Le brouillard pèse sur la capitale anglaise en cette après-midi de Juin 2019. A Island house, fief du label de Island Record, on célèbre le premier EP d’un nouveau venu, le jeune Knucks. Natif du quartier de Kilburn dans le nord londonien, le petit prince du boom bap anglais se targue d’une jeune carrière riche en concepts et en diversité musicale. Entre ambiance planante et jazz, Knucks fait l’effort que beaucoup ne font plus : donner un sens à un projet. Description d’un façonneur de nouvelle vague.
Voici les questions que l’on se pose souvent lors de la découverte d’un rappeur anglais : est t-il un adepte de drill ? un MC de grime ? Ces deux styles dominent en effet le paysage anglophone depuis plus d’une décennie ; pourtant Knucks ne s’accapare d’aucun d’eux, il va même dans le sens inverse.
Si on retrouve fréquemment des hommages au grime dans ses morceaux où des structures de prods semblables à de la drill sur “Home”, Knucks tire ses influences outre-atlantique, précisément à New York. Ce n’était pourtant pas la direction qu’avait prise le rappeur à l’origine. Plus jeune, Knucks était en effet un grand amateur de grime. C’est cette passion qui l’amène à manipuler des logiciels audios comme Fruity Loops dès l’âge de 12 ans. Vient alors sa découverte du mythique Nas qui attire le jeune Knucks vers le hip-hop américain. Par son storytelling et sa façon de susciter des émotions par une simple assonance, Nas passionne le jeune adolescent.
Après plusieurs années de travail sur la production, Knucks se lance sur SoundCloud avec Killmatic (nul besoin de citer la référence). Nous sommes alors en 2014. Skepta et Ghetts sont à l’aube d’un succès majeur grâce à un grime “new generation” et M.I.A atteint son apogée avec Matangi.
De son côté Knucks se lance sur la voie d’une nouvelle vague représentée aujourd’hui par des artistes tels que Loyle Carner et Lord Apex. Celle d’un retour aux bases, une musique dite “smooth”.
Car oui, Killmatic ne réinvente rien. Un côté Old School, des samples de soul et un flow acéré en font la signature mais que l’écoute est plaisante…Les productions sont maîtrisées à la quasi-perfection, l’atmosphère “jazzy” qui en découle est jouissive. Entièrement produit par lui-même, Killmatic offre alors un aperçu très prometteur de son potentiel. Outre Nastradamus, on retrouve des influences de The Alchemist mais aussi de son idole anglaise alias Youngs Teflon. Le poignant “LDN state of mind” nous envoie dans un Londres nocturne avec des sons de saxophones mélangés à des basses sudistes. “Told You”, très groovy, nous renvoie l’image du rappeur au volant d’un low-rider sur une côte ensoleillée. On regrettera le mixage du projet, moins maîtrisé sur les prises de voix mais peu importe, Knucks nous met l’eau à la bouche. Encore inconnu du public, l’homme sort en 2015 deux morceaux qui vont attirer les majors vers lui : “21 Candles” et “Breakfast at Tiffany’s”. Disposant d’un bon pactole pour mettre en avant ses projets futurs, Knucks va prendre son temps pour donner naissance à sa pépite, alias NRG 105 en 2019.
Comme nous le disions plus haut, Knucks ne se contente pas de sortir un projet “playlist”. Il met en place des concepts plus qu’intéressants qui attirent vers lui les férus de rap underground. Pour son premier EP, teinté d’une couverture aux allures vintage, l’artiste propose à l’auditeur de plonger dans une radio fictive nommée “NRG 105”.
En lançant la première track, on découvre alors un passage où l’on entend un homme démarrer son véhicule, cherchant une bonne fréquence pour écouter sa musique matinale. Le personnage tombe alors sur la radio éponyme du projet et Knucks lance ses rimes. Démarre alors le morceau “blessings”, qui traite des nouveaux objectifs à atteindre par le biais de cet EP.
Puis, une première publicité fictive débute, celle d’un burger nommé “big kahuna”. Cet étrange interlude est plutôt amusant, composé de clichés publicitaires utilisés à bon escient comme la voix grave du présentateur. Mais par la suite, l’EP devient plus sérieux avec des morceaux qui remettent en cause la jeunesse comme “Rice & stew” ou bien encore des hommages à la gente féminine comme “Gwen Stefani”. Viennent alors des morceaux différents de ce que proposait jusqu’alors Knucks, comme “Diddy” avec Wretch 32, que l’on pourrait plutôt classer dans la trap music. Arrive ensuite le moment phare du projet : un interlude nommé “Breaking News”.
La journaliste qui s’exprime dans ce passage donne le ton quant aux événements récents survenus en plein cœur de Londres : un jeune adolescent vient de subir une attaque au couteau. Et alors que la présentatrice rappelle le nombre de meurtres dans la capitale, le piano de “Home” se fait entendre. Ce morceau, dernier de l’EP, est ce que l’on pourrait qualifier de “masterclass” musicale.
Dans cette émouvante chanson, Knucks raconte au travers des douces notes de pianos ses problèmes avec la rue et ses frasques. C’est en somme un storytelling qui met en lien l’interlude et lui, l’homme qui vient de se faire poignarder dans une fête. On découvre donc comment l’artiste s’est fait trahir par sa petite amie “Anna”, comment il a évité son foyer et sa mère pour finalement devenir victime d’un coup de poignard.
Lugubre, ce morceau sera le plus grand succès de l’artiste à ce jour avec plus de 4 millions de vues sur Youtube. Un an plus tard, Knucks sort London Class, cette fois-ci dans un autre registre.
On peut parler d’un retour aux sources pour Knucks avec London Class, mais aussi souligner une réelle progression. Les thèmes sont identiques mais avec cette fois-ci un accent anglais plus prononcé à l’image des tracks “Thames” et “Duchess”. Concernant le concept, Knucks dit adieu à la radio pour faire connaissance avec le restaurant « London Class ». Référence à la série coréenne Itaewon Class de Netflix, Knucks a choisi de métaphoriser sa vie sous la forme d’un lieu du quotidien.
Cette série parle de Park Sae-royin, un jeune homme, qui veut venger son père, tué par une famille de restaurateurs qui l’employait. Pour ce faire, le Coréen fonde son propre établissement gustatif pour concurrencer ses ennemis et ainsi se venger. Knucks voit dans ce restaurant une métaphore de sa carrière, une revanche sur la vie. Concernant les morceaux, on notera l’apparition d’un rap-jazz déroutant. Mise à part le très bon “Fuck*d Up”, plus cloud, l’enchaînement des tracks est ensuite ponctué de morceaux jazzy. On peut citer “Your Worth” dans cette catégorie ainsi que “Standout”, en featuring avec Loyle Carner et Venna. London Class est finalement plus mélodieux que NRG 105 avec des évolutions dans les parties vocales de Knucks qui se montrent très versatiles. Un projet plus qu’encourageant pour la suite de la carrière du rappeur.
On ne peut qu’être admiratif devant un tel travail de nos confrères anglophones. La scène orientée smooth, qui se développe depuis quelques années, fait honneur à tous ses prédécesseurs tel que Roots Manuva. Reste maintenant à savoir si Knucks & Co continueront sur leurs lancées.
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