Sans crier gare, Kaseem Ryan alias Ka s’approche du statut de rappeur culte. La trajectoire fascinante de son œuvre l’atteste, le MC de Brownsville est d’une espèce rare. Il est de ces artistes qui ont su se créer un espace, le posséder et en hanter un peu plus chaque recoin. Dans son cas, le phénomène s’est produit au gré d’un dépouillement musical croissant et d’une écriture, où chaque mot compte. Sa voix au grain si particulier, est a l’évidence marquée par le poids des années.
Enfin, son souffle est celui d’un ancien qui en a beaucoup trop vu. Et pour cause, Ka exprime ce que jamais il n’aurait voulu savoir écrire. Ce qu’il n’aurait jamais voulu vivre, voir, souffrir, puis intégrer.
Introspectif, céleste, pétri de stigmates, le MC consigne un régiment d’images qu’il nous a désormais habitué à mettre en relief, à grand recours de références culturelles. Après avoir regardé du côté des Samouraïs, puis du mythe d’Orphée, Ka s’est inspiré d’un passage de la Bible. Pour son nouvel effort, il prête une nouvelle descendance à Caïn, fils d’Adam et Eve, qui pris d’une jalousie meurtrière assassina son frère cadet Abel, lequel avait reçu un regard favorable de Dieu sur ses offrandes. Caïn fut alors condamné à l’errance sur terre.
Avec la solitude d’Hénoch, celle d’un fils de fratricide, Ka parcourt un Brownsville devenu royaume des ombres, peuplée de silhouettes qui se dépêchent de mourir où de perpétuer le crime originel. Toutes ces ombres transpirent le souvenir douloureux des ghettos new-yorkais des années 80, frappées par l’épidémie du crack. Au milieu d’elles, un homme dissimule un flingue encore fumant entre les mains de son gamin. Lorsque que Ka mentionne dans « Patron Saints », le moment qui lui a fait prendre « des années en un jour », il cristallise le poids d’un triste héritage. La transmission d’une forme de violence irrespirable et d’un savoir, celui de l’école de la rue venant directement des aînés, des figures paternelles, livrées à une interprétation sanguinaire de la loi du talion (Old Justice).
Aucun œil, sinon ceux animés par un agenda, ne saurait considérer cette violence comme un simple état de fait où comme une réalité qui se serait engendrée d’elle-même. En expulsant sa douleur, Ka se tache de rappeler qu’elle est née d’une conséquence. En substance, il révèle que dans le sang qui coule, de génération en génération, se cache l’encre d’une structure, l’encre d’un système.
Ce système dont le dessin semble appelé à faire des vainqueurs et des vaincus, poussant bien souvent les derniers dans des zones délaissées pour qu’ils y demeurent comme dans un panier de crabes. Comble des combles, c’est le même système qui se tient derrière les contrats tendus au premier jeune jugé « suffisamment » talentueux pour sortir de la misère sociale… où pour engraisser la machine. On lèche, on lâche, on lynche, et derrière le rideau des success-stories, on compte bien plus de casse, d’autodestructions encouragées et d’explosions en plein vol.
En choisissant la totale indépendance Ka se tient loin de ce modèle. Une vision qu’il partage avec Roc Marciano, le frère d’armes, auteur d’une caméo brillante, le corps gonflé d’orgueil, un ange à chaque épaule, oscillant vers l’un comme vers l’autre, avec la même intensité. Le voir apparaître sur l’intitulé « Sins of Father », tient de l’heureuse coïncidence lui qui ouvert la voie il y a dix ans avec Marcberg à tout un pan du rap underground esthétique et résolument élitiste.
L’apparition de Marciano offre un sursaut salvateur dans un album autrement frappé du sceau de la malédiction. Comme si, de la naissance au retour dans la poussière, Ka et les siens allaient tourner sur eux-mêmes, encerclés par le vice et pétris d’un sombre paradoxe. Celui d’une oisiveté meurtrière qui voit une communauté espérer une pluie ne venant d’aucun ciel, mais qui est racine de tout les maux.
De fait, pour faire front et surmonter, Ka doit regarder dans d’autres allées. En lui-même, vers un havre où ses yeux peuvent s’arrêter sans accroc sur les visages de son épouse, Mimi Valdés, de sa mère, et de Kev, l’ami d’enfance parti trop tôt avec qui il formait un duo du nom de Nightbreed.
Aussi, dans l’ultime titre de l’album, il dédie un couplet à chacun d’eux, qu’il ponctue à chaque fois d’un poignant « I love ». Cette formulation désarmante, débordante d’émotions, et pleine de pudeur à la fois, laisse transparaître combien aimer et être aimer en retour, a permis à Kaseem Ryan de survivre, de se maintenir, puis de s’élever. Dans le tableau qu’il dresse, l’amour est peut-être le seul sauveur d’une descendance maudite.
Ce portrait est une contribution libre d’Alfred Dilou. Si vous souhaitez, vous aussi, tenter d’être publié sur le site, envoyez-nous vos propositions d’article via notre page de contact.
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