L’intrigante couverture de LAÏLA nous présente Khali sous ses deux faces. L’une l’affiche tel le soleil, traduisant le bonheur. L’autre le symbolise sous la forme de la lune, que l’on peut interpréter comme sa face mélancolique. La bipolarité pourrait alors être un des thèmes majeurs du projet. Il n’en est rien. En fin de compte, cette œuvre de Khali est celle de sa vie, de sa personnalité et du naturelle à l’état pur. L’honnêteté qui se dégage des textes nous attache directement à l’artiste. Chaque morceau de LAÏLA transpire le réel en passant par des sujets de sociétés, par les peurs de Khali et ses expériences amoureuses.
Au-delà de la plume, ce projet est témoin d’un talent au niveau de la production mené par Kosei, Odd Kyla ou Bloody. Sans se le cacher, Khali affiche être grandement influencé par la scène d’Atlanta. Ce que l’on ressent beaucoup dans les productions. Néanmoins la démarche artistique du projet va plus loin en touchant à des sonorités du Maghreb et en explorant des flows inhabituels. Un condensé de couleurs qui ne nous a pas laissé indifférent.
L’écriture de Khali est peut-être la première satisfaction de ce projet. A l’inverse de la plupart des rappeurs de la nouvelle génération, l’artiste expose le réel dans ses mots, sans poser de filtre ni exagérer. C’est une pure volonté de sa part. Il le rappelle notamment sur le morceau “BIENVENUE” en incitant les rappeurs d’arrêter leurs tentatives d’insertion en usant d’un lexique naze. Ses schémas de rimes font en effet le travail en trouvant l’équilibre entre du vocabulaire moderne et une esthétique plus old-school. L’artiste parvient ainsi à aborder des thèmes généraux sans tomber dans le ridicule.
La vie étudiante est un des passages de la vie que Khali prend le temps de décrire. C’est un thème original que l’on a peu souvent entendu au cours des dernières années. De plus, cette faculté à retranscrire des moments communs à tous nous permet de nous retrouver en Khali. Ce dernier aborde sa gêne dans les fameuses soirées du Jeudi Soir. Il raconte continuer ses études d’ingénieur par sécurité tout en insistant sur son envie de faire de l’argent grâce à cela. Il conclut en exprimant son mal-être face aux études en se sentant de “trop” pour ce monde qu’est l’éducation.
Les questions sur l’identité sont également présentes au sein de LAÏLA. Ultra récurrent depuis des décennies au sein du rap français, le thème de la France prend un côté moderne très intéressant chez Khali. Ce dernier semble vouloir trouver sa place malgré les conseils de sa mère qui lui rappelle la dureté de certains milieux sociaux. Khali se sent ainsi comme un amuseur, une bête de foire. Il constate la différence des personnalités au sein des villes. A Bordeaux, il est attendu, à Paris il n’est encore rien. Un monde à double tranchant que Khali veut conquérir par sa musique.
On est relativement perdu quand on tend à découvrir la personnalité de Khali. Et c’est là que son écriture excelle, elle pose constamment des questions sur ses émotions. Dès l’introduction nommée “COULEURS”, Khali exprime sa douleur, son envie de réussir par la musique. Se livrer est sa force, pourtant le vécu qu’il raconte est triste et morose. On rencontre alors un personnage partagé entre la confiance et le doute.
L’incertitude sur l’avenir perturbe le rappeur. A de nombreuses reprises dans le projet, Khali expose sa volonté d’enrichir sa famille tout en s’élevant grâce à la musique. Néanmoins, le doute pèse de temps à autre dans son esprit, ce qu’on retrouve beaucoup dans le morceau “LA TOILE”. D’un côté notre artiste se montre sûr de son art, de l’autre il est perplexe sur lui-même et ne sait pas où trouver sa place. Il s’estime ainsi minuscule face au monde qu’il entoure tandis que ses notes valent un bon paquet de dollars.
Cette contradiction se retrouve aussi dans son rapport à l’amour. Khali aborde de façon assez subjective les relations qu’il a pu avoir auparavant. Il donne peu de détails mais certains morceaux comme “D&G” élucident sa pensée. On comprend qu’il veut également réussir pour se venger d’une femme qui l’a blessé. A l’inverse d’un rap ultra ego-trip, Khali raconte ses déboires avec cette femme qui le considérait comme un “gars brisé”. Il assume ainsi ses faiblesses tout en lui promettant de lui offrir beaucoup de choses à l’avenir.
Si Khali veut autant réussir il faut bien comprendre dans quel but. En fin de compte, l’artiste semble plus mener sa carrière pour ses proches que pour lui. Se définissant comme le seul ambitieux de sa famille, le rappeur veut tout faire pour élever son entourage. C’est l’amour qui motive ainsi Khali dans sa quête musicale. Une affection pour sa famille et pour les femmes qui le pousse à se surpasser.
Son lien avec sa mère est un des sujets les plus présents dans le projet. Les valeurs marocaines que Khali tient de sa créatrice se retrouvent beaucoup dans sa volonté d’élévation. Khali veut une maison au bled pour sa mère, il prend note de ses conseils et fait tout pour elle malgré ses doutes. Néanmoins, on ne peut pas voir cela comme une peur de décevoir mais plus comme une envie de donner par amour.
Du côté des femmes, Khali est déterminée à prouver son talent. Ce dernier vit avec la promesse d’offrir la richesse à la femme dont il est fall in love. C’est un train de vie fatiguant que mène l’artiste afin de réjouir sa muse fascinante. Ainsi, sur l’interlude nommé “TIRE”, il explique ne pas comprendre l’amour que lui porte une femme alors qu’il n’a pas encore fait un gros score dans la musique. C’est de cette façon que l’amour de Khali va se former. Il tient à devenir quelqu’un pour être serein dans ses relations.
Attardons nous maintenant sur la composition de ce projet. On y retrouve majoritairement Kosei qui s’est révélé l’an dernier avec KOLAF de La Fève mais aussi Bloody qui est connu pour avoir produit pour Heuss L’enfoiré. Il y a également de jeunes talents tels que Odd Kyla (7 Jaws, Wit.), BKH (Dinos, Luidji) ou encore Ayties (Bosh, Kodes). Une des réussites de ce projet tient par la cohérence entre les différentes prods, ce qui donne un véritable fil conducteur au-delà des textes. La symbiose de Kosei avec les autres producteurs offre un cocktail d’influences qui nous emmène de la Géorgie au Maghreb.
On sait que Khali est un auditeur aguerri de Lil Keed, Gunna et l’évident Playboi Carti. La baby-voice de ce dernier fait partie des grosses influences américaines que l’on retrouve sur LAÏLA. De même au niveau des productions. On retrouve le côté planant et aquatique de Gunna sur des morceaux comme “D&G” et “ME3ZA” mais aussi des changements de flows digne de Young Thug sur “BIENVENUE”.
Si l’apport d’Atlanta semble évident dans ce projet, il ne faut pas oublier l’importance de certaines ambiances marocaines. Au contraire de l’influence Géorgienne, les sonorités du Maghreb apportent un côté mystérieux et une touche plus mélancolique à certains morceaux. On retrouve notamment un air de cithare sur “BONBON” et “LA TOILE” mais le détail le plus marquant reste le flow de Khali. Aux premiers abords c’est la baby-voice de Carti qui nous vient à la tête quand on entend sa voix. Puis avec un nombre d’écoutes considérables on se rend compte que son flow s’inspire aussi du raï. Une touche créative qui prouve que Khali ne se contente pas de copier ses homologues américains.
Ce troisième projet de Khali est une vrai réussite. On y sort touché et à la fois décontenancé par les différents flows du rappeur. La direction artistique du projet est d’une excellente cohérence et l’apport de textes honnêtes donne un vent nouveau à la nouvelle génération. Si le jeune artiste poursuit sur cette lancée il devra néanmoins pousser son identité à fond pour s’adjuger toutes les faveurs d’un public en constante quête de nouveauté.
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