Fantasmée depuis des lustres, cette collaboration entre le maître de Chicago et l’enfant solitaire de Cleveland voit peut-être le jour au moment où on l’attend le moins. Le tout au service d’un projet éponyme regorgeant de vie et de détails, malgré l’aspect concis de ses sept titres.
En 2008, Kid Cudi est un jeune homme rempli de tourments. Il en a toujours été ainsi. Mais, désireux de devenir l’artiste que son talent doit lui permettre d’être, il prend une décision radicale : quitter son Ohio natal pour rallier New York. Une décision salvatrice pour la suite de sa carrière. Artistiquement parlant, il n’est encore qu’une promesse, et on commence à le labelliser « rappeur », même s’il ne rappe pas (et ne rappera jamais vraiment) dans ses chansons. Ses deux Mixtapes Stoner Charm et surtout A Kid Named Cudi attirent l’attention d’un producteur alors au faîte de sa gloire : Kanye West.
Si 2008 est une année charnière pour Kid Cudi, cette affirmation est non seulement valable pour Kanye West, mais également pour le Rap dans son ensemble. Personnellement, Ye est abattu par le décès de Donda, sa mère, et ébranlé par une douloureuse rupture avec la designer Alexis Phifer. Ces événements lui servent évidemment de moteur quand l’automne venu, 808s & Heartbreak sort. Décrié, y compris par l’auteur de ces lignes, on ne peut qu’admettre le fait que cet album a redéfini les contours du Rap mainstream, pour le meilleur comme pour le pire.
Flairant le potentiel de Cudder, Kanye s’empresse malgré tout de le signer sur son label G.O.O.D Music et de le prendre sous son aile par ce biais. Une riche idée, tant Kid Cudi, notamment à travers ses deux premiers albums studio Man Of The Moon: The End Of Day et Man Of The Moon ll: The Legend Of Mr. Rager, montre à travers sa musique hybride entre Hip-Hop, Electronica et Pop qu’il est l’enfant le plus légitime de Kanye. Le fils rendra la pareille au père à de nombreuses reprises, notamment sur « Welcome To Heartbreak » ou encore « Gorgeous ». Un disque réunissant Cudder et Kanye était donc destiné à voir le jour. Désir d’émancipation du fils, délires égotiques du père, divers projets, et santé mentale aléatoire des deux auront retardé l’évidence.
Kids See Ghosts est donc le projet se calant au milieu des cinq albums chapeautés par Kanye West en juin dernier. Après avoir déjà collaboré sur Graduation, l’artwork est une nouvelle fois confiée au plasticien Takashi Murakami. Pour un résultat tout en nuances, dans lequel la fantaisie colorée de l’artiste japonais habille le chaos que constitue l’esprit des deux protagonistes du disque. Un disque substantiel, enregistré suite à Passion, Pain & Demon Slayin’, et annoncé laconiquement sur Twitter le 19 avril dernier.
L’album s’ouvre avec « Feel The Love », agressive entrée en matière qui voit Pusha T y délivrer le seul véritable couplet rappé du projet. Un couplet enregistré à quelques heures de la diffusion de KSG. Pendant que Kid Cudi, timidement, se montre reconnaissant de l’amour et de la force reçue pendant les récentes périodes troubles de sa vie.
Dans « Never Let Me Down », Kanye West affirmait être né pour être différent. Cette différence, cultivée à outrance en bien (son acharnement à dégainer College Dropout à une époque où personne ne croyait en lui), mais aussi en mal (les raisons du ridicule incident l’opposant à Taylor Swift en 2009) a forcément un prix. Le jugement, la pression exercée par les pairs, la difficulté de concilier vie d’artiste et vie de famille, constituent le thème central de « Fire » et de « Freeee (Ghost Town, Pt 2) ».
Qu’on ne s’y méprenne pas, Kids See Ghosts est d’abord le projet du chicagoan d’adoption. Pensé, structuré, produit par lui-même et par des gens de confiance à lui. Pourtant, la seule présence de Kid Cudi emmène le tout vers le ciel. D’abord effacé sur « Feel The Love », puis prenant peu à peu la mesure du projet sur « Fire », c’est sur « Reborn » qu’il emporte tout le monde. Toujours dans ce style mû par cette verve désenchantée qu’il porte en lui depuis sa plus tendre enfance.
« Reborn » est le morceau le plus lumineux de cet album, et l’un des plus passionnants de cette année 2018. Délicatement agencé par Dot Da Genius, il pourrait être la vitrine de ce KSG, tant l’entièreté des thèmes forts de l’album sont abordés avec brio. Kanye y prend d’abord la parole, fend quelque peu l’armure et témoigne sa lutte contre ses troubles bipolaires, sa dépendance aux opioïdes, et ses conséquences sur son quotidien. Avant de laisser Kid Cudi prendre la main. Véritable métronome de ce morceau, le stoner partage le cauchemar qu’était devenu sa vie, partagée entre dépression et diverses drogues, et le soulagement qui est le sien aujourd’hui, lui qui a su trouver les ressources pour se reprendre en main, se soigner, et redevenir clean.
Les deux comparses, totalement réconciliés après une légère période de trouble, continuent sur leur lancée en invitant Yasiin Bey sur le titre éponyme « Kids See Ghosts », pour philosopher à propos de l’idée suivante : les enfants peuvent voir ce que les adultes ne se permettent plus de voir. Puis, c’est sur un riff de guitare réactualisé du regretté Kurt Cobain que le natif de Cleveland clôt le voyage sur « Cudi Montage ». Libéré, il se livre à une forme de bilan. Un bilan forcément contrasté, le voyant passer d’enfant accablé par la mort précoce de son père, à l’adulte sobre qu’il est actuellement, en passant par ses années de dépression, marquées par la défonce, l’anxiété et l’internement.
Il serait difficile et abusif de se hasarder à une conclusion type « ce projet est le plus personnel de Kanye West », ou encore « Kanye à cœur ouvert sur Kids See Ghosts« . Mais force est de reconnaître que dans une année 2018 marquée par ses déclarations maladroites sur l’esclavage, son sens relatif de la mesure sur Twitter, et ses ambiguïtés avec Donald Trump, il est bon de revoir le natif d’Atlanta œuvrer humblement dans ce qu’il fait de mieux : la musique.
Pour ce faire, la présence de Kid Cudi lui fait énormément de bien. En parfaite santé mentale, il canalise Kanye et contribue par ce biais à rendre plus beau encore cet album. Une fois n’est pas coutume, c’est à la production qu’on retrouve le plus d’invités. Les habitués sont de la partie : Plain Pat, Dot Da Genius, Mike Dean, et Justin Vernon (déjà présent sur « Lost In The World »). Et surtout, on trouve ici et là du Cashmere Cat, du André 3000 ou encore du Benny Blanco. Au niveau des featurings, outre King Push et Yasiin Bey, Ty Dolla $ign apporte sa pierre à l’édifice sur « Freeee », tandis qu’on retrouve la voix de Louis Prima, habilement samplé sur « 4th Dimension ».
Coincé au milieu de blockbusters tels Daytona, Nasir de Nas, ou même Ye, Kids See Ghosts ne sera sans doute pas le plus acclamé quand la fin du bal 2018 marquera le moment de rétribuer les musiciens. Il n’est pourtant pas le plus inintéressant, loin de là. Au fond, on parle d’un disque qui raconte la belle histoire d’une renaissance. Un récit en sept tomes du retour aux affaires d’un roi qui semblait avoir amorcé son déclin, et du plus illustre de ses disciples.
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