Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que le petit Kurtis Walker, né en 1959 à Harlem, soit exposé à la musique. C’est par l’intermédiaire de sa mère qu’il développera rapidement un intérêt démesuré pour cet art. Fan absolu de Sam Cooke et des groupes à succès comme The Temptations ou The Supremes, c’est à ses côtés qu’il découvrira très jeune l’univers des magasins de musique pour aller récupérer de précieux vinyles. Lors de ces sorties hebdomadaires, il se familiarisera même précocement à la lecture en essayant de décrypter les tableaux des meilleures ventes disposés à l’entrée des différents stores.
A seulement 9 ans, Kurtis deviendra le DJ de la famille lors des différents évènements familiaux. Comme sa mère, grande danseuse, il se lancera également dans la danse avec comme modèle un certain James Brown. Au début simple imitateur des pas de danses de son idole, il se rapprochera du breakdance pour devenir un B-Boy à la solide réputation dans son quartier. Avec son crew Hill Boys et âgé seulement de 14 ans, il connaitra même ses premières compétitions officielles de breakdance. Il se rapprochera petit à petit des clubs réputés du Bronx pour participer à ces fameuses block parties organisées par DJ Kool Herc.
Comme beaucoup, lors de ces soirées, il attendait avec impatience les « breaks » du père spirituel du hip hop pour se déchainer sur le dance floor. En isolant et rallongeant des parties rythmiques uniquement instrumentales, Herc avait inventer un tout nouveau style et par la même occasion révolutionné l’histoire de la musique. Une technique qui sera perfectionnée et popularisée ensuite par des références comme Grandmaster Flash et Afrika Bambaataa qui se concentreront uniquement sur la partie break pour le plus grand bonheur de tous les B-Girls et B-Boys de New York, et bientôt de la planète.
Autour des DJ viendra petit à petit se greffer une sorte d’assistant à tout faire dont le rôle premier sera de transporter et d’installer le matériel. Dans un second temps, ce qu’on pouvait identifier comme un simple roadie sera ensuite autorisé à passer quelques messages lors des performances de ces DJ devenus de véritables stars. Si au départ ces messages se résumaient à présenter le DJ, calmer la foule qui commençait à grimper sur les enceintes ou demander à déplacer une voiture garée en double file, certains feront rapidement évoluer leur rôle jusqu’alors très limité.
DJ Hollywood sera l’un des premiers à se mettre à raconter des histoires, à faire des blagues, tout en constituant des rimes en rythme sur ces fameux breaks. C’est comme cela que naitra une toute nouvelle discipline dans le mouvement hip hop avec l’apparition des premiers MC (Masters of Ceremony). Il ne faudra pas attendre longtemps pour que ces premiers rappeurs occupent une place de plus en plus importante dans les shows des DJs, jusqu’à en devenir bientôt l’attraction principale. A 16 ans, Kurtis décidera de suivre les pas d’Hollywood et se lança donc lui aussi dans une carrière derrière le micro aux côtés d’un certain Grandmaster Flash, devenu son DJ officiel.
Celui qui commencera par se faire appeler Kurtis ‘Sky’ Walker au sein du groupe de danseurs The Force, deviendra vite Kurtis Blow. Un nom de scène imaginé par son ami d’enfance Russell Simmons qui se chargera aussi de faire décoller la carrière de son camarade en organisant une rencontre déterminante. En effet, pendant plusieurs semaines, les producteurs J.B. Moore et Robert Ford seront à la recherche d’un rappeur avec qui travailler pour enregistrer un premier single. Ils ont deux noms sur leur liste, Hollywood et Eddie Cheeba, jusqu’à qu’ils fassent la rencontre de Russell qui réussira à les convaincre de miser plutôt sur le prometteur Kurtis. Ils seront vite convaincus par l’énergie du rappeur de Harlem et lui proposeront donc d’enregistrer ce fameux single: « Christmas Rappin ».
A l’époque, encore aucun morceau rap n’avait été enregistré et commercialisé, jusqu’au succès planétaire « Rapper’s Delight » du groupe The Sugar Hill Gang en septembre 1979. C’est dans la foulée de ce tube que sortira le « Christmas Rappin » de Blow. Un morceau de plus de 8 minutes, co-écrit par Moore et Kurtis, qui sera enregistré en une seule nuit. Pour la production de ce titre, Moore et Ford feront appel à leurs connaissances (L. Smith, D. Miller, J. Bralower) et laisseront ensuite Kurtis Blow s’approprier le morceau. Un titre qui connaîtra un certain succès en radio mais dont la plupart des maisons de disques resteront frileuses à l’idée de le commercialiser.
Les refus se multiplieront pour le duo de producteurs et ce sera finalement un anglais du nom de John Stainze qui décidera enfin de donner une chance à ce « Christmas Rappin ». Un morceau qui sortira donc sur Mercury Records et permettra par la même occasion à Kurtis Blow de devenir le premier artiste rap signé en major. A noter que sur la face B de ce single, le label aura l’idée lumineuse d’y mettre la version instrumentale de ce titre (intitulée « Do It Yourself Rappin »). Un instru qui permettra à Kurtis de faire en live son morceau, sans playback donc, et de lancer une nouvelle tendance dans le hip hop qui sera très vite adoptée.
Avec plus de 300 000 ventes pour ce « Christmas Rappin », l’objectif contractuel de 30 000 sera largement dépassé et l’équipe se lancera donc dans l’enregistrement d’un second titre. Pour ce nouveau morceau, Kurtis obtiendra carte blanche et décida de faire ce qu’il aurait adoré entendre quand il n’était encore qu’un simple danseur… Autrement dit, un titre avec un lot important de breaks pour permettre aux danseurs de se déchainer et d’enchainer des figures.
Tout simplement intitulé « The Breaks », le succès ne se fera pas attendre et ce morceau deviendra l’un des titres les plus joués dans les clubs lors de l’été 1980. Funky à souhait, le nouveau morceau fera encore mieux que le précédent et s’écoulera à plus de 800 000 exemplaires, devenant par la même occasion le premier titre rap à décrocher un disque d’or. Un hit qui permettra également à Kurtis d’être invité dans la prestigieuse émission Soul Train animée par Don Cornelius. A la fin de l’été 80, il ne manquait donc plus qu’une seule chose à Kurtis Blow pour faire franchir au hip hop sa dernière barrière…
Avec déjà deux tubes en poche et plus d’un million de singles vendus, le rappeur n’aura pas besoin de convaincre bien longtemps sa maison de disque de lui laisser enregistrer un album. Une première pour un artiste rap. Ce projet éponyme, composé de 7 morceaux, sortira le 29 septembre 1980 et fête donc cette année ses 40 ans. Sur la face 1 du vinyle, trois morceaux dont les deux premiers singles en ouverture. « Rappin’ Blow (Part 2) », qui sera une version courte du fameux morceau « Christmas Rappin » en ne gardant que sa seconde partie, et donc le cultissime « The Breaks ». Suivra ensuite « Way Out West », une sorte de story-telling made in Harlem plutôt convaincant.
La face 2 débutera, elle, par « Throughout Your Years ». Un morceau plutôt feel-good dans lequel Kurtis décidera de se raconter tout en poussant sa génération à toujours se surpasser : “When it started out, the way wasn’t clear / There was much confusion and a lot of fear / Walking in the shadow, searching for the light / Be the reason I could be that to make me right”.
Pour rester dans la même énergie, le titre suivant « Hard Times » sera l’un des grands temps forts de cet album avec un aperçu de ce qu’on pourrait appeler plus tard le rap conscient. Deux ans avant le célèbre « The Message » de Grandmaster Flash & the Furious Five, Blow y commentera les différents maux d’une société en déliquescence : “The prices going up, the dollars down / You got me fallin’ to the ground / Turn around, get ready, check out the time / Get ready all people for the future shock”.
Et pour conclure ce mythique LP, les deux derniers morceaux sont des sortes de tentatives crossovers sur lesquels Kurtis Blow mettra de côté sa casquette de rappeur pour s’aventurer vers d’autres styles. Tout d’abord, il s’essaiera à une ballade R&B/soul sur « All I Want In This World (Is To Find That Girl) » puis il se frottera à l’univers rock avec « Takin’ Care Of Business ». Ce dernier titre reprenant le fameux tube du même nom du groupe Canadien Bachman-Turner Overdrive. Pas forcément des plus à l’aise sur ce genre de compositions, on retiendra surtout sur ce premier album sa performance en tant que rappeur. A noter que quelques années plus tard, dans une réédition CD, seront ajoutés à ce projet deux bonus tracks avec « Christmas Rappin » (uniquement sa première partie coupé dans la version album originale) et l’instrumentale du hit « The Breaks ».
Avec son premier album, Kurtis Blow ouvrira donc un certain nombre de portes pour les générations suivantes. Il restera également pour toujours la première superstar du rap dans des années 80 qui verront ce nouveau style musical se transformer complétement, sous la houlette de groupes comme Run-DMC, les Beastie Boys et Public Enemy ou de MC’s charismatiques comme LL Cool J, Rakim et KRS-One. Samplé plus de 200 fois en 40 ans, le single « Christmas Rappin’ » continue encore aujourd’hui d’inspirer un tas d’artiste en tant que pièce fondatrice d’un hip hop qui n’en était qu’à ses balbutiements.
J’ai vraiment été honoré et privilégié d’avoir été là où tout a commencé et d’avoir pu participer à la conception du hip hop
Si son album mythique n’est toujours pas disponible sur les différentes plateformes de streaming, faute d’un accord sur les droits, le best-of ci-dessous vous permettra de vous familiariser avec une bonne partie de son œuvre.
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