Jewel Usain – Où les garçons grandissent

« J’ai taffé ma mixtape comme un EP, j’ai taffé mes EP comme un album, comment tu crois que je vais taffer l’album ? ». C’est en ces mots pleins de promesses que Jewel Usain décrivait sa conception de la musique en guise d’introduction du morceau « Tel #3 », présent sur son EP Tel sorti en 2019, qui avait su lui faire un nom chez les connaisseurs. Or, depuis 2019, Jewel Usain, de son vrai nom Yoann Jeanville, n’a cessé de dépasser les attentes placées en lui grâce à une qualité musicale peu commune, qui fait désormais office de référence dans « l’underground » ou le rap de niche ; une forme de réponse nécessaire à ces mots annonciateurs d’un pointillisme musical notable pour un artiste qui n’était jusqu’alors pas à temps plein.

Après la publication en 2021 de son premier disque intitulé Mode difficile, que fallait-il attendre de son deuxième album annoncé pour la fin de l’année ? L’a-t-il davantage « taffer » que le précédent comme annoncé ? Lorsque l’on a conscience de la difficulté que représente la confirmation sur un deuxième album construit sur 2 ou 3 ans par opposition au premier disque, qui lui était le fruit d’une longue digestion de 31 années, l’album n’était-il pas promis à n’être qu’une pâle copie de Mode difficile ?

Retour sur le portrait d’un artiste prometteur

Derrière ces questionnements se cachent un artiste et un rapport à la musique spécial ; comparativement aux têtes d’affiches qui font tout pour servir la demande ;  et typique des artistes qui à l’instar d’un Alpha Wann choisissent la « qualité en guise de promo » (extrait du morceau « apdl »). Jewel Usain est un rappeur originaire d’Argenteuil situé dans le 95 qui a commencé à rapper en 2011. Ainsi, ses pères émérites et légendes du rap français que sont Sniper ou encore Lino du duo Ärsenik ont particulièrement compté dans son parcours d’auditeur.

En effet, la palette musicale de Jewel Usain ; exposée à merveille sur son premier album Mode difficile ; s’explique notamment par cette dualité entre un rap acéré et technique cher à Lino couplé aux refrains reggaes endiablés de Blacko (Sniper) ; qui se rejoignaient autour de thématiques poignantes. Songeons au morceau « Le Procès » de Mac Tyer Tunisiano, un autre membre de Sniper, et Lino sont tous deux présents. En effet, les couplets rappés avec précision, les envolées mélodieuses et les performances musicales (un solo de guitare électrique clôture le projet) se succèdent pour former un tout varié et cohérent qui trois ans plus tard n’a pas pris l’ombre d’une ride.

C’est qu’en effet le temps occupe une dimension centrale dans sa conception musicale. Jewel Usain cherche à produire des projets hors du temps, ne marquant pas une période mais bien le mouvement hip hop dans son entièreté comme il pouvait le déclarer dans une interview (Hypesoul, 2020): « Mon objectif c’est que mon projet soit intemporel. Qu’on l’écoute en 2020 ou en 2025 et qu’on reconnaisse sa valeur ». Néanmoins, son écriture restait à parfaire, frôlant tantôt l’excellence ; quand il s’agissait de relations amoureuses tumultueuses sur « Malcolm et Marie » ; et tombant tantôt dans l’inintéressant sur « Mavado » dédié à la glorification de son personnage.   

Alors que dire d’Où les garçons grandissent ?

Au vu des deux amuses bouches éclectiques qu’étaient « Je reste là » et « Eleanor » ft. Prince Waly, tout laissait à penser que l’artiste d’Argenteuil avait encore passé un cap aussi bien musicalement que sur son écriture pour atteindre des sphères qui lui ont été promises depuis près de 5 ans. Or, le bilan est clair, net et précis : Jewel Usain a effectivement vu beaucoup plus grand pour ce projet et ce dans tous les secteurs.

Tout d’abord, la richesse musicale du projet sort du lot pour un album de rap. En effet, le projet s’inspire en grande partie de sonorités propres au jazz avec l’usage récurrent de saxophones et de pianos, sans pour autant tomber une seule fois dans les redites. Grâce au tandem qu’il forme avec Béesau, qui fait office de directeur artistique, les instrumentales sont diverses tout en offrant une cohérence musicale impressionnante et se marient parfaitement aux performances de Jewel Usain. Contrairement à de nombreux albums de rap, l’accent est mis sur la musique au point de proposer des parenthèses musicales grâce à l’usage d’un gospel sur « Je reste là » ou en laissant dérouler l’instrumentale épique de « Pastille bleue » ou plus harmonieuse de « Bleu marine » en guise d’outro. Ainsi, ces influences liées au jazz permettent au projet de s’inscrire musicalement dans la lignée d’un To pimp a Butterfly de Kendrick Lamar par leur capacité à évoluer au fil des époques sans paraître vieillissant.

Par ailleurs, les textes de Jewel Usain se sont enrichis sans nécessairement changer de thématiques par rapport à ces projets précédents. L’accent est notamment mis sur son développement en tant qu’artiste, qu’il est devenu à plein temps seulement depuis 2021. Un sujet que l’on retrouve particulièrement dans l’introduction ou encore dans « The Hustler’s Book » qui saura faire plaisir aux puristes. Si les relations amoureuses sont un peu moins présentes car elles semblent être source de grands tourments dans sa vie, elles laissent place à des thématiques nouvelles tournées vers le social comme la difficulté qu’ont les jeunes à se construire dans des milieux hostiles. Autrement dit, il se penche sur ce que les gens subissent, où les garçons grandissent. Enfin, son rapport névrosé à l’argent est un des fils conducteurs du projet. En effet, Jewel Usain a toujours été obsédé par l’idée de devenir riche, pensant que l’argent l’aiderait à se défaire de ses chaînes (travail barbant, pauvreté liée à l’origine sociale, famille à aider…). Cependant, la quête de cette richesse fut telle que celle-ci a tout fait sauf affranchir Jewel Usain de sa peine. C’est ce que souligne le morceau « New slave + » (en référence à Kanye West), où avec Tuerie, invité en featuring, ils se retrouvent esclaves de leurs portefeuilles respectifs. Simplement, l’omniprésence de cette thématique est parfois un peu regrettable.

Enfin, il est évident que Jewel Usain marche sur l’eau au micro depuis quelques mois. S’il avait déjà su s’illustrer sur la chaîne d’Oumar lors d’un freestyle impressionnant de qualité aux côtés de Médine, Ben PLG, Souffrance et Tedax Max en début d’année, sa créativité au micro est admirable. Que ce soit sur du rap traditionnel, sur des envolées lyriques ou avec un flow jamais vu (songeons à « Biff pt.2 »), Jewel Usain fait preuve d’une grande prestance au point d’exhiber un niveau de confiance rare au fil de l’album. Dans “Eleanor” et “Pastille bleue”, il déclamait respectivement : « j’ai écrit ce texte sur le type beat d’un mec que je mets à l’amende » et « les mecs qui m’invitent sortent rarement les morceaux ».

Ainsi, Où les garçons grandissent est une copie quasi-parfaite de ce que sait faire Jewel Usain, c’est-à-dire tout dans cet art qu’est le rap. S’il pouvait déclarer sur « Eleanor » : « ils me trouveront fort quand je serai à la mode ou bien à la morgue », cet album vient mettre un grand coup de projecteur sur son œuvre. Jusqu’à devenir à la mode un jour ? Si cela paraissait improbable il y a de ça quelques années, les récentes réussites d’artistes faisant une musique sans concession (Laylow, Freeze Corleone) ont établi un précédent à de telles ascensions. Alors, espérons que Jewel Usain devienne à la mode car Où les garçons grandissent s’impose assurément comme un des meilleurs albums de l’année 2023.

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Chronique rédigée par Hugo Branche

La Rédac

BACKPACKERZ, c’est une grande mif de NERDZ réunis par l’amour du son et le goût du partage. Une équipe d’explorateurs passionnés, qui sillonnent la galaxie rap et les nébuleuses voisines, à la recherche de ses futures étoiles.

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