Le Klub des Loosers livre son nouvel album Le chat et autres histoires, contre-pied de son précédent opus La fin de l’espèce et suite de son projet Grand Siècle, le dernier album rap de Fuzati. Tandis que le musicien trompe le hip-hop devenu froid et électronique avec une pop plus chaleureuse, son personnage prend la plume pour écrire des nouvelles.
Recueil d’histoires douces-amères, Le chat et autres histoires superpose à des mélodies harmonieuses la dureté de textes bruts et désabusés, comme Fuzati en a le secret. Cet enrobage parfum bonbon libère une liqueur amère, qui une fois l’apparent optimisme dissipé, laisse sur la langue un gout de trop réel. L’humour cinglant et la critique acerbe de Fuzati n’ont nullement perdu de leur superbe et interpellent un public dupé par tant de légèreté. Entre amusement et mélancolie, il dresse le constat d’une époque profondément individualiste où l’image, la forme, semblent avoir supplanté le fond.
Après écoute, nous avons rencontré le masque de plastique pour évoquer avec lui cet album hors du temps, son positionnement dans le monde de la musique et les sujets qui l’interpellent. Curieusement, lui qui n’écoute officiellement plus de rap commente avec pertinence la musique de PNL et de Damso, félicite JuL pour son succès et s’affranchit des étiquettes qu’on a lui a souvent collées. Pragmatisme, recul et simplicité sont les maîtres mots de cette rencontre savoureuse.
L’interview a été réalisée et publiée en partenariat avec le magazine papier iHH. Retrouvez-la en version étendue dans le prochain numéro du mag, bientôt disponible ici.
Salut Fuzati. Klub des Loosers, Fuzati, Le Klub des 7 : comment s’articulent les différentes entités qui signent tes albums ?
Klub des Loosers, c’est moi depuis le départ. Sauf au tout début, où Orgasmic et moi avons parfois coproduit. J’ai fait toutes les prods sur Vive la vie (le premier album du Klub des Loosers, ndr) et Detect était mon DJ sur scène. Comme j’ai écouté beaucoup de hip-hop dans ma jeunesse, l’idée de se présenter comme un duo MC et DJ me plaisait.
Ensuite, j’ai bossé avec Le Klub des 7, où je jouais un rôle de DA, en choisissant les artistes et en les invitant sur mes prods. Finalement, on aurait dû le présenter comme un album de beatmaker plutôt que comme un groupe. Le Klub des 7 n’a jamais été un groupe, il n’y avait que des morceaux en solo sur ce disque.
Grand siècle est l’album qui a mis fin à ta carrière de rappeur. Aujourd’hui, tu te considères plutôt comme un musicien ?
Un musicien, c’est ça. En fait, je viens d’une période où tout était cloisonné. Où tu écoutais soit du rock, soit du rap. Lorsque tu écoutais du rap, tu devais prouver que tu faisais partie du mouvement. Il fallait se justifier tout le temps, encore plus quand tu étais blanc et que tu venais de Versailles. Aujourd’hui, c’est différent. Il existe du rap qui n’a plus rien à voir avec le hip-hop.
Quand je dis ça, ce n’est pas péjoratif, car je respecte vachement. Simplement, je ne m’y retrouve pas. J’ai plutôt le sentiment d’évoluer vers la pop. Vers quelque chose de très organique, là ou de nos jours, le rap est beaucoup plus froid. Bizarrement, les gens avec qui j’ai envie de bosser viennent surtout de la pop.
Qui en particulier ?
Déjà, les mecs de Dorian Pimpernel, avec qui j’étais très content de bosser. Ou encore Burgalat. Musicalement, je me sens plus proche de ces gens-là. Après, ce ne sont que des étiquettes. Lorsque je mets un album sur ma platine, je ne me demande pas quel genre de musique c’est. J’aime ou je n’aime pas.
Le chat et autres histoires, ton dernier album, est justement plus pop. Tu l’as entièrement composé, sans sample, avec un batteur et un bassiste.
Cet album a dérouté pas mal de monde. Pourtant, il correspond bien à ce dont j’avais envie. Faire des albums avec des samples et une MPC, je l’ai beaucoup fait. Parallèlement, j’ai toujours été à fond dans les synthés vintage et j’ai évolué, en tant que producteur. Ça va de pair avec le live band que je propose en concert depuis deux à trois ans et qui me fait envisager la musique différemment.
Composer des lignes de basses, écrire des chansons avec un refrain chanté… Tout ça m’a challengé et m’a permis de sortir de ma zone de confort. Certains ont trouvé cet album plus mou. J’ai surtout voulu un album plus beau. Un disque comme La fin de l’espèce a un tel degré de haine que la surenchère est inutile.
Pourquoi as-tu tenu à reprendre le conservatoire avant de composer cet album ?
Les gens parlent du conservatoire comme un gros mot. En vérité, tu peux prendre les mêmes cours grâce à des tutos YouTube. Ça te force uniquement à avoir une discipline. Quand tu cherches à progresser et que tu bloques, c’est une bonne démarche. Il n’y a rien de fou à se mettre devant un piano, redevenir enfant et apprendre des trucs. Comme je suis un passionné de musique, ça m’intéresse toujours de découvrir de nouvelles choses. Hier, je suis allé voir un concert de clavecin juste parce que j’adore la sonorité de cet instrument.
En parlant de savoir et d’enseignement, il parait que des parents viennent désormais à tes concerts avec leurs enfants.
Mes concerts regroupent de tout : des ados de seize ans qui me découvrent, des types plus âgés qui viennent avec leurs gamins, des gens qui sont fans du Klub sans écouter nécessairement de hip-hop, d’autres qui en écoutent énormément. Parfois, on a voulu coller à Klub des Loosers une image de « rap de blanc ». Une expression super raciste, que je ne supporte pas. C’est comme si on disait : « Tu écoutes quoi, en rock de noir ? » Dire des trucs comme ça, c’est pas possible…
À propos d’ouverture musicale, tu as créé récemment avec Modulor le Très Jazz Club, un label de rééditions de jazz, et tu prévois de créer le Très Groove Club.
Absolument, et j’en suis le directeur artistique. Sur Très Jazz Club, j’ai tenu à conserver une ligne directrice et à ne rééditer que du jazz. Puisque j’aime beaucoup d’autres genres de musique, le Très Groove Club va me permettre de rééditer tout ce que je veux dans des styles différents. Là, je commence avec de la librairie sonore. Il s’agit de disques qui n’étaient pas distribués dans le commerce, des musiques destinées aux professionnels, pour illustrer des reportages par exemple. Il y avait des compositeurs de dingue et des morceaux complètement fous sur ces disques.
Le chat qu’on voit sur la pochette de ton nouvel album est le tien. N’est-ce pas le plus bel hommage que l’on puisse faire à un animal de compagnie ?
Bien sûr ! Je suis content de la voir tout le temps. Surtout sur scène, quand je projette l’image de la pochette. J’ai un chat qui aime beaucoup la musique. Quand je mets mon album ou du rock, elle tend l’oreille. Ça doit être une question de fréquences. Même en jazz, je sais ce qu’elle aime. Des choses comme Blue Note, où il y a pas mal de piano… Et elle adore le saxo !
Comment s’appelle cette charmante petite boule de poil ?
Kazoo. D’ailleurs, j’ai fait graver son nom dans la dead wax du vinyle (la partie inutilisée des microsillons, nrd)
Le morceau « Deux clowns » raconte l’histoire du « clown le plus triste qui n’ait jamais existé. » En tant que musicien, as-tu parfois le sentiment d’être un bouffon ?
N’importe quel artiste a déjà ressenti ça. Dès que tu te montres dans un média généraliste, tu es caricaturé. Forcément, on ne se sent pas à l’aise. Peu d’artistes te diront qu’ils ont apprécié un passage en TV. Pareil pour les tournées de concerts. Tout le monde parle de ses victoires, alors qu’il y a des moments où ça se passe moins bien, où tu te fais chier dans les loges. Même la loge d’un Zénith n’a rien de très glorieux ! (rires)
La musique est pleine de paillettes, alors qu’elle sous-entend beaucoup de moments de doute et de flottement, comparé à ce qui est mis en avant. Les mecs qui font des tubes, à qui on demande d’en refaire et qui n’y arrivent pas toujours… Par moments, en tant qu’artiste, tu te sens comme un clown. « Allez, fais ton morceau ! » « Allez, balance un freestyle ! » « Maintenant, on reçoit tel artiste ! » Toutes ces choses qu’on te dit dès que tu passes en TV ou en radio, c’est souvent compliqué à gérer.
Dans « Le poing américain », tu moques le rêve américain et le conspirationnisme. Tout ça rappelle curieusement les « alternative facts » de Trump.
Le morceau est en deux temps. D’abord, je remets en cause le rêve américain, parce que ma génération a été élevée avec et que lorsque tu vas là-bas, tu te rends vite compte à quel point c’est cynique. Ensuite, le dernier couplet traite du conspirationnisme, qui a émergé avec internet.
En soi, tu peux tout remettre en question. À un moment, il y a eu une rumeur comme quoi Kubrick avait été contacté pour tourner un film de propagande sur la conquête spatiale. Ce qui est drôle avec internet, c’est de voir un type émettre une théorie toute pétée et de s’apercevoir qu’un million de personnes ont regardé sa vidéo. C’est ça, le plus flippant.
Dans le morceau « Sports d’hiver », tu constates que « tout le monde s’oublie avec le temps. »
Il est bon de rappeler que tu n’es que dalle à une époque où les gens font des selfies en permanence. Même quand tu vas voir une expo, les gens passent leur temps à se photographier devant les œuvres. Dans le métro, je vois des gens mater des photos sur leur téléphone, qui sont en fait des photos d’eux-mêmes. Ils sont en train de se mater ! (rires)
Sans vouloir critiquer, j’interroge ce phénomène. À un moment, il faut peut-être se rappeler que tu es mortel et arrêter de te regarder le nombril. C’est en rapport avec le masque. Là où d’autres se posent en tant qu’artistes avec un grand « A », je n’aime pas trop me mettre en avant. J’ai toujours eu du mal avec ça.
Qu’est-ce que tu ferais si tu avais neuf vies ?
Malheureusement, je n’ai pas assez de temps pour mater des films, donc je me ferais une grosse culture de cinéphile. De même, je m’intéresserais beaucoup plus à l’histoire, car c’est un regret. Tout ça me prendrait déjà plusieurs vies. Ensuite, je passerais des journées à jouer du piano. J’ai plein de lacunes, ne serait-ce que quand je vois mon pianiste sur scène. Quand je suis en studio, j’arrive à trouver des mélodies au clavier et à les boucler sur huit mesures. Après, ce n’est rien par rapport à quelqu’un qui est capable d’entendre une mélodie et de la rejouer instantanément, d’improviser pendant trente minutes…
Outre le clavier que tu chéris, le vocodeur est également un instrument très présent sur ton dernier album. Est-ce un clin d’œil à tes origines versaillaises ?
Non. Étonnamment, on a cru que c’était lié à Air, alors que je n’y avais même pas pensé. C’est plutôt une référence à Herbie Hancock, que j’écoute énormément. Dans les années 80, le funk a beaucoup utilisé cet instrument. Même si c’est un clin d’œil non voulu, il y a pire qu’être comparé à Air. (rires) Aujourd’hui, tout le monde utilise de l’autotune, qui n’a rien à voir avec le vocoder. Je n’aime pas tellement l’autotune, sauf à la manière dont s’en servent PNL. Leur musicalité donne quelque chose d’assez joli. Chez d’autres, ça sonne presque comme du raï, ou comme un instrument mal réglé.
Sans vouloir dévaloriser le rap par rapport à la poésie, ou le hip-hop par rapport au jazz, as-tu le sentiment que l’expérience te donne accès à des formes artistiques plus complexes ?
Non, car j’écoutais déjà du jazz et j’écrivais déjà des poèmes à seize ans. Ça n’a donc rien à voir. Les gens me prennent parfois pour un élitiste, alors qu’à mon avis, il n’y a pas de différence entre quelqu’un qui écoute du jazz japonais et un mec qui va kiffer JuL à fond dans sa voiture. Du moment que tu aimes, la musique est là pour te faire kiffer. Or, il se trouve que j’aime des choses comme le jazz japonais, mais je ne regarderai jamais un mec de haut en lui disant : « ah ouais, t’écoutes ça ? » C’est complètement stupide.
Quand tu parles de suicide, c’est sûr que ça a ses limites. (sourire) C’est pour ça que je ne signe pas dans une major. Après, quand je vois un mec comme JuL, qui fait tout en indé et qui fait kiffer les gens, c’est bien, je suis admiratif. PNL, je dis bravo, des mecs en indé qui arrivent à remplir Bercy, c’est super. Même si ce n’est pas la musique que j’écoute, je ne critique pas, j’admets qu’il se passe quelque chose.
Pour revenir à la musique que tu écoutes, penses-tu que le rap français souffre encore d’un complexe d’infériorité par rapport au rap américain ?
La France a toujours été un pays de yéyés. Bien sûr, il y a de très bons morceaux yéyé. Encore aujourd’hui, les artistes reprennent Migos et l’adaptent. Il est rare d’entendre un mec arriver avec une personnalité et un style tranché, que l’on n’a pas entendu avant. Lorsque j’étais plus jeune, tout le monde kiffait sur Mobb Deep. Quand j’ai commencé, j’étais moi-même influencé par MF Doom. Avoir des influences, c’est normal. L’important, c’est de s’en affranchir pour faire son propre truc.
Le jazz anglais, c’est comme ça. Les pianos ont un traitement très froid, qui est caractéristique. Le jazz japonais remplace beaucoup le piano par le Fender Rhodes, ce qui lui donne sa propre identité. Le rap français, je n’en n’écoute plus tellement. Par contre, dans le rap belge, le style et l’humour de Damso n’avaient pas tellement été entendus avant. Il y a un recul dans les punchlines, une manière de chanter que l’on reconnaît. Avoir le même flow que tout le monde, c’est bien, mais dans le rap, tu dois être plus que ça.
Afin de conclure, peux-tu raconter à nos lecteurs l’histoire de l’EP mythique Sous le signe du V avec MF Doom ?
Houlà, c’est vieux ! J’ai presque oublié que je l’avais fait. (rires) Rien de magique : on lui a envoyé une demande, il a aimé l’instru, il a envoyé un couplet. Voilà. Vive la vie étant un album personnel, ajouter ce morceau n’aurait pas eu d’intérêt. C’est pour ça que je l’ai mis sur un EP. Et puis, comme j’ai découvert Doom avec Fondle ‘Em (label underground iconique fondé par Bobbito Garcia, ndr) et que beaucoup de maxis indépendants ont vu le jour entre 96 et 98, l’idée de créer un EP m’a plu.
Photos : Thomas Lang
Remerciements : iHH
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