ISHA – La Vie Augmente 3

Inséré dans le milieu hip hop depuis une dizaine d’années sous le pseudonyme de Psmaker, c’est pourtant sous l’identité d’ISHA, que nombreux auditeurs ont découvert ce rappeur originaire de Bruxelles. En l’espace de 3 ans , nombreux sont les auditeurs de rap français à avoir été séduits par le phrasé puissant avec lequel belge chante les peines d’un gars du bitume. La force d’ISHA est de laisser parler sa plume à travers des images comme il est rare d’en trouver. Sur les deux premiers volets de cette trilogie LVA, il exposait sa personne et la routine meurtrière de son quartier, tout en essayant de dénouer les énigmes de la vie. Après deux premières mixtapes marquées par le doute, ISHA semble plus en phase avec lui-même sur LVA3. Une confiance nouvelle assortie à des sonorités plus accessibles qui devraient lui permettre d’étendre son audience.

Dans la continuité des deux projets précédents, la pochette arbore cette fois une mâchoire de fer, démunie d’enveloppe corporelle ; laissant supposer qu’aucun filtre, qu’aucune retenue, n’a ici été appliquée dans la conception de ce nouvel album. Une post-opération qui ne lui laisse pas d’autre choix que d’offrir les derniers fragments de son cœur tel un enfant borderline,  vacillant entre sa bulle esseulée et les rues dépravées de Bruxelles. Dorénavant, il se trouve au stade final de « l’augmentation » : celle où les derniers démons doivent être exorcisés et les ultimes reliquats de haine éteints pour de bon.

La musique comme seul remède

La musique d’ISHA, est un condensé d’informations délivré avec une extrême précision. Chaque ligne peut être interprétée de multiple façon. En témoigne cette phase dès l’intro de l’album :

« Et dire qu’ils voulaient m’envoyer chez l’logopède parc’que j’confondais les R avec les S ».

Une anecdote sincère sur son enfance mais également un rappel que le rappeur a du charbonner pour arriver à ce niveau.

Notre oreille est déjà attirée par cette impertinence à la fois touchante et transgressive, prête à s’engouffrer dans ce récit venu conclure le triptyque de La Vie Augmente. Il faut dire que si les opus précédents proposaient des introductions aux allures de comptines mélancoliques, « Durag » se veut ici plus fracassant, notamment grâce à la production d’Eazy Dew, mais aussi par des revendications crues que le rappeur dévoile sans gêne : sa place dans le hip hop, l’hypocrisie des journalistes, les ignorants du net… personne n’est épargné.

Mais ce n’est pas seulement des phrases irrévérencieuses qu’il nous adresse, car des tonalités plus légères composent ce disque. La preuve avec « Bad Boy », en collaboration avec son compère Green Montana qui propose des nappes de synthétiseurs ensoleillées pour un titre des plus efficaces. Cela n’empêche pas l’artiste de dépeindre le décor d’une vie trompeuse et qui ne lui a pas réservé que des bonnes surprises… Endurci par ces épreuves, ISHA semble répandre des pense-bêtes sur chacun des titres comme des rappels à lui-même. « Garçon, méfie-toi de l’eau qui dort, n’aie pas confiance en ces n***** », martèle-t-il sur le titre « Magma ».

Le sens de la métaphore

Très attaché à ses racines congolaises, ISHA aborde ce thème par un angle inattendu dans le superbe « Les Magiciens ». Un regard lancé sur la colonisation belge et ses assaults sanglants envers un peuple qui fut dépouillé par des « hommes aux yeux de la couleur du ciel ». Dans une thématique différente, on retrouve le morceau « Coco » : une ballade à la troisième personne présentant une personnification de cette drogue à la fois dévastatrice pour ses consommateurs et fructueuse pour ceux qui la vendent. On l’observe passer entre des mains sales, des lieux de fêtes et elle est aussi souvent traquée par des « hommes en bleus ». A la manière d’un « MP2M » dans La Vie Augmente Vol. 2, ISHA expérimente ici le chant sous autotune, imputant un lourd grincement à sa voix, comme si son visage se contractait à chaque fois qu’il voyait un frère tomber dans la poudreuse.

Quelques morceaux aux productions plus agressives se greffent à l’album comme « Tradition » au côté de PLK ou « Chaud Devant », permettant à ISHA de peaufiner son ego-trip sans délaisser sa plume névrosée. Sur le titre « Idole » avec Dinos, les deux emcees rappellent à leurs auditeurs qu’un rappeur n’a pas plus de réponse que quiconque, que tous ses propos ne sont pas à prendre au pied de la lettre.

Enfin, pour le grand final de cette trilogie, c’est sur les accords du pianiste Sofiane Pamart qu’ISHA expose ses derniers doutes, ses dernières failles. Lui qui scrute désormais le décor avec assurance et clairvoyance n’aurait pour autant pas osé finir ce disque sans rappeler qu’un homme, bien qu’en toute sérénité, ne pourra jamais s’extirper complètement de ses vieux démons. La douche reste un isoloir, la vie est toujours aussi irrespectueuse et ses yeux, eux, continuent à loucher vers le vide. Pourtant, une certaine fierté résonne dans ce texte qui clôt le récit LVA3.

Telle une thérapie de plus de trois ans, ISHA achève ainsi sa dernière séance, satisfait de la route qu’il a parcouru. Difficile de savoir si nous avons affaire au meilleur volet tellement ils forment à eux trois un ensemble harmonieux et homogène. On soulignera là encore les prises de risque en terme de construction musicale et de sujets abordés. Mais ce sentiment, nous l’avions éprouvé à chaque projet. Finalement, l’exploit réside sûrement dans le fait d’avoir proposé une trilogie aussi consistante et cohérente du début jusqu’à la fin. Et quand on s’assied avec ISHA le temps d’une interview, on se dit que c’est peut-être cela le secret : garder la tête vissée sur les épaules et prendre le temps de construire quelque chose de bien, quelque chose qui dure…

Axel Bodin

Adepte de métaphores farfelues, j’aime exposer les artistes tels des entités répondant à nos questions existentielles. Toujours à la recherche du bon et du mauvais goût, je suis ici pour vous fournir la deuxième lecture insoupçonnée du Hip-Hop.

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