Larry June x 2 Chainz x The Alchemist – LIFE IS BEAUTIFUL

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7/02/25

Larry June / 2 Chainz / The Alchemist

LIFE IS BEAUTIFUL

Note :

En plein hiver, le trio a décidé de composer une ode à la vie et au luxe. La musique qui nous est proposée est-elle aussi belle que cette affirmation ? Réponse en chronique.

Un album collaboratif est toujours synonyme de défi. 

Cependant, ce type de challenge est très apprécié par certains profils, dont Larry June et The Alchemist qui ont uni leurs forces sur le très bon The Great Escape en 2023. En revanche, celui-ci devient légèrement plus corsé lorsqu’il y a trois artistes dans la boucle. Pourtant, on parle de valeurs sûres qui ne cessent d’abreuver un paysage rap en soif de sorties régulières.

Ça tombe bien, la régularité est le slogan de The Alchemist. Digne d’un rythme de marathonien, le producteur légendaire a sorti pas moins de quatre albums en 2024, parmi lesquels trois sont en collaboration (mention spéciale pour The Skeleton Key avec Roc Marciano). Larry est également un sacré client dans ce domaine puisqu’il a sorti le très solide Doing It For Me et a multiplié les featurings sur les albums de Big Sean, YG, Gordo ou Action Bronson pour ne citer qu’eux.

Enfin, 2 Chainz a eu une année 2024 plus confidentielle qu’à l’accoutumée, seulement marquée par une timide apparition sur le morceau “G’Z UP” issu du KING OF THE MISCHIEVOUS SOUTH de Denzel CurryNotre vétéran d’Atlanta est-il à bout de souffle ? Il semblerait qu’il veuille faire taire ses détracteurs pour que cette année soit celle du renouveau.

Première étape : renouer avec ce bon vieil alchimiste qui lui avait concocté le très bon “200 Pies” en compagnie de Conway The Machine. Ensuite ? Élargir l’horizon. Pour ça rien de mieux que la vision d’un artiste expérimenté : « Je pense que j’ai envoyé un message à 2 Chainz au mois d’avril dernier dans lequel je disais “Salut, toi, Larry et moi. Un EP de cinq morceaux.” C’était l’idée de base. » (Source : Complex, 2025).

On le soupçonne d’avoir prêté une oreille très attentive aux quelques morceaux où les deux compères croisent le micro, chronologiquement sur “Still Boomin” en 2022 puis sur “Ocean Cuisine” en 2023. Sans même le savoir, nous assistions petit à petit aux prémices d’une collaboration tricéphale qui a le mérite de retenir toute notre attention ainsi que nos interrogations quant à la manière dont chacun pourra s’exprimer artistiquement. D’un côté nous avons Larry qui possède un répertoire solide et a rappé aux côtés d’énormes pointures telles que Slum Village, ScHoolboy Q, Joey Bada$$, Boldy James ou encore Westside Gunn.

De l’autre, nous avons l’inépuisable 2 Chainz, détenteur d’un immense pedigree composé de posse cuts devenus cultes (“Mercy”, “The Morning”, “Champions”), d’apparitions iconiques (“WHat tHey Want”, “3500”) et d’une science des refrains imparable (“Fork”, “Used 2”, “I’m Different”, “Fuckin’ Problems”).

L’expérience de Larry sera-t-elle suffisante pour l’aider face à 2 Chainz ?

Un artiste libéré de ses chaînes

Durant la tournée médiatique, 2 Chainz avait donné le ton : « Je suis plus à l’aise en rappant qu’en faisant de la trap music » (Source : Billboard, 2025).

Une déclaration surprenante au demeurant compte tenu du style dans lequel il s’est épanoui, quitte à le mettre en avant dans quelques titres de sa discographie (la série des Trapavelli, ou le très évocateur Pretty Girls Like Trap Music). Toutefois, si l’on connaît un peu le rappeur, nous ne pouvons pas être totalement surpris par ce type de déclaration. Il avait éprouvé son appétence pour ce type de sonorités dans « Threat 2 Society » (issu de l’album Rap or Go To The League) auparavant.

Uncle Al, en bon laborantin musical, savait comment concevoir un écrin sonore simple mais assez efficace pour tester la connexion: « Larry et moi avons déjà un album ensemble. Dès que 2 Chainz et moi avons commencé à créer quelque chose, je me suis dit qu’il était tellement versatile qu’il pouvait aller sur n’importe quel type de prods. (Durant le processus) Je n’ai jamais trop pensé à la façon dont j’allais utiliser un type de sample. Je me disais simplement : “Ça sonne bien” » (Source : Complex, 2025).

Fort de ses multiples collaborations, le producteur possède d’ores et déjà un catalogue d’ambiances sur mesure, que ce soit l’univers mafieux d’Alfredo pour Freddie Gibbs ou la virée luxueuse de The Great Escape que nous avons déjà mentionné plus haut. 

Pour ce projet, nous sommes bien plus proches de l’esthétique du second exemple. Avec sa MPC en guise de gouvernail, l’alchimiste devient capitaine du navire et nous conduit à travers des vagues de samples bien sentis qui sont à la hauteur de son flair incontournable. Nous voguons dans des eaux teintées de soul à la Roy Ayers ou Curtis Mayfield (“Munyon Canyon”, “Any Day”), ou encore de jazz (“Epiphany”, Jean Prouvé”).

De ce fait, il ne s’agit pas d’une réinvention fondamentale de sa recette mais plutôt d’un prolongement de celle-ci afin que 2 Chainz puisse dévoiler l’étendue de son talent voire surprendre son auditoire.

D’ailleurs, il ne se fait pas prier dans la leçon de style : 2 Chainz est comme un poisson dans l’eau et déroule des flows intéressants, rafraîchissants (“Bad Choices”, “Life is Beautiful”, “Jean Prouvé”) tout en étirant les syllabes tel un Rick Ross (“I Been”). En se libérant de la métrique syllabique propre à la trap, le rappeur aux deux chaînes réinitialise son algorithme pour trouver son propre code. Néanmoins, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le disque n’est pas aussi prévisible qu’il semble être. 

Comme évoqué plus haut, The Alchemist ne révolutionne peut-être pas sa formule mais il s’autorise quelques parenthèses audacieuses avec “Colossal” et “Generation”. Ces chansons, dont la patte assez froide, sombre et poussiéreuse se rapproche du travail qu’il a pu effectuer avec Boldy James, se distinguent du reste de l’album et permettent ainsi à 2 Chainz de montrer son aisance au micro. 

À ce propos, sa palette versatile soulignée par The Alchemist est célébrée comme un véritable pied de nez envers ses détracteurs dans le titre éponyme :

“I come straight up out the field like a nigga picking wheat

I’ve been on a winning streak, I made Al pick all the beats”

mais également dans “Epiphany” : 

This soundin’ like a trap nigga over symphony

I knew I was gon’ win this bitch, it’s my epiphany”

Cette dite épiphanie possède une ambiance particulière car, à mesure que les minutes du projet s’égrènent, nous commençons à nous interroger sur leur compatibilité…

Good Job Larry? Une alchimie discutable

De quoi s’agit-il ? D’une opération séduction déguisée pour que Tity Boi puisse draguer les oreilles d’un nouveau public ? Qu’en est-il de sa présence au sein d’un tandem déjà bien établi ? Vous l’aurez compris, beaucoup de questions nous taraudent l’esprit.

Heureusement, le chef d’orchestre du projet nous offre sa version des faits : « Lorsque tu penses à leurs styles, même phonétiquement, ils sont très différents. Chainz est comme une dynamite avec des punchlines animées et colorées, des paroles dingues. Larry, lui, est tranquille, dans la décontraction. Les mettre ensemble était presque magique par rapport à la façon dont ils apportent l’un à l’autre. (…) Larry et moi avons déjà montré de quoi on était capable avec The Great Escape et j’avais l’impression qu’on était complets. Mais en ajoutant Chainz dans le processus, ça a tout changé ! » (Source : Complex, 2025)

Bien que nous soyons d’accord avec certains points, nous sommes malheureusement dans l’obligation de nuancer ses propos dithyrambiques à l’égard de cette réunion musicale. Certes, il y a une cohésion artistique entre les deux rappeurs en ce qui concerne le respect du cahier des charges : le luxe.

Nos amis vont s’en donner à cœur joie et excellent lorsqu’il s’agit de nous assommer d’une avalanche de références ostentatoires opportunes. À vrai dire, on ne va pas s’en plaindre car nous sommes venus pour en prendre plein la vue avec une suspension consentie d’incrédulité:

“Bitch, I got a loft just to watch TV (Damn)

In my spiridons watchin’ MTV, thinkin’ ’bout a bigger crib”

Des morceaux comme “LLC”, “Any Day” ou “Tru Organics” sont d’autres exemples d’un capitalisme transpirant à chaque phase lâchée au micro par le binôme.

Cet album se veut être une sérénade à la consommation oui, mais en prônant la “simplicité” comme sur “Munyon Canyon”:

“I switch whips in the a.m., pick up the bagel with the cream cheese (Numbers)

Then smoke with a view of the Sausali’” 

Tout en la confrontant au raffinement à l’instar du morceau “Jean Prouvé”, un hommage non dissimulé au célèbre architecte français : 

“This the spot with Dutch glass, vintage rugs (Uh)

Magazines from the ’90s, black ceramic mugs (Numbers)

Virtual shoppin’ from my phone, I just copped a tub (A bath)

Got the shit all marble, bitch, you know what’s up” (Uh)

Cependant, la magie dont parlait The Alchemist en interview n’opère pas tout le temps. Cette flexibilité de 2 Chainz dont on parlait précédemment est à la fois la force et la faiblesse du disque puisque son étincelle artistique éclipse Larry par la même occasion. Faire état de sa richesse, c’est cool mais avec des punchlines humoristiques c’est encore mieux. 

En tout cas, Tity Boi l’a entendu de cette oreille. Il délivre ici et là des passages profondément drôles et inspirés qui feront plaisir aux auditeur·ices tout comme à Duolingo notamment sur “Jean Prouvé” : 

“I forget about my ex just like México” 

Ou sur “Bad Choices” : 

“This track oughta wake ’em up, call it Folgers

Surrounded by angels, demons can’t approach us

Me llama Dos Cadenas, baby, buenas noches”

Que les fans de Larry soient rassurés, son manque de diversité thématique et technique ne le relègue pas au rang d’amateur pour autant. Ce dernier tire son épingle du jeu avec des couplets intéressants (“Epiphany”, “LLC”, “Bad Choices”) dont “Colossal” qui le pousse à sortir de sa zone de confort et emprunter les schémas rythmiques de 2 Chainz. Sa contribution mélodique à la Z-Ro est également pertinente puisqu’elle insuffle une dose de légèreté bienvenue au projet (“Life is Beautiful”, “Jean Prouvé”).

Résultat des courses ? On oscille avec la frénésie de 2 Chainz portée par une voix charismatique permettant des prestations ayant plus de relief confrontée à la nonchalance presque envoûtante du verbe de Larry. Une mollesse parfaite quant à la thématique initiale de l’œuvre mais certainement trop insuffisante compte tenu du poids lourd à ses côtés.

D’un point de vue rétrospectif, c’est un problème qui s’était déjà produit il y a sept ans sur le projet Fetti (de The Alchemist encore!) dont les lacunes résidaient dans l’inégalité des prestations de Freddie Gibbs et de Curren$y

Le premier brûlait le micro tandis que le second le refroidissait par des prestations solides mais trop déséquilibrées vis-à-vis du rappeur de Gary. Tout comme Curren$y, Larry s’est frotté à plus affamé, plus expérimenté que lui sans posséder les armes nécessaires pour batailler comme il se doit. Au fond, on ne peut pas lui en vouloir. 

Le contrat n’est certes pas totalement rempli sur ce disque mais une chose est sûre: il reste authentique et trouve son épanouissement dans son domaine de prédilection qu’est celui du lifestyle rap. D’autres en revanche trouvent leur paix ailleurs, quitte à créer un fléau sans précédent…

Drogues et lifestyle : une réaction en chaîne

Pendant leur croisière luxueuse, tout ne tourne pas uniquement autour d’architecture et de voitures hors de prix. De vraies interrogations taraudent les esprits de nos compères et autant dire qu’elles ne sont pas des moindres. La première problématique réside dans l’idéalisation des milieux défavorisés ainsi que les mœurs destructrices qui lui sont attribuées. 

On y trouve la réponse dans le morceau “Tru Organics” où 2 Chainz confesse à quel point son passé à Atlanta a été loin d’être rose, contrairement à la maison qui figure sur la cover de Pretty Girls Like Trap Music. Enfin, le dernier problème est adressé dans le morceau “Generation”. On en parlait précédemment, ce morceau se démarque de la direction artistique du projet de par sa musicalité mais également par son contenu thématique.

Dans cette chanson, ils évoquent le fléau que représente la consommation de drogues avec une sincérité déconcertante:

We the generation got these kids all on the dirty Sprite

We the generation got ’em on the Perkies every night

We the generation got ’em on the switches, kill on sight

We the generation make ’em get revenge and candlelight alright

Ce refrain hypnotisant marqué par l’anaphore du pronom personnel sujet “We” illustre un aveu de faiblesse voire un manque de responsabilité considérable envers les auditeur·ices de leur musique. Au-delà de l’aspect purement artistique, il s’agit surtout d’une influence négative qui découle d’une démesure, d’une romantisation d’un mode de vie ô combien destructeur et nocif pour l’être humain.

Avec de nombreuses années de carrière à son actif, 2 Chainz a désormais conscience du poids que sa voix peut avoir auprès de son public et assume sa participation active à ce grand échec collectif. Les drogues plus ou moins dures ont souvent été mentionnées dans les contre-cultures musicales, qu’elles proviennent de l’univers rock, punk ou rap entre autres. Dans cette lignée culturelle, 2 Chainz a, par le passé, contribué à l’éloge de l’illicite, en particulier celui de la mixture violette à travers le nom de ses mixtapes Codeine Withdrawal et Codeine Cowboy ou de certains morceaux tel que le fameux Good Drank.

Cette réflexion, bien trop rare dans un univers musical qui en fait son fonds de commerce, est extrêmement positive d’autant plus qu’elle provient d’artistes d’expérience.

Malgré tout, on aurait souhaité que cet élan reste fidèle au postulat avancé par le principal intéressé sans qu’il soit accompagné de contradictions que l’on peut notamment retrouver sur “Epiphany” et “I Been” :

Pour some codeine in the Fanta, drinkin’ codeine in my Phantom

L’ambivalence de la thématique a été soulignée par The Alchemist au micro du Breakfast Club. Pour le producteur, il y a autant de fierté d’être leader d’un mouvement influent que d’avouer ses fautes auprès de la masse, en dépit des dégâts causés. Bien que la réponse soit extrêmement légère et qu’on préfère la seconde option, elle a le mérite de soulever une énième question: À quel point les artistes sont-ils responsables mais également esclaves de l’image qu’ils véhiculent auprès de leur public ?

On ne peut pas s’empêcher de penser à Juice WRLD qui a confessé avoir entamé sa prise de drogues pour imiter son idôle de toujours, Future. Le temps leur a permis de créer ensemble l’album délétère WRLD on Drugs avant que l’auteur de Lucid Dreams” ne décède quelques années plus tard des suites d’une overdose.L’album possède aujourd’hui une lecture bien plus amère et moins récréative que lors de sa sortie, à tel point que Future a lui-même été impacté par la tournure de ces événements. 

Lors de la sortie de son projet Future Hendrxx Presents: The WZRD en 2019, il avait confié à Genius avoir arrêté la consommation de lean dans le secret le plus total. Selon lui, cette confidentialité s’explique par la peur de décevoir sa fanbase qui lui attribue volontiers cette étiquette de rappeur “stoner”, tant dans les textes que l’image psychédélique qu’il met au service de son travail. Six ans nous séparent de cette interview et l’auteur de Dirty Sprite 2 traite toujours de ces sujets dans ses chansons…

Évidemment, tous les artistes hip hop ne suivent pas cette trajectoire. 

Parmi les plus connus, certains célèbrent la sobriété comme une renaissance à l’instar d’un Yung Lean mais également Eminem et son opus Recovery qui célèbre sa victoire face aux substances.

Dans un registre différent mais tout aussi important nous avons Kendrick Lamar qui y a dédié quelques chansons (“Ronald Reagan Era”, “The Art Of Peer Pressure”, m.A.A.d city”…) ou un J.Cole qui a consacré un album à la portée tristement prophétique vis-à-vis de cette mouvance destructrice accaparée par les têtes de gondole de la génération Soundcloud (Lil Pump, Lil Xan, SmokePurpp…).

Bien qu’il n’en ait pas la prétention, LIFE IS BEAUTIFUL manque peut-être d’une prise de position tranchée pour qu’il s’inscrive à sa façon dans la lignée des projets susnommés. Toutefois, l’album possède des messages très motivants dont Larry June est coutumier avec une emphase marquée sur l’entreprenariat, l’indépendance financière, l’importance de la famille ou de troquer la lean contre du jus d’orange naturel. De quoi sauver l’ensemble des auditeurs ? Pas dans l’absolu mais le message est passé et c’est le plus important. Rien que pour ça, good job Larry !

Ainsi, l’idée originale du fameux “five-pack” avancée par The Alchemist était peut-être la meilleure chose à envisager. En effet, nous n’aurions certainement pas ressenti le déséquilibre artistique entre les deux rappeurs sur un simple EP. Un album commun, c’est avant tout une rencontre mais aussi une compétition créative sous-jacente ayant pour but de tirer la qualité de l’œuvre et le niveau des artistes vers le haut. Cet esprit belliqueux n’est certainement pas du goût de Larry qui se rangerait davantage dans la philosophie sportive de Coubertin que celle d’un Mohammed Ali.

De ce fait, 2 Chainz et Uncle Al ressortent victorieux de ce projet: L’un bénéficie d’une nouvelle bouffée d’air frais dans sa carrière tandis que l’autre continue d’alimenter son statut de producteur légendaire. Néanmoins, si Larry décide à l’avenir de préparer un projet avec Curren$y, nous serions les premiers ravis tant cela relève de l’évidence.En tout cas, une chose est sûre, nous avons hâte de voir où ce trio voguera dans le futur…