La saison finale d’Oumar

Oumar

La saison finale d’Oumar

Fin de tournage et clap de fin. Oumar conclut sa trilogie des TRAUMA avec un troisième épisode plus lugubre et saisissant dans la forme autant que dans le fond. 

Oumar n’a jamais voulu faire comme les autres. A travers l’atmosphère grisâtre du Havre, le rappeur signé chez Din Record s’est forgé une mentalité en contradiction avec son environnement. Une bénédiction qui l’a éloigné de certains pièges et qui l’a poussé à raconter le bitume et ses traumatismes. 

Poussé par une esthétique inspirée des coins sombres de Baltimore, son nouveau projet, Trauma Saison 3, porte un héritage allant bien au-delà du rap des années 2000 qu’affectionne le rappeur. Soul modernisé, texte Despo Ruttiesque et mise en avant de l’actuel font de ce projet le plus mature et le plus travaillé d’Oumar. Le tout bonifié par la présence d’une armada de découpeurs.

 

Tu sembles être assez influencé par le rap américain dans ta musique. Qui sont ces artistes qui t’ont poussé à rapper ? 

J’ai vraiment été bercé par toute la période 50 Cent, Dipset à l’origine. Ensuite j’ai remonté aux origines, je me suis particulièrement pris le Wu-tang. J’ai trouvé qu’il avait une âme très particulière, très sombre, très crade, que je n’ai pas retrouvée dans ma vie d’auditeur. 

J’aimerais bien connaître ton membre préféré du Wu-Tang, c’est toujours un symbole. 

Ghostface killah sans hésitation. Je trouve qu’il est un peu au milieu de tout dans ce groupe. Il a un côté street, mais aussi un côté beau gosse, même s’ il en joue moins. C’est la bonne synthèse entre un Raekwon et un Method Man. Son flow est très particulier, tu le reconnais direct et il s’est notamment fait beaucoup copier pour cela. C’est la marque des grands. 

Tes débuts dans la musique sont liés à Din Records. Comment es-tu rentré là-bas ? Est-ce que c’était en même temps que Tiers Monde et Brav ? 

Eux ils sont là depuis le début du label, ce sont des membres historiques. Moi j’ai un écart de génération avec Salsa (le boss du label) donc les connexions musicales ne se sont pas faites aussi vite. Je viens d’un quartier voisin du sien donc lorsque j’ai commencé à me lancer il a posé un œil sur moi. Tout s’est ensuite enchaîné naturellement, j’ai rejoint la structure et voilà maintenant presque 10 ans qu’on travaille ensemble. 

On sent qu’il y a une mentalité spéciale au Havre quand on écoute ta musique ou celle de Médine et Tiers Monde. Comment pourrais-tu la décrire ? 

C’est une mentalité assez froide au premier abord. On est méfiants avec les gens que l’on connait pas. Comme tout le monde connaît tout le monde au Havre, on reconnait directement quelqu’un qui ne vient pas de chez nous par sa façon de parler, ses manières. Venant de quartier on est encore plus méfiant, ça n’arrange pas la chose c’est sûr. Après c’est juste une glace qu’il faut briser. 

Vous devez être content de voir que Le Havre va remonter en Ligue 1 en tout cas !

J’attends de voir ça (rires). Même si on est premier du classement et qu’on enchaîne les clean sheet, il faut toujours rester sur ses gardes. En tout cas je serais très content que l’équipe remonte en ligue 1, ça donnerait le sourire à la ville car ça fait un bail qu’on piétine en deuxième division. 

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Tu reviens cette année avec le troisième épisode de Trauma, une série qui avait débuté en 2021 avec deux premiers volumes. Quelles sont les raisons de cette absence pendant deux ans avant de redémarrer le concept ?

Il fallait taper juste en essayant de trouver une direction vraiment appropriée pour ce troisième projet. Sur les deux premiers volumes, on avait une idée du concept mais pas une direction musicale bien installée. J’ai bien aimé faire les deux premiers Trauma mais avec du recul je pense que je me cherchais encore beaucoup. Une fois que j’ai défini ce que je voulais pour le troisième volume, tout s’est enchaîné rapidement. Il a fallu de longues heures passées au studio, beaucoup d’expérimentation pour en arriver là.

On voit en effet que tu as défini de nouvelles ambiances dans ce projet. J’ai notamment été marqué par ce côté soul qui colle aux productions de façon modernisée. 

Je pense que cette ambiance soul fait vraiment partie de mon ADN. Sur les deux premiers volumes, j’avais oublié que cela faisait partie de moi. Pendant toute la construction de Trauma 3, cela m’est revenu et j’ai eu l’idée de moderniser tout cet univers et de l’adapter à mon projet. Il y a aussi une forte influence trap dans ce projet. J’en ai toujours écouté énormément mais je pense que je n’avais peut-être pas assez travaillé auparavant pour m’en emparer. J’ai beaucoup bossé en matière de textes et de flow pour m’approprier cela. Les artistes de Memphis et de Chicago m’ont pas mal inspiré sur ce point-là. Je suis grave à fond dans ce délire. Nardo Wick et Moneybagg Yo m’ont mis des tartes ces dernières années. 

Trauma est basé sur une idée de “saison”. Quelles sont les séries qui t’ont poussé à partir dans cette direction artistique ? 

Ce sont des séries dont tu t’inspires sans faire exprès, car au quartier tout le monde les regarde, comme Les Sopranos ou The Wire par exemple. Ce côté gangstérisme dans ces productions m’a offert une vision esthétique de la violence et de la rue très jeune. Tu peux partir dans un délire très profond en t’inspirant du cinéma. Il y a beaucoup de rappeurs qui parlent de rue sans pousser leur image finalement. Des mecs comme SCH sont allés plus loin que ça. Quand il est arrivé avec son univers mafieux, tout le monde s’est interrogé sur ce mec. Tu sais qu’il ne fait pas partie de la mafia, mais tu as envie d’y croire et c’est cela qui fait la différence. Il y a une histoire derrière, une esthétique très bien réalisée. Nous, on a voulu faire cela, mais en s’inspirant des Etats-unis et particulièrement de Baltimore.

Le problème que je peux trouver au sein de cette volonté cinématographique est qu’elle peut parfois rendre cela trop fictif. C’est le cas de Ziak par exemple. 

C’est vrai mais je trouve ça trop bien en fin de compte. Son titre “Akimbo” est incroyable, il a un univers très poussé qui le démarque des autres. Le rap est lié à la rue et au réel à l’origine mais je pense qu’on a dépassé ce stade aujourd’hui. On est dans un art ou il faut expérimenter au maximum, créer un univers original. 

Parlons en profondeur des thèmes de ton album. D’abord l’idée du traumatisme. Comment se manifeste-t-il pour quelqu’un qui vient d’un quartier sensible ? 

L’idée était de parler de la condition morale des quartiers. D’expliquer pourquoi notre mood est biaisé par la rue. En réalité, il ne faut pas chercher loin, notre mentalité est construite par ce que l’on voit et vit très jeune. Au quartier on a tous des micro-blessures mais ce n’est pas forcément une normalité pour tous les Français. Tu ne te rend pas compte de cela lorsque tu es enfermé à la cité. Quand tu en sors par contre tout devient clair pour toi. 

Tout le monde vit des traumatismes, évidemment. Un mec à la campagne peut vivre également des choses horribles. Mais je pense qu’au quartier, c’est vraiment spécial et anormal à la fois. C’est pas logique d’avoir 16 ans et de t’être déjà fait tirer dessus, d’avoir assisté à un suicide alors que tu joues au foot avec tes potes. Ce sont des d’expériences comme celle-ci qui m’ont donné envie de rapper finalement. J’ai envie d’apporter un côté narratif de la vie des quartiers pour exprimer nos traumatismes. Après je ne parle pas que d’expériences du quartier dans ce projet. J’aborde aussi des questions d’amour et de société qui peuvent aussi nous blesser.

Est-ce que tu penses que les jeunes sont influencés par tous les fantasmes que peut apporter le rap ? 

Influencé est un grand mot pour moi. Tu vas être influencé dans le mauvais sens du terme par le rap quand ton environnement n’est pas sain. Ton mood va être conditionné par des histoires de braquages et de rues si tu n’es pas bien entouré. Moi je pars du principe que c’est toi qui choisis la manière dont tu vas être influencé. Par exemple, il y a beaucoup de personnes qui remercient Médine pour les avoir poussés à faire des études. Finalement ce n’est pas grâce à lui, c’est juste que sa musique était là au moment où tu voulais devenir avocat ou médecin. C’est toi-même qui t’es conditionné pour y arriver par sa musique. L’artiste ne choisit pas des personnes types à influencer. C’est ta propre personne qui choisit ce qu’elle veut devenir et la musique t’accompagne simplement. 

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Quand tu parles d’entourage malsain, je suis obligé de penser à l’interlude du projet nommé “Le Piège” qui parle d’une certaine vision qui te bloque au quartier. Quand est-ce que tu t’es rendu compte que tu étais dans une matrice créée par ton environnement ? 

Je me suis rendu compte de cela assez vite. J’ai toujours eu la volonté de ne pas faire comme tout le monde. Cette mentalité m’a par exemple empêché de fumer, tout le monde le faisait alors je n’ai pas trouvé cela stylé. Cela m’a grave éviter des ennuis avec du recul, juste par esprit de contradiction. Avec le temps, quand tu parles avec d’autres gens qui ne sont pas issus de la même classe que toi ou en voyageant, tu te rends compte que ta vision des choses est décalée. C’est en revenant au quartier que tu comprends la matrice dans laquelle tu évolues depuis toujours. Le piège dont je parle dans ce morceau décrit cette idée.  

Dans le titre “Mucho Love”, il y a aussi cette idée du piège du quartier, qui socialement ne vous a pas appris à aimer. Comment fais-tu pour aborder l’amour en ayant grandi autour de cette mentalité ? 

“Mucho Love” parle d’amour mais de façon nuancée. Ce n’est pas un morceau qui aborde l’amour niaisement ou je ne sais quoi. C’est un titre qui raconte des traumatismes de vie et de comment l’amour peut t’aider à en sortir ou non. J’essaye de nuancer ce thème car l’amour n’est pas une fiction de télévision pour moi. Il y a tout le temps des hauts et des bas dans un couple. Ma musique est très sombre donc je vais tendance à aborder ce qui est négatif mais je nuance aussi en racontant les choses plus heureuses. 

Tu as ramené un casting de haute voltige en termes de kickage avec 404 Billy, Souffrance et Tedax Max. Est-ce qu’il y avait l’idée de créer une atmosphère brutale en les ramenant ? 

C’était pensé comme cela. Je voulais une armada de kickeurs qui font les choses sans concession. J’ai vraiment apprécié leur présence, car ce sont des artistes qui ne regardent pas les abonnés et les vues, ils sont là pour l’amour du rap uniquement. Tedax Max, je l’ai découvert avec son colors puis via ses projets Forme Olympique, j’ai trouvé ça super chaud et en adéquation avec ce que je propose. Souffrance, je l’ai connu lors de son passage dans Rentre dans le cercle, je lui avais envoyé un message sur Instagram et on est resté en contact jusque-là. Enfin, 404 Billy a de la famille au Havre donc c’est une connexion qui s’est faite de façon naturelle. 

Il y a une forme d’héritage de Despo Rutti dans ce que vous avez proposé au sein du projet, notamment par votre sens de la rime sans concessions et très nuancé. 

Tu m’a hypé de fou-là (rires) car c’est une de mes grandes inspirations. Pour moi il fait partie du top 3 parce qu’il est dérangeant même pour les rappeurs. A l’époque, je me souviens que tout le monde au quartier critiquait sa musique car il trouvait ça bizarre. C’est plutôt dingue car en tant que rappeurs on est habitués aux propos choquants et autres. Ce que j’aime dans sa musique est avant tout son propos qu’il nuance beaucoup. Le tableau n’est pas tout noir ou blanc, il dit ce qu’il pense, il s’en fiche de l’avis des autres. 

La nuance est fondamentale dans ta musique et cela se ressent aussi dans tes clips. Celui de “Goat” expose cela avec ton rôle de flic ripoux. 

C’est exactement ça. J’ai dit à mes gars avant le tournage que je voulais jouer un flic mais de façon anormale. Je me suis inspiré de la série We own the city pour faire ce clip, elle parle de flics ripoux à Baltimore. J’ai vraiment analysé leur façon de se comporter, les habits qu’ils portent pour faire quelque chose de réaliste. L’univers de la série correspond vraiment à ce que je veux amener dans ma musique. 

Avec Médine, Ben PLG, Jewel Usain, Tedax Max et Souffrance, tu as mis en place le “Trauma Freestyle”. Est-ce que c’est Grünt qui t’a poussé à faire cette session qui est honnêtement de haut niveau. 

Grünt font des choses que l’on apprécie beaucoup et j’ai voulu m’inspirer d’eux. Demain s’ils me proposent un truc j’y vais tout droit, il n’y a pas de soucis (rires). J’ai pris une claque en regardant celui de Caballero & Jean jass et aussi celui d’Isha récemment. On a essayé de faire ce Trauma Freestyle à notre sauce avec des invités de qualité. Tedax Max et Souffrance sont venus sans hésitation, Médine c’est la famille tandis que Ben PLG et Jewel Usain ont répondu à mon appel très rapidement. Tout le monde est venu pour découper et ça c’est le principal.

Avec le morceau en feat avec Cashmire, tu as importé de la drill dans ton projet. C’est quelque chose d’intéressant, car on voit que tu as réalisé une bonne synthèse entre le présent et le passé du rap. 

Il faut toujours regarder devant en gardant le bagage du passé selon moi. Je ne suis pas du genre à dire que le rap était mieux avant, aujourd’hui notre musique se porte très bien, il y a beaucoup d’innovations. Je prends des claques par les mecs de la nouvelle génération tous les jours. Moi j’ai envie que toutes les générations se retrouvent dans ma musique, c’est pour cela que je fais cette synthèse et c’est une singularité. 

Au niveau des références faites au passé, j’ai trouvé que le titre “NWAR Mécanique” rend un bel hommage à Just Blaze par ses basses prépondérantes. 

Oui, et j’aurais même voulu mettre des samples moins discrets. Tu as des bonnes références en tout cas, car Dipset et Just Blaze m’ont beaucoup marqués

J’ai des références c’est vrai, mais pour moi il y a un devoir de mémoire qui n’a pas été fait avec justesse. Dipset est inconnu pour les jeunes de 20 ans alors que c’est un groupe mythique du rap américain. 

Je trouve que c’est normal en fin de compte. Il n’y a pas de radio qui diffuse les anciens titres pour la jeune génération. On entend jamais des titres qui ont pourtant cartonnés à l’international comme Mobb Deep ou Snoop Dogg par exemple. Les jeunes de 20 piges n’ont pas été bercé par cela et vu le nombre de sorties sur spotify aujourd’hui, ils n’ont pas le temps d’aller écouter les classiques. Le devoir de mémoire n’a pas été fait de façon carrée. Moi j’ai fait l’effort de remonter dans les années 90 car je suis de la génération 2000 niveau rap et c’était déjà compliqué de tout écouter alors imagine pour quelqu’un qui grandit avec toute l’hyper productivité du rap aujourd’hui.  

Pour conclure sur Trauma Saison 3, il me semble intéressant de savoir quel est le bilan que tu en fais ?  Est-ce qu’avoir réalisé un projet de 13 titres était plus difficile pour toi ?

Franchement ce n’était pas dur car je rappe énormément, je passe beaucoup de temps au studio. Le plus difficile a été de choisir une nouvelle direction artistique. Le reste ce n’est pas compliqué, si je veux je peux ressortir un 13 titres dans un mois. On peut d’ailleurs s’attendre que je ressorte un projet avant la fin d’année

On peut te voir sur scène prochainement ? Ce serait super de te voir en tournée. 

La tournée, c’est le rêve, ce serait le kiff total. J’ai parlé avec Médine il y a quelques jours de cela et j’ai quelques dates qui pourraient me préparer à cela. D’abord je serai présent à son Olympia, on fera aussi le carré des Docks et d’autres belles dates avec Médine. Pour une tournée, tout va dépendre de comment le projet est reçu en fin de compte. Il peut y avoir un écart entre le numérique et le réel donc il faut être sûr de son coup lorsqu’on est programmé. En tout cas, si ce n’est pas sur ce projet, ce sera sur un autre, c’est sûr. C’est l’un de mes gros objectifs.

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