Izen, producteur et ingénieur du son, est de ceux qui font la scène underground lyonnaise du moment. Sur Aggressive Distortion, son dernier projet, il réunit une équipe de rappeurs émergents prêts à en découdre : de Jorrdee à Luni Sacks en passant par le suisse Slimka.
Après ses deux projets solo Barcelona (2017) et Cloud 16 (2018), aériens et rêveurs, Izen est de retour avec Aggressive Distortion. Un nom évocateur annonçant un album trap agressif rempli de basses distordues. Un son qui permet au proche de Retro X d’affirmer ce côté brutal. Le même qu’il développait déjà lors de ses featurings avec certains artistes de la « scène Soundcloud ». Et pour ce, rien de tel que d’en faire la seconde sortie de son label flambant neuf, Blue Room Records.
Izen accordant de l’importance à l’échange dans ses collaborations artistiques, c’est tout logiquement que le projet Aggressive Distortion s’ouvre avec un de ses proches, le sale type de l’écurie Francis Trash : Luni Sacks. Avec son attitude je-m’en-foutiste, quasi hautaine, le rappeur originaire d’Annecy ouvre le bal sur une production aux airs de berceuse inquiétante. Elle est rythmée par un beat trap tout en relief, doté d’un charley aux multiples textures, d’un kick et d’une basse qui se répondent et s’abattent avec puissance, à l’image des rimes de Luni : “Rien ne nous échappe, les oreilles de Babar lossa / Un équipage de barbarossa”. Avec sa diction atypique, son flow est un egotrip a lui tout seul. Mais surtout, il le rend unique sur la scène rap, à l’instar de chaque invité du chimiste lyonnais.
Si l’on retrouve pas mal d’habitués parmi les featurings (Jorrdee, Majdon Co, Henri Premier…), quelques collaborations sont inédites. Ainsi retrouve-t-on l’un des trois Xtrm Boyz, Slimka, qui signe deux morceaux, dont l’excellent « Aquarium », sorti en second extrait pour annoncer l’album. Habité par un sample de voix venu d’outre-tombe, ce morceau pose immédiatement une atmosphère morbide et lancinante sur lequel Slimka pose un couplet autotuné avant de conclure avec le flow brut et élastique qu’il manie si bien.
Moins connu, D.O.M. figure parmi les belles surprises de ce onze titres. Présent sur Gorilla Blue, le rappeur gabonais retient notre attention avec avec une sorte de mumble rap assez bien articulé et langoureux. De la même manière, Exoslayer apporte une énergie nonchalante, et pourtant pleine d’impact sur le beat puissant de « Por Favor ». Encore une fois, les productions d’Izen se démarquent. Même lorsqu’elles paraissent aérées et minimalistes, elles sont parcourues de détails qui apparaissent au fil des mesures. Créant des boucles en constante évolution sur lesquelles il applique ensuite des filtres et des breaks pour davantage de variété.
Bien que les instrumentales d’Aggressive Distortion possèdent une texture plus rugueuse et crue que sur les précédents projets d’Izen, elles demeurent habitées par des samples leur donnant un grain unique. Comme « VVS » et son piano transcendant, taillé sur-mesure pour Retro X et son emodrill qu’il sait imparable : “Emodrill le putain d’mouvement / Tombe dedans comme sable mouvant”.
Avec sa veine de producteur, Izen est encore parvenu à créer un projet guidé par un fil conducteur. Directement inspiré par la scène outre-Atlantique, sa trap est différente de celle qui règne en France. Beaucoup plus rugueuse et marquée par la distorsion, elle est habillée par des éléments à la fois dissonants et mélodieux. Bien que l’ensemble du projet possède la même couleur, il s’attache à apporter de la variété au fil des morceaux afin d’offrir tous les dégradés de ce même coloris sombre. Comme sur l’énergique « Saturé », dopé par le couplet dévastateur de Yung Home, et ses basses à la distorsion exacerbée rappelant vaguement celles que l’on croise dans la dubstep. En surprenant continuellement l’auditeur avec des beats qui sonnent ou sont structurés différemment, des samples plus ou moins découpés ainsi que des instrumentales qui se renouvellent dans leur construction, Izen apporte sans cesse du relief et suscite la curiosité. Happant l’auditeur dans son univers, ne lui laissant aucune issue.
Et même du côté des quinze invités, la palette est large : Du mumble rap de Jorrdee et Retro X, qui se croisent sur « Fortnite » et son refrain ensorcelant récité comme une incantation par le digiboy, on arrive à la technique lyricale des rappeurs D.O.M. et Tedax Max. Ce dernier, rappeur lyonnais discret et performant à chaque couplet, conclut le projet en rappelant que les lyricistes ont encore de beaux jours. Avec un flow parfaitement exécuté et une voix qui en impose, Tedax Max rembobine tout ce qu’il a vu et vécu sur le Corner, entre place du Pont et place Voltaire (Lyon).
Tranchant avec le reste de sa discographie solo, sur Aggressive Distortion, Izen parvient à garder la même patte, mais dans un registre plus sombre. Entièrement impliqué dans la direction artistique de son projet, de la production au mixage, jusqu’à la réalisation de la photo qui figure sur la pochette, il donne une pleine cohérence à ce projet conçu en trois ans. S’il peut paraître inégal en terme d’invités, il a néanmoins la force de proposer une palette d’artistes diversifiée et originale qui se mêle à ses productions ultra-soignées. Pour la seconde sortie de son label Blue Room, Izen prouve une fois de plus sa qualité de directeur artistique et qu’il compte, bien évidemment, parmi les meilleurs producteurs français.
Ecouter Aggressive Distortion de Izen
Cette chronique est une contribution libre de Rémi Benchebra que nous avons choisi de publier. Si vous aussi vous voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.