Kenny Beats, un retour gagnant bien préparé
Devenu rapidement l’un des producteurs les plus demandés ces deux dernières années, Kenny Beats n’est pas pour autant un novice dans le milieu. Son comeback dans le rap game a été minutieusement préparé et n’a rien de surprenant. Retour sur un parcours musical qui a commencé il y a maintenant 10 ans.
C’est avec le morceau « Headstash » de Smoke DZA que beaucoup découvriront pour la première fois, moi y compris, le beatmaker Kenny Beats. Un titre extrait du projet Substance Abuse 1.5: The Headstash (20 avril 2010) qui fêtera déjà dans quelques semaines ses 10 ans. Un placement qui marquera les débuts officiels de Kenny dans le milieu rap avec un parcours atypique qui mérite vraiment de s’y pencher.
Première expérience dans le milieu Hip Hop
Originaire de Greenwich dans le Connecticut, c’est à New York que Kenneth Blume obtiendra pour la première fois l’opportunité de découvrir de l’intérieur l’industrie musicale. Étudiant à Boston à la Berklee College of Music, il décrochera un stage dans la structure musicale Cinematic Music Group géré par Jonny Shipes. Une occasion de voir l’envers du décor, et notamment le côté business de ce milieu, pour celui qui possède une base musicale solide après avoir pratiqué dans son enfance la guitare puis la batterie.
Aux débuts des années 2010, le label Cinematic Music Group s’occupe d’artistes comme Smoke DZA, Curren$y et Big K.R.I.T. Une opportunité en or pour le jeune stagiaire de proposer quelques unes de ses productions et de commencer à se faire un nom. Il placera un certain nombre de beats sur les premiers projets de DZA, ce qui l’amènera aussi à côtoyer d’autres rappeurs émergents comme Kendrick Lamar (« Ball Game ») et Dom Kennedy (« Pow Wow ») invités notamment sur le Rolling Stoned du MC de Harlem.
Toutefois, pour moi, sa production la plus emblématique de l’époque restera ce « Party » de ScHoolboy Q. Un single porté par une ligne de basse dévastatrice qui ne finira sur aucun projet mais qui annoncera de façon symbolique le tournant que décidera de prendre le beatmaker lors de cette année 2012.
L’intermède LOUDPVCK
N’arrivant pas à vivre de ses productions pour le milieu Hip Hop, Kenny choisira de se recentrer vers la scène EDM (Electronic Dance Music) en formant avec Ryan Marks le duo LOUDPVCK. Les deux compères se feront vite un nom et commenceront à enchaîner les dates dans les clubs et festivals. Autour de ce duo se structurera une véritable équipe composée d’un manager, d’un agent et d’un avocat. Une approche beaucoup plus professionnelle du métier qui permettra à Kenny de comprendre l’importance d’un entourage solide pour gérer tous les à-côtés de la musique.
De cette expérience, il tirera pas mal de leçons qui lui serviront plus tard dans sa façon d’aborder la création d’un morceau avec un artiste. Loin de son milieu de prédilection, le Hip Hop, il profitera de la décision de Marks de quitter LOUDPVCK pour finalement envisager un retour dans le rap game, mais à certaines conditions…
Un comeback habillement préparé
En 2017, quand l’aventure LOUDPVCK prendra doucement fin, Kenny comprendra rapidement qu’il est l’heure pour lui de revenir à ce qu’il faisait au début de la décennie. Il décidera donc de s’installer au nord de Los Angeles, à Burbank, pour y préparer son grand comeback. A 26 ans, et après avoir voyager un peu partout, le beatmaker sait exactement où il veut aller et ce qu’il veut faire. Son approche de la production sera donc bien différente de ses débuts en décidant d’accorder une importance toute particulière à son mode de collaboration avec les artistes. J’y reviendrai un peu plus tard.
De retour sur la planète Hip Hop, pendant 6 mois, il va minutieusement peaufiner son style et analyser les tendances actuelles pour étoffer son catalogue de production. Il consacrera plus de 12 heures par jour à se créer un arsenal de beats aussi éclectique que possible, tout en se perfectionnant au métier d’ingénieur du son devenu pour beaucoup indissociable de celui de beatmaker.
Enfin prêt, c’est à Atlanta et en compagnie de deux membres du label 1017 Eskimo de Gucci Mane qu’on retrouve Kenny Beats derrière les manettes. Tout d’abord avec le EP 7 titres South Dark en collaboration avec Hoodrich Pablo Juan, puis en produisant 6 morceaux sur la mixtape Wopavelli 3 de Lil Wop. Mais c’est finalement aux côtés d’un autre rappeur d’ATL que Kenny s’attirera toutes les louanges…
Key! & Kenny Beats, un duo qui marche
Juste avant l’été 2018, Key! et Kenny Beats sortiront un projet en commun intitulé 777. Une réussite à tous les niveaux qui confirmera la facilité pour KB de s’adapter à son interlocuteur pour en tirer le meilleur. Véritable bouffée d’air frais, ce projet de 15 morceaux – dont la plupart ne dépassent pas les 2 minutes 30 secondes – marquera un nouveau point de départ important dans la carrière de Kenny.
L’alchimie entre les deux artistes ira bien au delà qu’une simple sélection de beats. Pour ce projet, Kenny occupera aussi bien la casquette de directeur artistique que d’ingénieur du son, en passant par coach vocal. La fraîcheur et la spontanéité des différents morceaux fera de cette sortie un incontournable de l’été.
Cette année 2018 sera marquée aussi par deux autres collaborations majeures avec des artistes installés dans le milieu comme Freddie Gibbs et Vince Staples. On retrouvera Kenny Beats à la production de la moitié des morceaux qui composent le projet Freddie de Gibbs, et sur quasiment tous les titres du FM! de Staples. Pour ce dernier album, les univers de Vince et Kenny se percuteront pour donner un objet sonore cohérent et redoutablement efficace. Une sortie qui entraînera un certain nombre de sollicitations pour le producteur avec une recrudescence des demandes de collaboration qui aboutira à populariser la touche sonore de Kenneth avec notamment son tag Whoa, Kenny! placé au début de ses prods.
Producteur et pas seulement beatmaker
Vous l’aurez compris, le rôle qu’aime occuper Kenny Beats dans un projet ne se résume pas uniquement à celui de pourvoyeur de son. L’artiste de 28 ans se voit comme un vrai producteur et pas un ‘simple’ beatmaker. Il tient particulièrement à cette différenciation qui est peut être un peu obscure pour le grand public. Jusqu’aujourd’hui, il s’interdit d’envoyer ses prods par mail, préférant se retrouver physiquement en studio avec l’artiste. Ce qu’il souhaite dorénavant par dessus tout, c’est pouvoir interférer dans l’enregistrement d’un morceau, que ce soit au niveau des modifications du beat ou superviser tout simplement l’enregistrement.
I don’t wanna be Metro Boomin,
I wanna be Quincy Jones !
Pour Kenny Beats, une collaboration ne peut se résumer à un échange restreint où le rappeur et le beatmaker se contenteraient chacun de rester dans leur zone de confort. La compréhension des attentes de son interlocuteur est une donnée indispensable pour le producteur dans la réalisation d’un bon morceau. Un mantra qu’il va transformer en show avec sa série de vidéos The Cave débuté en 2019 dans laquelle il y invite un artiste pour fabriquer de A à Z un titre original en sa présence.
16 épisodes déjà publiés qui ont vu défiler Denzel Curry, Danny Brown, 6LACK, Lil Yachty, slowthai, EARTHGANG, Maxo Kream, Smino, Doja Cat, JPEGMAFIA, Freddie Gibbs et autres proches comme Key!, Vince Staples et Rico Nasty.
La machine Kenny Beats est lancée
Si 2018 aura marqué le réel retour aux affaires de Kenny Beats, 2019 ne sera que la confirmation. En cumulant plus de 8 millions de vues en 9 mois, son show The Cave sera un énorme succès et un tremplin parfait pour ses projets. Une année qui sera symbolisée aussi par deux sorties importantes. La première sera cette collaboration diabolique avec la rappeuse Rico Nasty sur le projet Anger Management. 18 minutes dispatchées en 9 pistes qui y voient se mélanger Trap, Punk et Metal dans une atmosphère tout simplement enivrante.
La seconde sortie sera cet album en commun Netflix & Deal avec 03 Greedo enregistrée bien évidemment avant l’incarcération du rappeur de Los Angeles. Encore une fois le résultat est fidèle à l’univers de l’artiste avec un apport indéniable de Kenny Beats que beaucoup de monde s’arrache actuellement. Le producteur est allé chercher le meilleur de Greedo le poussant à essayer de nouvelles choses qui s’avéreront convaincantes.
Un projet, porté par ce sublime single « Disco Shit » avec en invité Freddie Gibbs, présenté il y a quelques semaines sur ce même site à travers une chronique. Avec Rico et Greedo, Kenny a trouvé deux partenaires de jeu capables aussi de le challenger avec des demandes inédites. Des requêtes qui ne surprendront pas le producteur qui s’était donc préparé à toute forme de sollicitation.
Retour gagnant, et maintenant ?
Que doit-on attendre de Kenny Beats en 2020 ? Le producteur reste assez mystérieux sur ses prochaines collaborations mais une chose est sûre, il ne manque pas de proposition. Si son retour au premier plan est indéniable, le plus dur commence peut être pour lui avec une attente qui a grimpé d’un niveau.
Toujours au travail, on le retrouvera comme d’habitude sur des projets assez différents en commençant par le nouvel album du groupe rock british IDLES dont le leader Joe Talbot a confirmé sa présence. Kenny est un producteur qui dans sa démarche artistique me fait penser un peu à Danger Mouse. Il semble capable de s’adapter à n’importe quelle situation du moment que l’envie et le feeling est présent.
Côté Hip Hop, il ne fait aucun doute qu’on le croisera dans les crédits de nombreuses sorties en 2020 et sur ce site avec des présences pressenties dans nos différentes playlists.