il fallait que cela se fasse dans de bonnes conditions. Pour tout le monde. Ça a pris le temps qu’il fallait, mais on l’a fait. Quand Griselda a été officiellement lancé, en 2012, je n’étais pas prête. J’étais encore trop dans mon hustle. Mais West a été patient. Il m’a dit qu’il n’imaginait personne d’autre que moi pour être la first lady du label. »

Évidemment moins connue que Los Angeles, Miami, Chicago, ou encore Detroit, Buffalo demeure la seconde municipalité la plus peuplée de l’état de New-York. Elle a joué un rôle important dans l’histoire industrielle des États-Unis, en particulier en tant que centre de l’industrie de l’acier et des transports au XIXème et au début du XXème siècle. Cette histoire industrielle a évidemment laissé une empreinte durable sur la ville.

Comme d’autres villes aux USA, Buffalo a aussi connu des taux élevés de crimes violents, homicides, agressions et vols à main armée, souvent liés à des problèmes socio-économiques. Armani Caesar dit que cette ville a fait d’elle une sauvage. On lui a demandé de préciser sa pensée.

« Le truc, à Buffalo, c’est qu’on n’avait pas de scène à laquelle nous identifier. On se revendique de Buffalo et pas de New-York, alors qu’on fait partie géographiquement de NY. La municipalité dans laquelle on est nés est un peu en vase clos, il n’y avait pas de support venant de l’extérieur. On a vraiment grandi entre nous et on devait faire les choses par nous-mêmes. »

« Dans une ville comme la nôtre, il n’y avait pas de radio, pas de média, rien niveau culture, rien pour avoir de l’exposition. C’était dur. Il n’y a rien pour nous aider à rêver, rien pour y remédier, et aucun exemple de réussite auquel s’accrocher. Rien à faire. Bien sûr, cela crée une espèce de frustration, après cela dépend de comment tu utilises cette frustration. Soit c’est un moteur, et ça te pousse à t’accomplir au-delà de tout ce que tu aurais pu imaginer, soit ça te bouffe, de l’intérieur. Puis les problèmes commencent, la drogue, la prison, les assassinats, les amis partis trop tôt. Je fais très attention au rôle que je peux avoir. On est des modèles malgré nous, et on doit y faire attention. Je suis Armani Caesar, une femme dans cette industrie. Il y a une communauté derrière nous, on se doit de rester vrai. »


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Credit photos : LADEGAINE

Interview réalisée avec l’aide de Wilfried Sogui.

Remerciements : Sophie de La Place.

Basqui

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