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Jorja Smith – Lost & Found

Jorja Smith a sorti son premier album en ce 8 juin parmi la cascade de projets qui émergent dans une excitation et une agitation quasi hystérique orchestrées par Kanye West. Pourtant, elle concourt à donner à ce mois exceptionnel pour le hip-hop une dimension aussi charmante et délicate que son timbre de voix en sortant enfin son premier LP Lost & Found. A découvrir.
Très vite, Jorja Smith s’est imposée comme une force dans le cercle très fermé des artistes R&B/ Soul qui intéressent encore. Avec Project 11, son premier EP sorti en 2016, la chanteuse britannique avait annoncé la couleur : elle n’était pas là pour ressembler à une caricature du R&B et encore moins pour suivre la tendance. Dès l’âge de 11 ans, la jeune prodige commence à composer en s’imprégnant d’un vaste catalogue soul et pop. Elle confie au magazine Fader que le premier titre qu’elle se souvient avoir écrit, « High Street », peignait le paysage de sa ville natale de Walsall durant la récession économique début 2000. Une âme d’ »artivist » sommeillait déjà en elle.

Des influences musicales variées

La musique de Jorja Smith a toujours été très communicative. Avec Projet 11, la jeune artiste britannique s’était immergée dans un univers soul qu’elle avait réussi à s’approprier. De son côté, son premier album, Lost & Found, s’inscrit dans la lignée des debut albums qui feront encore parler d’ici 10 ans.
On ne peut s’empêcher de prêter à sa musique des airs de Sade. Sa texture de voix est singulière, influencée par le jazz, le gospel (plus jeune, elle avait chanté « Silent Night » à l’église) et un langage imbibé du slang londonien. Elle chante avec l’insouciance et le tourment qui ont fait d’Amy Winehouse une icône des temps modernes. Rien de surprenant qu’elles soient souvent comparées, bien qu’elles jouent sur deux tableaux différents.
Mais son portfolio musical ne s’arrête pas seulement au jazz, à la soul et au R&B. Plus jeune, punk et reggae — que sa mère affectionnait tout particulièrement — tournaient en boucle dans sa maison d’enfance. Son père, quant à lui, avait réussi à lui transmettre une fibre soul qui a facilement pris le dessus. Il n’en reste pas moins que cette diversité des genres dans laquelle Jorja Smith a baigné se retrouve dans son album.
En plus des influences multiples qui traversent ce premier opus, la chanteuse Jorja Smith s’est elle-même constituée son propre catalogue musical. Elle cite Channel Orange de Frank Ocean et Acid Rap de Chance the Rapper parmi les albums qui l’ont marquées et n’hésite pas à flirter avec le hip-hop : que ce soit avec les instrus de Lost & Found et le flow de « Lifeboat », en guest dans l’album « More Life » de Drake (qui lui a même offert un interlude, rien que pour elle) ou encore en partageant un titre avec le rapper anglais Stormzy.

Histoires d’amour, peine de cœur et prise de conscience

Le spectre d’un amour perdu hante les lignes de la tragédie amoureuse moderne qu’est Lost & Found. Entre émancipation (« February 3rd ») et mélancolie (« Where Did I Go », « The One »), ce premier opus est le fruit de longues interrogations qui se reflètent dans des textes simples, clairs, mais longuement travaillés. Personnel et révélateur, Lost & Found a été écrit et co-écrit entièrement par Jorja Smith elle-même. La chanteuse exhibe au monde les doutes qui lui traversent l’esprit, les incertitudes et les histoires d’amour foireuses qui illustrent si bien l’adolescence.
Le titre « Teenage Fantasy » traduit des influences R&B début 2000. Écrit alors qu’elle n’avait que 16 ans, elle ressasse des souvenirs de jeunesse qui plongent l’auditeur dans un journal intime vivant. Son amour pour la musique se ressent tout au long de son album. D’ailleurs, son père l’avait encouragé à prendre des leçons de piano, instrument qu’on retrouve à de nombreuses reprises dans cet LP.

Lost & Found explore des thématiques variées

Dès la première écoute de Lost & Found, on constate que Jorja Smith est une storyteller. Les amourettes de sa jeunesse incarnées par « Teenage Fantasy » et « Where Did I Go » laissent place à une prise de conscience assumée avec « Goodbyes », « Tomorrow » et « Blue Lights ». On ne peut qu’apprécier la progression qui se fait d’un titre à l’autre, comme si ce premier album était une façon de tout mettre à plat et de repartir à zéro. Les préoccupations adolescentes s’effacent au profit de réflexions plus adultes. Les titres R&B/Soul effectuent un léger virage pop — parfois fragile — à la seconde moitié de l’album (comme « Wandering Romance »).
Et même si l’amour est la thématique principale de Lost & Found, Jorja Smith n’hésite pas à mettre en lumière les maux de nos sociétés occidentales modernes. Dans « Lifeboat (Freestyle) », elle questionne les dysfonctionnements du monde actuel et tente de comprendre, du haut de ses 21 ans, pourquoi son gouvernement favorise les plus riches. Comme elle l’a confié à de nombreuses reprises lors d’interviews, elle préfère écrire sur les autres plutôt que sur elle-même. Néanmoins, ce premier LP relève plus d’une introspection que d’un état des lieux d’une quelconque situation politico-économique.
Cependant, il ne faut pas oublier que ce premier album est un opus de transition puisqu’il arrive à un âge où la chanteuse grandit et mûrit. Les préoccupations d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui : elle s’ouvre au monde, tente de comprendre l’environnement qui l’entoure et remet en cause des institutions fondamentales (amour, amitié).

Un album qui se veut introspectif…

Plus impressionnant encore, Jorja Smith a évité un écueil important : celui du j’ai-toujours-raison. Lost & Found offre une multitude de points de vue qui s’affrontent et se confrontent. Au lieu de se complaire dans une vision nombriliste, elle sort de son cocon protecteur pour reconnaître qu’elle aussi, n’est pas parfaite. Dans « Tomorrow », elle n’hésite pas avouer ses torts, chose qu’elle aurait pu mettre de côté « By fighting your help I thought I knew it all, I’m lying alone and now I know it all ».
De plus, Jorja Smith sort à peine de l’adolescence, mais elle possède le recul d’une jeune femme qui en a déjà beaucoup vu. Et même si sa musique entretient une relation étroite avec la soul, la classer dans un genre unique serait mettre de côté toute la complexité de son profil artistique. En effet, difficile de la ranger dans un registre particulier tant sa voix et son style transcendent rythmes et mélodies.

… mais ne surprend pas assez

Si on devait reprocher une chose à Lost & Found, c’est de ne pas réussir à maintenir l’attention de l’auditeur durant les 46 minutes qui le composent. L’album est bon, très bon même d’un aspect lyrique et poétique : il y a une véritable démarche de raconter une histoire avec un début, une fin et de belles métaphores. Mais cela ne suffit pas à nous tenir tout au long de l’album. On se retrouve assez rapidement à passer les tracks en espérant être surpris. Là où Jorja Smith échoue, c’est dans son inaptitude à prendre des risques : elle campe sur ses acquis et n’explore pas assez son potentiel vocal comme l’avait fait avec brio Alicia Keys dans Songs in the Minor, son premier album. Jorja Smith, elle, nous laisse sur notre faim, et les titres ne sont pas toujours entièrement exploités. Il n’en reste pas moins que Lost & Found reste un agréable projet et, au fond, on ne peut pas demander à une débutante de réaliser un travail d’expert. Jorja Smith est nouvelle dans le monde de la musique et n’a pas encore pris ses marques. Reste à voir quelle direction musicale elle prendra dans les années à venir.

Jorja Smith – Lost & Found



Cette chronique est une contribution libre d’Anas Daif que nous avons choisi de publier sur The BackPackerz. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur The BackPackerz, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.

La Rédac

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