Jay Rock, pierre angulaire de TDE, vient de livrer son troisième album Redemption. Après trois ans d’absence et un vilain accident de moto qui l’a secoué en 2016, le revoilà avec sa meilleure production à date et des invités triés sur le volet.
Si l’artwork et la tradition TDE assument le côté christique du titre de ce projet, il faut croire que Jay Rock a effectivement prévu de s’engager sur un chemin de renaissance. Pas forcément dans sa musique mais clairement dans son approche de la vie, de s’appuyer sur un nouvel élan et de rappeler qu’il était le premier dans cette aventure TDE. Ne nous cachons pas : ce projet a été mené avec savoir-faire et une science aiguë de l’apprêt. De la production aux lyrics, de l’artwork aux singles qui ont annoncé sa sortie (ou même les vidéos qui le contextualise dont la dernière est sortie après l’opus), Anthony « Top Dawg » Tiffith a su créer ce climat d’attente et d’excitation autour de la dernière release de son premier poulain…
Est-il d’ailleurs utile de trop s’attarder sur la production quand on sait qu’elle est brandée TDE, que les in-house producers (les Digi+Phonics parmi lesquels Sounwave ou Dave Free pour ne citer qu’eux) de ce label comptent parmi les plus primés du rap jeu et qu’ils ont brisé plus de nuques qu’un Schwarzenegger ou un Bruce Willis énervés des années 90?
On peut juste signaler que les singles qui ont annoncé la release de Redemption représentent bien les intentions musicales et même lyricales de Jay Rock : de l’énergie (« WIN »), une science d’orfèvre du break beat (« King’s Dead ») et une puissance narrative remarquable (« The Bloodiest »). S’il serait réducteur de résumer l’opus à ces trois tracks, ils ont au moins le talent d’offrir à ce projet un excellent support de promotion. Soit, la finesse de l’analyse marketing de Top Dawg n’est plus à démontrer. Pourtant, l’opus recèle de nouvelles pépites et, avouons-le, démarre en trombe avec quatre morceaux tous plus bouncy et plus sombres les uns que les autres.
« ES Tales »… Voilà une production brillante : aux riffs de guitare à la finesse taillée pour le propos et un effet de gain de piécettes façon Mario Bros répond la percussion des lyrics de Jay Rock… Pourquoi s’arrêter sur ce morceau ? Parce qu’il est puissant, engageant, emballant et qu’il porte à lui seul le cœur du discours de Rock sur cet opus : l’Est de Los Angeles est sa vie, sa prison et son tremplin. C’est un lieu qu’il décrit comme pouvant rendre aussi fou que brillant. Ce thème est d’ailleurs largement abordé par Jay Rock dans cet album qui résonne comme son effort le plus abouti.
Nous l’avons déjà dit, musicalement – et c’est extrêmement subjectif – l’équipe fait partie des meilleures (bien qu’elle ne se limite pas aux seuls talents de TDE et à leurs inspirations). Lyricalement, le propos est posé, serein, cruel et parfois violent. Il témoigne du chemin à parcourir des bas-fonds de Watts au succès TDE et de la résilience qu’impose de se sortir d’un lit d’hôpital et de goûter à nouveau aux plaisirs de la vie.
D’ailleurs son histoire au sein de TDE est singulière puisqu’il a la particularité d’avoir été le premier artiste d’un label d’ores et déjà légendaire. S’il a une réputation excellente et une carrière honorable avec quelques hits à son actif, Jay Rock est resté dans l’ombre d’un Kendrick Lamar boulimique en état de grâce et même d’un ScHoolboy Q aux textes et aux prises de risque plus rémunératrices en succès. Cela ne l’empêche pas de composer avec son destin artistique et d’y associer ses frères de la maison TDE.
On retrouve en effet sur cet opus ScHoolboy, Kendrick, la voix suave de SZA et l’aide complice de J Cole sur « OSOM » dont la paranoïa sur le clip qui accompagne ce morceau le sublime et dépeint une nouvelle fois les affres de la vie dans une ville ravagée par la violence et la pauvreté. D’ailleurs, les plus affûtés savent que l’écurie TDE vient d’achever le Championship Tour aux USA et que Jay Rock vient de sortir deux vidéos (sobrement intitulées « Road to Redemption ») à deux semaines d’intervalle pour donner une perspective visuelle à son propos :
Avec Redemption, Jay Rock se repent. Facile ? Pas si sûr tant les épreuves qu’il a traversées, les risques artistiques qu’il a accepté d’assumer et le chemin depuis son accident représentaient des obstacles qui réclamaient une vraie remise en question et des réponses sûrement clivantes. Si elles le sont dans son approche, la forme a peu changé bien qu’elle se soit enrichie et quelque peu apaisée. Au final Jay Rock signe un bel opus, de très belle qualité, aux textes intéressants, aux productions de très bon niveau et à l’homogénéité dont c’est une grande force. Pour autant, même si cette dernière release est sûrement son meilleur projet à date et que la tendance est ascendante, il ne parvient pas encore à faire de l’ombre aux mastodontes du label. Est ce le but ? Peut être pas. La compétition a toujours du goût mais il faut savoir choisir sa catégorie. Si le but est d’exister, assurément Jay Rock nous offre la preuve qu’il ne s’est jamais caché et qu’il maîtrise son sujet.