Notre dernière rencontre avec Isha date de la sortie de LVA3 qui concluait comme il se devait une trilogie robuste, acclamée par les auditeurs pour sa qualité et sa force. A cette époque, Isha souhaitait tourner la page et écrire un nouveau chapitre de sa carrière en se consacrant à l’élaboration de son premier album. Une période où le belge est apparu dans plusieurs programmes (En Première Consultation et Vice Therapy) cherchant à pousser les artistes dans leur retranchement émotionnel. Isha apparu alors comme l’invité idéal de ce genre de format tant sa sensibilité, sa franchise, son parcours et ses déboirs collent parfaitement à ce type d’exercice.
On découvrait alors un Isha entier, blessé mais combatif, les spectateurs en ressortant encore plus touchés et conquis par cet artiste mettant l’introspection au cœur de son écriture. Une trilogie et des participations à ces émissions comme thérapie pour soigner ses démons, Isha semble aujourd’hui apaisé, heureux en tant qu’homme et artiste même si le travail d’écriture peut faire naître d’autres maux comme il nous le confie : “Il y a d’autres thèmes qui surgissent entre-temps, mais les problématiques que je traversais alors on peut dire que oui, la page est bien tournée. Après en écoutant Labrador Bleu on se rend bien compte qu’il reste du travail, mais c’est normal, l’écriture ouvre sans cesse de nouvelles portes.”
Pour son grand retour et en guise de prélude à l’album, c’est finalement via un reportage réalisé par StreetPress que nous retrouvons Isha. Un documentaire de nouveau très introspectif, où l’on découvre un Isha entier, revenant avec sincérité sur ses années noires, nous présentant sa mère, son fils. Une manière une fois de plus pour l’artiste de se mettre à nu. Pour autant, pour Isha, ce documentaire a plutôt vocation à tourner une page qu’à introduire une nouvelle comme il nous l’explique : “On peut le voir comme une ouverture d’album mais ce documentaire je le vois plutôt comme une fermeture définitive de ce qui est arrivé avant. A dire vrai, j’ai longuement hésité à faire ce documentaire, j’estimais que j’étais suffisamment allé dans le passé et en même temps je me suis dit qu’il y avait encore la place pour un dernier retour en arrière et aussi de pouvoir présenter ma mère et mon fils. De plus, j’apprécie énormément le travail très sérieux de StreetPress donc c’était gage de qualité pour moi et ça a fini de me convaincre. Au final je ne regrette pas, je sais que je serai heureux de regarder ces images dans 10 ans. Les documentaires, c’est un peu la pièce manquante lorsque tu fais des concerts, des interviews, avoir un docu c’est vraiment complémentaire. Ma mère j’en parle dans la moitié de mes morceaux donc c’est bien qu’elle apparaisse à l’écran.”
Un album réalisé en grande partie dans le nouveau studio de l’artiste, nommé Papa Shango, qui a été financé en partie par une campagne de financement participatif réalisé avec succès avec à la clé différents lots en fonction du niveau de participation. L’objectif de financement a d’ailleurs été largement dépassé atteignant 175% de l’objectif fixé soir 17 000 euros. Offrir un studio d’enregistrement de qualité, ouvert à tous, au cœur de Bruxelles, tel fut le pari relevé avec succès par Isha et son équipe. Le belge nous en explique les raisons : “Je ne m’attendais pas à tant d’engouement, le projet parlait aux jeunes. C’est un studio ouvert à tout le monde, j’y suis souvent, je me rends disponible aux clients si besoin en consultant. Il y a une baie vitrée donnant sur le studio, ça nous rend sympa, les gens ont en général une image sombre des rappeurs. Avec cette ouverture sur le studio, ils s’arrêtent, ils regardent, on leur fait signe. Aujourd’hui le studio est rentré dans le paysage. Le rap est une culture, or une culture doit être présente dans la rue et à part des magasins de sneakers, le hip-hop n’est pas assez présent à mon sens.”
Sa popularité, Isha a eu l’occasion de la tester récemment, lors d’un concert carte blanche donné à la Gaité Lyrique durant lequel il a partagé la scène avec Green Montana, Limsa d’Aulnay, Gutti ou encore la chanteuse OSO. Un véritable plateau à l’américaine où chaque artiste a pu défendre ses titres dans une ambiance survoltée, où toute la scène fut remplie par les artistes mais aussi grâce aux proches du rappeur et qui vit la billetterie afficher sold out en quelques heures à peine, avec une liste d’attente de plus de 400 personnes.
De quoi mesurer le chemin parcouru depuis les dernières années pour l’artiste qui nous disait lors de notre dernière interview ne pouvoir réaliser sa notoriété qu’au travers le taux de remplissage des salles de concert: “C’était un beau succès, ça prouve comme écrit sur le drapeau belge que “l’union fait la force” et qu’en unissant nos force on peut donc faire de belles choses. C’était un format, décontracté, familial.” Avant un concert, Isha a pour habitude de se renfermer afin de répéter ses titres en se concentrant. Ce fut tout l’inverse avant cette date, où l’artiste a passé son temps à échanger et rire avec tous ses invités : “Il y avait moins de charge de travail pour moi, le max de sons que j’ai enchaîné c’est 5 sons donc c’était bien plus facile.”
A l’époque de la sortie de LVA3, Isha disait vouloir vite enchaîner avec l’album mais les choses ne se sont pas passées comme prévu et l’élaboration de ce dernier s’est avéré plus compliquée que prévu. Isha se heurte alors à un manque d’inspiration tout en réalisant que les attentes de son public est grandissante. Un poids dur à porter qui pousse l’artiste à temporiser : “Après un certain nombre de projets, on a tous un peu ce problème du manque d’inspiration, il faut se poser, réfléchir à ce qu’on va dire, ne pas faire un LVA 4. Le succès des LVA et l’attente autour de l’album m’ont un peu dépassé. A la base ça devait être une petite intro, mais là on a été un peu tétanisé. Je me suis, avec du recul, un peu trop pris la tête, ça reste un projet, des sons.”
Durant cette période compliquée, Isha n’en n’oublie pour autant pas son public et lui offre un EP pour patienter. Très explicitement intitulé Faites pas chier, j’prépare un album cet EP contient ce que l’artiste a souhaité conserver d’une première version de l’album finalement abandonnée et on retiendra quelques titres marquants comme notamment “Maudit” que l’artiste joue dorénavant en concert pour le plus grand bonheur de son public reprenant chaque parole en cœur.
Isha se relance donc dans une seconde version de son album, en prenant du temps et du recul. Une nécessité qui le conduit à finalement élaborer cette nouvelle mouture dans un timing plutôt serré : “Quand le projet Faites pas chier, j’prépare un album est sorti, j’avais déjà deux-trois morceaux de Labrador Bleu de prêts. J’ai dû élaborer l’album en huit mois environ.”
Un déclic est à l’origine de l’inspiration retrouvée par Isha, à savoir son nouveau procédé d’écriture comme il nous le confie : “Une chose à changé dans mon approche. Je me suis beaucoup remis en question lorsque j’ai eu ma panne d’inspiration et j’ai depuis changé ma méthode de travail. A présent, je vais en cabine et j’écris phrase par phrase sur la prod et ça fonctionne très bien pour moi comme ça. Sur “A plat Ventre” par exemple en écoutant bien on peut percevoir des différences dans la voix du fait de cette nouvelle méthode. C’est un peu comme si j’étais un nouveau rappeur, ça m’a donné de la confiance et ça m’a amené à travailler d’autres flow. C’est ce que je dis dans “Meilleur Karaté”, on a aujourd’hui atteint un niveau où on a plus besoin de se préparer, on arrive à dérouler. C’est comme pour certains joueurs de foot brésiliens qui vont en boite avant un match et qui restent performant. Cela fait 15 ans que je rap, je ne vais pas encore travailler mes textes pendant des heures chez moi. Si je dois donner un conseil à quelqu’un qui exerce son art depuis des années, peu importe le domaine, c’est de changer de méthode de travail, ça fonctionne!”
« Artistiquement nous avons énormément de points communs, nous avons aimé le même type de rap américain. Sur le fond, on retrouve aussi bien chez lui que chez moi le même rapport au passé, à l’environnement, on se dévoile tous les deux beaucoup. Pour notre projet à venir, tous les titres ont été créés dans les même conditions: on écoute des prods ensemble, on en sélectionne et on commence à écrire chacun de notre côté. Le résultat est toujours très cohérent, cette combinaison a vraiment une forme de logique. Ce que j’aime particulièrement chez Isha c’est sa manière d’écrire qui est très juste. Tous les ingrédients et les émotions sont présents dans ses titres avec le dosage parfait. «
Au final, Isha nous délivre un album dense, consistant, avec une ambiance résolument sombre, austère, tant au niveau des instrus sélectionnées que dans les textes et les mélodies. Une ligne directrice voulue par Isha comme il nous l’explique : “Je pense que l’album a une couleur un peu sombre, avec quelques éclaircies quand même, mais je pense que j’ai réussi à faire quelque chose d’homogène. Des titres comme Balle dans la Tête est clairement un titre avec de l’espoir, Meilleur Karaté qui bien sûr est un peu plus hors propos. Je suis assez content de ne pas avoir fait trop de sons solaires , je voulais quelque chose d’assez gris ». Le titre de l’album étant une référence à la couleur de la pierre tombale de son défunt frère, il raisonne comme un hommage à sa mémoire, Isha ne cessant de mettre sa famille (son père, sa mère, son fils) au cœur de son art.
Isha n’en oublie pas pour autant les mélodies qu’il avait commencé à expérimenter au moment des LVA. A l’époque déjà, Isha nous avouait vouloir trouver un équilibre entre rap et chant, aujourd’hui avec Labrador Bleu, l’artiste semble satisfait du résultat : “Dans « Modou » et « Balle dans la Tête », je trouve que j’ai bien trouvé l’équilibre. C’était un gros challenge pour moi et je pense que depuis « Magma » j’ai enfin saisi le truc et le résultat est aujourd’hui satisfaisant.“
Une fois encore, Isha se dévoile sans pudeur, l’introspection étant une de ses marques de fabrique. Pour autant, l’artiste semble vouloir parler de lui différemment. Exit donc son passé et les travers qu’il a traversé pour un angle d’écriture différent : “J’en ai dit tellement sur moi, je veux conserver cet aspect d’avoir une musique très personnelle mais dans cet album, je parle moins de moi et mon parcours mais plus de moi et ma vision des choses. Je voulais me renouveler dans la démarche.”
Car du chemin, Isha semble en avoir parcouru, la maturité dans son écriture n’étant le reflet que de celle acquise dans son existence. Durant l’album, il clame: “j’ai failli perdre mon âme à jouer un personnage”. Un phrase forte qui prend tout son sens en échangeant avec l’intéressé : “Je parle du côté rue, où tu joues le rôle de méchant, tu cherches à développer ce côté bonhomme, là où tu peux comprendre qu’être un bonhomme c’est pas ça. C’est le mec qui ne cherche pas d’embrouille justement, on joue tous à une moment un rôle, un personnage. Tout le monde se cherche, je me suis cherché pendant longtemps, j’ai aujourd’hui trouvé le bon équilibre entre mon éducation et ce que j’ai appris en dehors de chez moi, dans la rue. Aujourd’hui j’ai trouvé un équilibre sain.”
Sur l’album, Isha convie son entourage proche comme JeanJass et Caballero, OG Gold (dernière signature d’Isha en tant que directeur artistique), Green Montana, le néo-belge Limsa d’Aulnay ou encore Stan, son manager, ami de toujours et backeur sur scène. Devant le succès des projets précédents et la présence de rappeur comme PLK ou encore Dinos, on pouvait imaginer Isha toquer à la porte de grand nom du rap français.
Le belge décide ici de nous prendre à contre-pied : “C’est un cheminement où j’ai longtemps essayé de chercher à gauche à droite. A un moment tu te rends compte que tu perds ton temps à attendre que les agendas de chacun coïncident. J’ai réalisé alors que j’avais déjà un entourage autour de moi et que je pouvais compter sur lui et que c’était de loin le plus important et donc j’ai resserré les invitations sur l’album autour d’eux. Pour Green, ce n’est pas vraiment un feat, c’est une piste de back, une présence. Green c’est notre petit frère mais je pense que quand tu bosses avec un artiste il faut le laisser faire ses trucs, grandir de son côté. Pourtant Green est présent à nos côtés avant même LVA 1. Pour ce qui est de Stan, mon manager et backeur sur scène, ça a du sens, comme il sait tout de moi, je sais tout de lui, on se connait depuis si longtemps, c’est une belle symbolique. ”
Je suis assez content de ne pas avoir fait trop de sons solaires , je voulais quelque chose d’assez gris
Dès la première écoute de l’album, on est frappé par les nombreuses symboliques que l’auteur a voulu distillé dans le projet. Tout d’abord, l’album débute sur une échographie annonçant une grossesse et se termine par un enterrement. D’autres ambiances rappelant des étapes clés de la vie font des fulgurances durant l’écoute. Isha nous éclaire sur ce qu’il a voulu ainsi créer : “Je voulais raconter un parcours de vie avec des émotions à travers tout l’album. C’est comme si cet enfant naissait à l’heure actuelle. C’est un parcours de vie dans un monde chaotique. Certaines ambiances sonores dans des morceaux de l’album sont là pour rappeler certaines moment de vie comme des bruits d’écoles ou encore une sonnerie de prison. Tu passes d’un système scolaire à un système carcéral. Ce n’est pas mon parcours, mais il s’en inspire.”
Une autre symbolique, celle des quatre éléments, apparaissant dans le tracklisting de l’album, à la suite de certains titres, interpelle. Là-encore, Isha nous délivre une clé de lecture : “J’ai réalisé qu’en plaçant les 4 éléments dans un certain ordre, ça peut correspondre à un parcours de vie. Souffle de vie quand tu nais (l’air), après le péché avec les flammes (le feu), puis le côté eau pour les ablutions, la rédemption puis à la fin tu retournes à la terre. J’ai mis ces éléments après des sons qui me semblaient correspondre. Dans “Royauté” à un moment il y a un bruit de robinet, d’eau qui coule. Dans ce titre je parle de l’Afrique, d’où je viens, je parle de mon héritage. Ca prend ici tout son sens de les associer”
Sur les prods, l’artiste a procédé au coup de cœur, bénéficiant d’énormément de propositions de la part de nombreux beatmakers : “On reçoit par semaine une quinzaine de mails pour Green, Gutti et moi. On écoute tout, parfois une prod est pensée par le beatmaker pour un artiste et au final elle est prise par un autre. La prod de “La réincarnation de Biggie” par exemple était voulue pour Green initialement mais au final ça collait plus pour moi.” Un seul mot d’ordre néanmoins, Isha voulait que cet album frappe fort sur scène et l’a donc pensé ainsi : “J’ai voulu cet album avec beaucoup de basses, de 808. C’était une des seules volontés que j’avais sur cet album.”
C’est sur scène d’ailleurs, lors de sa carte blanche à la Gaité Lyrique, qu’Isha annonça à son public un projet à venir avec Limsa d’Aulnay, autre artiste immensément talentueux et qui affiche aux côtés du rappeur belge, une complémentarité artistique bluffante, comme le démontre le titre “Starting Block” présent sur Logique Part 2 du rappeur aulnaysien. Une annonce qui a immédiatement créé une forte attente et beaucoup d’impatience de la part des auditeurs des deux artistes. Interrogé sur cette complémentarité, Isha témoigne : “On a le même âge, le même vécu. Quand j’écoutais des interviews de Limsa, je réalisais qu’il disait des choses que j’aurais pu dire moi-même. Une fois il a dit que chaque personne qu’il a connu a une image différente de lui. Et ça je peux le dire aussi pour moi. On a les mêmes fondations dans le rap. J’ai perdu moi cette petite folie que j’avais à l’époque de LVA1 là où Limsa lui est drôle, je suis fan de ce qu’il fait. On se complète vraiment bien. On est persuadé que ce projet a un gros potentiel. On a déjà élaboré un bon tiers du projet, on s’en parle souvent, on a envie d’en faire quelque chose de vraiment bien.”
Sur ton statut dans le rap, Isha nous répondait il y a trois ans qu’il ne réalisais pas encore le chemin qu’il avait parcouru. Lorsqu’on lui repose à nouveau la question, Isa répond plein de lucidité : « Je me rends compte que le rap ce n’est pas que des chiffres, il y a aussi des journalistes, des festivals, des êtres humains. Mais c’est aussi un business, je vois encore le potentiel que je peux avoir supplémentaire, le budget qu’on peut m’accorder pour faire encore mieux. Il y a toujours une marge de progression et c’est ce qui compte ».
Isha semble avoir atteint l’âge de la maturité, tant dans son équilibre de vie, qu’en terme d’écriture, de musicalité ou encore de professionnalisme. Une nouvelle étape qu’il semble gérer la tête froide pour nous offrir le meilleur de son art avec Labrador Bleu, un projet touchant, qui ne laissera personne indifférent. Son public ne s’y trompera pas, tout en gardant un œil sur son projet à venir avec Limsa d’Aulnay qui risque de faire lui aussi énormément de bruit. A suivre donc.
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