Le hip-hop à la Philharmonie pour une exposition à 360 dégrés
Le hip-hop s’installe à la Philharmonie de Paris pour six mois, dans le cadre d’une exposition interactive dédiée à notre culture. François Gautret, commissaire de l’exposition, et les artistes David Delaplace et Fifou nous présentent cette expérience immersive, qui fait le pont entre novices et passionnés.
Un des temples parisiens de la musique dédie une exposition longue durée à la culture hip-hop. Trois ans de travail, où une équipe de passionnés a œuvré à construire un espace immersif, qui présente une vision exhaustive de la culture. Y son représentées toutes les disciplines qui la constituent, de la musique à la danse en passant le graffiti, sans oublier la mode, le cinéma et la photographie. Des valeurs « peace, love, unity and having fun » jusqu’à la jeune avant-garde du rap français.
Reconstitution de lieux qui ont vu naître le mouvement, ambiances sonores inspirées des plus grands moments de radio, projection de concerts d’artistes iconiques à 360 degrés, l’exposition stimule les quatre sens et offre à voir quarante ans de culture aux petits et grands. Le commissaire de l’exposition François Gautret nous présente sa vision du mouvement, agrémentée des avis de David Delaplace et Fifou, exposés à la Philharmonie de Paris dans le cadre de cet événement.
La rue au musée
La direction artistique de l’événement a été confiée à François Gautret. Natif de Stalingrad, un quartier qui a vu les débuts mouvement en France, avec ses lieux mythiques tels que le terrain vague de La Chapelle, la salle Paco Rabanne ou la boutique Ticaret, le commissaire de l’exposition a grandi entouré des pionniers. « Le quartier transpire le hip-hop. Dee Nasty habitait dans la tour voisine et DJ Abdel, c’était mon voisin de palier », se souvient-il.
Lui qui est entré dans le hip-hop par la danse entretient une vision holistique de la culture. Il lui tient à cœur de la présenter dans toute sa diversité, loin des clichés. « J’ai voulu casser les images préconçues », explique-t-il. « Le breakdance, c’est pas juste un ghetto blaster et un bout de carton, c’est aussi une discipline qui vient d’entrer aux Jeux Olympiques. Le graffiti, c’est pas que les tags vandales dans le métro, c’est aussi le peintre JonOne, qu’on a décoré de la Légion d’Honneur. »
Faire entrer le hip-hop à la Philharmonie de Paris, c’est pour lui une manière d’institutionnaliser le mouvement et de toucher un nouveau public, qui a pu mal interpréter la culture jusqu’ici. « Là, il n’ont pas d’autre choix que de nous regarder en face. Ils comprennent le contexte artistique et voient ce que ça raconte. » Un nouveau regard, qui par sa prise de recul, donne à voir toute l’étendue d’une culture vieille de quarante ans.
Des archives à la cime
L’idée d’une exposition sur ce thème vient de la Cité de la Musique, qui contacte François Gautret et lui propose de rendre hommage à la culture hip-hop durant six mois à la Philharmonie de Paris. « J’ai créé un centre de ressources, avec lequel on a monté plusieurs expositions, à partir de matériel que les acteurs des cultures urbaines nous ont fournis, et on a été repérés comme des spécialistes des expositions hip-hop », explique-t-il.
Vu la notoriété et la temporalité du lieu, le défi est réel. « Monter un projet trois ans en amont, alors qu’on est dans une culture très spontanée, ça a été compliqué. » Sans compter les aléas liés à la pandémie et les artistes à qui on a dû faire nos adieux. « Tonton David nous a quittés entre temps et j’aurais voulu faire quelque chose avec Virgile Abloh, confie l’archiviste. Le temps passe vite, ça m’a confirmé qu’il fallait faire quelque chose. »
Retrouver les archives éparpillées chez les particuliers a été un travail de longue haleine. En complément, l’équipe a capitalisé sur le travail de tous types d’acteurs, y compris les grandes marques. Comme « Red Bull qui crée un championnat de danse, ou Agnès B. qui vend des habits customisés par les artistes », précise François Gautret. Sa volonté est de montrer le tissu associatif qui a œuvré pour la culture comme les entreprises qui y ont investi et ont contribué à la « dé-ghettoïser ».
Premiers relais d’une culture qui a du tracer son propre chemin pour se faire entendre, les médias ne sont pas en reste dans l’exposition. Le graphiste Fifou, dont les œuvres sont exposées, atteste de leur importance : « J’ai découvert le hip-hop grâce à deux médias : les magazines et la radio. Surtout l’émission d’Antoine Garnier sur Fun Radio, où j’ai découvert le Wu Tang. » Les plus grands moments d’antenne, de Radio Nova à Grünt, sont ainsi diffusés dans une pièce dédiée de l’exposition.
La pochette de BLO de 13Block décryptée par Fifou
« BLO, c’est la pochette qui résume le mieux ma vision de la culture. Une mise en scène simple, épurée, avec une émotion dans l’ambiance. Juste avec un coloris et un décor, on ancre le spectateur dans la rue. (…) La phrase « à mon tour de briller », je l’ai trouvée forte et je l’ai mise en image avec un lustre, qui amène la lumière dans ce gouffre. C’est un oxymore. J’aime les punchlines, les choses qui marquent l’esprit et qu’on comprend tout de suite. » – Fifou
Rentre dans le cercle
Conçue tel un lieu immersif, Hip-Hop 360, Gloire à l’art de rue vise à faire vivre une expérience à son public. Le parcours s’organise autour d’un espace central : le 360. Un cercle, placé au milieu de l’exposition, et sur les murs duquel sont projetés des concerts mythiques. Toutes les générations peuvent y revivre les plus grands lives d’artistes tels que NTM, Diams ou encore IAM.
Symbolique, le cercle rappelle les origines de la culture hip-hop. Il évoque à la fois le cypher, où les artistes pratiquent entre eux le rap et la danse et se confrontent lors de battles – « Pense à l’émission Rentre dans le cercle de Fianso » , réfléchit à voix haute François Gautret, juste avant que l’on évoque les freestyles de la chaîne BET – et un mouvement qui repose à la fois sur la force de l’entourage et l’émulation du collectif.
360 degrés, enfin, c’est l’orientation prise par l’exposition, qui englobe toutes les disciplines, y compris la mode, la photographie et le cinéma. Tandis qu’à la boutique Ticaret reconstituée pour l’occasion, on admire les tenues iconiques des b-boys, une sélection de vidéos braque les projecteurs sur les vidéastes de notre culture et met en lumière quelques unes de leurs références cinématographiques.
Car, qu’il s’agisse de la rue, des musées ou des salles obscures, le hip-hop trouve son inspiration partout. En témoigne le processus de travail du photographe David Delaplace, dont les clichés sont exposés : « Si je regarde un film et qu’une image me plaît, je vais mettre stop, essayer de la recadrer en format carré, voir comment ça rendrait en photo. Pareil quand je suis dans un musée : si des couleurs me plaisent, je vais essayer de les reproduire. »
Exception française
L’autre leitmotiv, c’est de mettre en lumière la spécificité de la scène française, qui, ayant importé le mouvement dès sa genèse aux États-Unis, a tôt fait de s’en affranchir pour créer ses propres codes. Une histoire et un contexte social différents, dont le hip-hop s’est nourri, jusqu’à trouver une identité singulière.
Du point de vue de François Gautret, les français sont novateurs à plusieurs titres. « H.I.P.H.O.P a été la première émission de TV dédiée au hip-hop dans le monde. En musique, on est proches du Maghreb et de l’Afrique, donc on n’a pas les mêmes influences et des sonorités qui nous sont propres. On le voit bien avec l’afro-trap. »
Une opinion que nuance David Delaplace : « Moi, je trouve pas que la France ait une spécificité. À part quelques exemples comme JuL, cite-moi un artiste qui a son propre style. La majorité des artistes copie ce qui se fait aux États-Unis et n’a rien inventé », relativise le photographe, surnommé l’œil du rap français.
Quoi qu’il en soit, l’image a contribué à forger une esthétique : « Beaucoup d’artistes n’avaient pas de clips dans les années 90, car ça coûtait cher », se rappelle Fifou. « Ärsenik, le peu que j’en ai vu à l’époque, c’était surtout des couvertures de magazine folles, comme la une de Radikal avec l’alligator ». Un imaginaire qui se distingue de celui d’un David LaChapelle ou d’un Jonathan Mannion, connus pour leurs portraits de 2Pac et Biggie.
David Delaplace, à propos de « Air Max » de Rim’K & Ninho
« Air Max, j’étais en studio avec eux quand ils ont fait le son. Quand ils ont tourné le clip, ils m’ont invité à venir prendre les photos. Le truc que j’aime bien sur cette photo, c’est les daronnes à la fenêtre. Il y un côté naturel, où tu vois la vie du quartier. (…) De nos jours, l’image est très travaillée, il n’y a plus ce côté goleri des début. Quand un artiste arrive directement avec un personnage hyper travaillé, ça laisse pas de place à une évolution. » – David Delaplace
Toujours authentique
Lorsqu’on lui demande à qui s’adresse l’exposition, François Gautret répond en une phrase : « Les acteurs du mouvement les plus engagés s’y reconnaissent et les plus mainstream y trouvent également leur compte. » S’adapter à un public de novices, pour qui le hip-hop doit être lisible, et rester crédibles pour les passionnés, c’est le challenge que l’équipe a su relever, et que le public comme les artistes ne manquent pas de souligner.
« Apprendre des trucs à un monstre comme Joey Starr, c’est une petite fierté », confie le commissaire de l’exposition. « Par exemple, il a appris lors de la visite que Niko Noki (un des premiers compositeurs hip-hop à s’inspirer de musiques du monde, notamment pour Bisso Na Bisso, et qui a signé la bande son de l’exposition, ndr), avait été un des rares français à gagner un Grammy. »
Trouver l’équilibre entre les différentes sensibilités, voilà donc le fil sur lequel l’équipe a marché en phase de conception. « Ne pas infantiliser le discours, pour être pointus dans l’histoire qui est racontée, avec des anecdotes fortes et des dates historiques, et assez grand public pour que la jeunesse puisse l’aborder de façon simple, grâce à des collections et des œuvres interactives », explique François Gautret.
Passé, présent, futur
Ancrée dans le passé, l’exposition ne s’y résume pas. Résolument tourné vers le futur, le dispositif est pensé pour accueillir la scène actuelle, lors d’événements qui feront vibrer la Philharmonie de Paris, jusqu’à son clap de fin en juillet. Notamment le concert « Toi, toi, mon toit » sur le rooftop de la Philharmonie, avec Edge, Andy 4000 et Solo, et la soirée Hexagone avec Benjamin Epps, Chilla, Vicky R et Sheldon, dans le cadre du festival Days Off.
« Il y a une programmation riche et variée, des concerts avec de grands noms tels que Kery James, des conférences et la jeune scène hexagonale qui va venir se produire », détaille François Gautret. Le 360 est également prétexte à organiser des e-battles en ligne, où le public peut voter pour ses danseurs préférés, qui se défieront ensuite en physique. Sans compter les émissions TV et radios qui y seront enregistrées en direct.
Entretenir un dialogue et créer des passerelles entre les générations sont parmi les prérogatives de l’exposition. Une vision que partage David Delaplace : « J’ai d’abord sorti un livre sur le rap français, pour mettre tous les artistes dans un même bouquin. Ensuite, j’ai fait des expos en France et à l’étranger, donc j’ai toujours été dans cette logique de rassembler la scène rap », développe le photographe.
Selon Fifou, l’exposition est un symbole de consécration pour le hip-hop : « J’ai connu des années compliquées pour la culture. Gagner la confiance des annonceurs et des galeries a mis du temps. Voir une exposition d’une telle durée, qui puisse faire découvrir l’histoire du rap français, je trouve ça magique. Surtout dans un lieu si prestigieux », conclut le graphiste sur un ton victorieux.
L’exposition Hip-Hop 360, Gloire à l’art de rue est à retrouver jusqu’au 24 juillet à la Philharmonie de Paris.
Un grand merci à David Delaplace, Fifou et François Gautret de s’être prêtés aux jeu de l’interview et d’avoir partagé leur avis sur l’exposition et leur vision de la culture.