À l’occasion de la release de son nouvel album Nuit, c’est dans un salon de l’Hôtel Paradis (Paris X) qu’on retrouve Jazzy Bazz. Affable, malgré une longue journée promotionnelle, on a tranquillement pu échanger autour de différents sujets. Du bilan qu’il fait de P-Town à son regard sur le Rap dit « technique », en passant forcément par le processus de création de Nuit. Entretien avec un rappeur passionné.
Tu étais à New York cet été, comme avant la sortie de P-Town. C’est quelque chose de récurrent chez toi ?
A l’époque j’étais à New York pendant trois mois, voir un de mes potes sur place qui est aussi mon ingé son. On a travaillé sur P-Town, et on a vécu ensemble là-bas du coup. C’est une ville que j’adore. L’ambiance, les inspirations musicales, il y a beaucoup de choses que je peux associer à cette ville. Cela me faisait plaisir de passer du temps avec mon pote là-bas.
Et cet été, mon père fêtait ses soixante-cinq ans et il n’avait jamais été à New York. Vu que c’est un gros fan de Jazz, avec mon petit frère on a décidé de lui offrir ce voyage. On lui a fait la surprise, j’ai fait un montage photo de nous trois avec la statue de la liberté. C’est un super souvenir. Je n’avais jamais pris le temps pendant mes différents séjours à New York de voir les choses touristiques que cette ville peut offrir. Dans ces moments, tu te rends compte que tu passes à côté de trucs de ouf. Surtout que là c’était en famille, mon père a kiffé, on l’a emmené dans des clubs de Jazz. Ce voyage me permettait également de souffler car l’album était vraiment terminé à ce moment-là.
Quel bilan fais-tu de P-Town deux ans après sa sortie ? Musicalement, répond-t-il à tes attentes ?
C’est intéressant car tu n’as plus vraiment de recul quand tu as la tête plongée dans l’album. Aujourd’hui, si je ré-écoute P-Town, en essayant de me mettre à la place d’un auditeur qui n’a jamais écouté, il y a des morceaux que j’ai l’impression de redécouvrir. En plus, j’ai fait ma tournée avec un live band, donc on réarrangeait certains sons sans mettre l’instru telle qu’elle est vraiment.
Je me suis d’abord posé une question. Est-ce qu’avec du recul, je trouve cet album bon ou pas ? Je suis au final assez content de certains morceaux, et il y en a d’autres que je n’aurais pas laissé dans la tracklist finale. Donc, pour Nuit, je me suis dit qu’il faudrait faire plus de morceaux qu’il n’en faut. Sur P-Town il y en a quinze, là il fallait en faire un maximum pour ne garder que le meilleur au final. Résultat des courses, j’ai une trentaine de morceaux mais j’en ai gardé que douze. Je voulais aussi que Nuit ait plus de relief, car P-Town est parfois trop monocorde. Pour y remédier, je me devais de faire varier mes flows, mes variations, avoir plus d’invités, plus de vie. Je voulais aussi que la manière de produire soit différente. Faire mieux en faisant différent.
Quel est le concept autour de la pochette de l’album Nuit ?
La pochette, c’est un peu comme la première écoute d’un morceau. J’ai envie que ça mette une gifle. La pochette de Nuit, c’est l’oeuvre de David Delaplace. Il a su ce que je voulais. Il m’a dit qu’il voyait quelque chose d’axé sur les lumières de la nuit. C’est exactement ce que je souhaitais, sans pouvoir mettre des mots dessus. On a alors été rider dans Paris en voiture, on a pu voir tout ce qui me plaisait niveau lumières, on a cherché des spots pour shooter. C’est à ce moment que David me confie qu’il me voit bien en observateur.
A la fin de cette ride, on s’est dit qu’il valait mieux reproduire en studio ce qu’on avait en tête. Il y a toujours un élément perturbateur dans la rue. Donc on a recréé ce qu’on imaginait dans un studio. On a fait pleins de photos, et quand celle de la pochette est sortie, on savait que c’était celle-là et aucune autre. David a vraiment fait un super boulot sur ce coup là.
Niveau production, ta démarche était plutôt de privilégier tes gars de Grande Ville, ou bien prendre le meilleur de ce qui venait à toi ?
J’ai vraiment voulu prioriser les gars de Grande Ville. Tu pourras voir que, par exemple, Monomite, Loubenski, qui partent avec moi en tournée, produisent quasiment tout l’album. Par contre, le morceau avec Nekfeu est produit par Kezo, un gars de chez nous aussi. « Stalker » et « Parfum » sont produits par The Hop, un groupe de trois musiciens, dont le batteur est avec moi sur scène. Du coup, Monomite, Loubenski, Bobby Campbell de The Hop, m’accompagnent sur scène et se partagent la majorité de la création de cet album. Sur P-Town, la démarche n’était pas la même. Il y avait plus de producteurs différents, certains travaillaient même à distance. Là, c’était plus tous ensemble, au studio, chez l’un ou chez l’autre.
Comment appréhendes-tu la différence entre travailler en vase clos, comme pour Nuit, et travailler avec plusieurs producteurs différents, comme sur P-Town ?
Je pense ne pas trop mal m’en sortir. Pour P-Town, dans les palettes que chaque beatmaker m’envoyait, je pouvais définir et imaginer la cohérence, l’univers ou la direction dans laquelle je voulais aller. La différence avec le fait de le faire avec les mêmes gars, c’est que cette cohérence est plus facile à trouver. Notre but était vraiment de faire des morceaux plus variés dans les tempos, donner plus de relief, tout en gardant notre couleur commune.
Tu as gardé une certaine continuité dans ta manière de rapper. De l’époque de Rap Contenders à P-Town. Quelle était ta volonté à ce niveau, en préparant cet album ?
Je me suis dit en faisant cet album qu’il fallait que je m’améliore sur la musicalité, de manière globale. Par contre, la qualité d’écriture, la subtilité, tout cela doit être au rendez-vous. Que l’un ne se fasse pas au détriment de l’autre. Je suis content du résultat, l’album est plus varié, c’est vraiment quelque chose que je voulais. Maintenant, aux auditeurs de se faire une opinion.
La qualité d’écriture, la subtilité, tout cela doit être au rendez-vous. Que l’un ne se fasse pas au détriment de l’autre.
Tu penses que l’aspect « technique » du rap nuit à l’émotion que peut procurer un morceau ?
J’adore ce débat ! Si tu veux tout savoir, je l’ai souvent avec mes potes. Si on prend l’exemple du foot, regarde Neymar lors du dernier match du PSG contre Nîmes. Le gars a de la technique, tout le monde le sait. Mais on lui demande d’être efficace. Sur ce match-là, il n’a fait que des passes, il n’a pas percuté, dribblé comme il aurait pu le faire. Quand tu as un certain bagage technique, c’est contre-productif de totalement l’effacer et de ne pas te permettre ce petit moment où tu vas briller, te faire plaisir, nous faire plaisir. Car finalement, Neymar n’a pas fait un si bon match.
Le plus important, dans un morceau, c’est qu’il soit efficace, dans sa globalité. Et la technique, ce n’est pas que les schémas de rimes. La production, le mixage, l’écriture, l’interprétation, tout cela rentre en ligne de compte. C’est ce tout qui constitue la technique et qui aboutit au final à un morceau bien maîtrisé. S’il peut y avoir une faiblesse dans un domaine, cela ne fait pas de toi quelqu’un de complet. Mais attention, chacun joue avec ses armes. Il y a des points forts et des points faibles. Mais si tes points faibles sont vraiment trop faibles, et bien tu ne passes pas pro ! J’essaie d’être conscient de mes points forts et de mes points faibles.
Quel est ton point faible alors ?
Il y a des rappeurs qui sont très forts dans ce domaine, mais je sais que pour ma part, j’ai des progrès à faire en ce qui concerne les morceaux qui ambiancent. J’ai essayé de progresser là-dessus, sur Nuit il y a des gimmicks, choses dont je me foutais à l’époque mais qui correspondent plus à ce que je veux faire aujourd’hui.
Sur le morceau « Cinq Heures Du Matin », c’est Loubensky qui fait des ambiances derrière, un peu à la Travis Scott. Je me suis rendu compte que c’est des choses dont tu as parfois besoin dans un morceau. Vu que cet aspect-là est un point faible chez moi, les featurings aident à donner corps à cette envie qui est la mienne, et à titre personnel ça me fait progresser. C’est lourd, car ce que fait par exemple Sabrina (Sabrina Bellaouel, ndlr) sur l’interlude « Minuit », j’en serais incapable. Ce que fait Bonnie Banane sur « Stalker » non plus.
Quel est ton rapport à la scène aujourd’hui ? On a pu voir au Trabendo que tu savais la tenir.
D’une manière générale, pour ne pas avoir de pression dans la vie, j’essaie d’être moi-même. Ni plus ni moins. Sur scène c’est pareil, je ne me pose pas de trop de questions, j’essaie de ne pas trop gamberger. C’est aussi une question de travail. Le Trabendo, c’est un super souvenir. On est arrivés avec les gens de Grande Ville en ayant rôdé notre show, mains dans les poches, et je pense que le public l’a ressenti.
On avait fait beaucoup de concerts, c’était la fin, et on s’est beaucoup amusés. Chose qui est très importante, c’est ce que je dis dans mon dernier freestyle « Feu Grégeois ». Le public le ressent, il y a un partage, une connexion, une magie qui se passe. Quand je vais à un concert, c’est super s’il y a de beaux effets de lumière, des flammes, un show super travaillé, etc. Mais ce qui me fait avant tout kiffer, c’est voir un artiste content d’être là, qui échange avec son public. Des choses importantes pour moi.
Passionné comme Da Fonseca, j’me dis qu’il faut qu’on s’éclate.
Je voulais, pour finir, revenir sur les deux clips sortis en amont de l’album. »El Presidente » est une référence à Handmaid’s Tale ou rien à voir ?
On m’a demandé si c’était le cas mais non. Je ne connaissais pas la série mais en ayant vu quelques images, je comprends qu’on puisse penser à ça, au niveau des costumes. D’ailleurs faudrait que je m’y mette à fond dans cette série, elle a l’air super.
En fait, ce qui nous a inspiré, c’est un clip d’Alpha Wann, qui s’appelle « 1,2,3 ». Ce clip a été réalisé par Dijor Smith, qui réalise mes clips, et Eliott Brunet. Un moment donné, il y a Alpha Wann et Hologram Lo’ devant une voiture et tout d’un coup tu vois Alpha qui s’élève grâce à un effet réalisé avec une grue de tournage. Je trouvais ça fou. C’était limite il s’élève tel le Messie. J’ai dit à Dijor « pourquoi Alpha a cet effet dans ce clip et pas moi ? ». Il me répond que c’est un effet improvisé mais qu’avec moi, on peut partir de ce truc-là et le développer. De là est venue l’idée de le faire dans une église, avec un égotrip où je joue le rôle d’un genre de gourou, sans que cela ne soit affilié à une religion. J’étais tout de suite partant.
Et « Leticia » ?
C’est le clip que je préfère. Le plus important dans un clip, c’est que l’image et le son collent au maximum. On a mieux réussi à le faire sur « Leticia » que sur « El Presidente », à mon avis. Je suis vraiment fier de ce cette réalisation. Le premier montage était le bon.
A l’écran, l’alchimie est palpable avec l’actrice Manon Bresch. Comment la connexion s’est faite entre vous ?
Hasard des choses, ce morceau était à la base sans voix féminine. J’ai une amie qui s’appelle Myra, c’est la voix féminine qu’on entend à la fin du morceau. Elle est chanteuse et elle a récemment sorti un projet avec Johnny Ola. Il se trouve que Myra est l’une des meilleures amies de Manon. Je voulais une touche féminine qui à mon sens manquait sur ce son, et Myra était parfaite pour ça. La connexion s’est donc naturellement faite.
Manon n’avait jamais joué dans un clip, c’était donc une expérience nouvelle pour elle. Vu que c’est une actrice, l’alchimie dont tu parles est due au fait qu’elle sait jouer un rôle à l’écran. C’est son métier. Elle n’était pas là pour décorer. Vu qu’on s’entendait bien sur le plateau, ça riait beaucoup, tout cela a contribué à la réussite de ce clip. Et j’en suis super content.
Le rappeur sera sur la scène de la Gaité Lyrique (Paris III), le 14 décembre.
Cette interview a été réalisée avec Valentine Touzet.
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