Une seule et même lettre relie l’équipe Timebomb, le quartier parisien de Ménilmontant, le réalisateur Jean-François Richet et un paquet de classiques du rap français…le X Forcément, la sortie du premier projet en duo des X-Men depuis plus d’une quinzaine d’années soulève des questions… Dans la foulée d’une rencontre avec leurs fans au Canal 93, à Bobigny, on en a posé certaines à Hill G. et Cassidy, plus simplement Les X.
Alors comme ça, pour vous quand un homme disparaît c’est parce qu’il est mort ?
Cassidy s’en étonnait déjà sur Menilcity, en 2008. Malgré tout, le même diagnostic était souvent prononcé pour les X, duo légendaire du rap français, auteur de freestyles épiques et d’un tumultueux et unique album, Jeunes, Coupables et Libres. Plus de quinze ans plus tard, mieux vaut oublier le come back : déjà, parce que Modus Operandi ne joue pas la carte de la nostalgie ou de la galerie d’invités prestigieux. Ce très court album, 32 minutes avec les 4 instrumentaux, parvient sans trop de problèmes à poser le nouveau rythme du duo : plus lent, plus rauque, mais aussi plus fluide. Interventions et intonations varient, et le résultat est bien éloigné des X-Men de 1998.
Totale indépendance dans la direction artistique de l’album, pas de campagne promotionnelle tapageuse, pochette minimaliste… Coproduit par Ill et Cassidy, Modus Operandi fait surtout voir le son inédit des X-Men, mix réussi d’abstract et de funk. Outre “Pas d’cartier” et son sample bien trouvé du “No Quarter” de Led Zeppelin, “Crop Circle”, “Première attaque” ou “Modus Operandi” s’exécutent sur des compositions impressionnantes, enregistrées avec un live band. Et “Class X” est plutôt relevée, en égrenant les classiques du duo sur une production à mille lieux de ces mêmes morceaux légendaires.
Le mastering d’Alex Gopher, compositeur français plus facilement associé à l’électro qu’au rap (ce sera l’occasion de réécouter You, My Baby and I, son premier LP agréablement funky), fournit une qualité sonore idéale pour un album qui passe du single carrément efficace (« Crop Circle », un high five à Nekfeu) au morceau intimiste et poétique (« Minuit dans la Glace », Hill.G en solo) en quelques pistes. La création de Modus Operandi a été déclenchée par un seul titre, sur la BO de Mesrine en 2008 : difficile de patienter en imaginant ce que pourra provoquer Modus Operandi, avant le Best-Of qui doit sortir à la fin de cette année 2015 suivi par un album courant 2016.
The BackPackerz : La question que tout le monde se pose: pourquoi un retour des X-Men, maintenant ?
Cassidy : C’est la vie de deux potes, qui, a un moment donné, se disent “viens on fait le truc”, tout simplement. On avait conscience de l’attente du public, mais nous sommes vraiment dans une démarche honnête et sincère. On ne va pas forcer si la vie et les parcours de chacun ne sont pas optimum pour qu’on puisse faire un bon projet, de manière naturelle.
Ill : Sur toutes ces années, il y a eu des signes: l’heure, le temps… Nous avons remarqué que nos cerveaux sont toujours connectés. Et puis, par rapport à l’artistique, on regarde ce que fait untel et untel, et on réfléchit…
C : Le truc est que la fibre est là, on se connaît depuis le collège, et mettre la musique dans ce truc, c’est un truc qui nous dépasse, parce qu’on est venus dans la musique presque par accident. Lorsque l’on prend du recul par rapport à nous-mêmes, pour l’instant, c’est comme une sorte de film qui est bien écrit, en termes d’histoire. C’est cosmique, c’est quelque chose qui nous dépasse. Avant, cela n’aurait pas été le bon moment. Sur la B.O. de Mesrine (en 2008), on a fait un morceau. C’étaient les prémices de quelque chose, pour en arriver jusqu’aujourd’hui.
On retrouvait d’ailleurs White & Spirit sur la B.O. du film de Jean-François Richet, « Ma 6-T va crack-er » mais aussi un de vos titres les plus célèbres, « Retour aux pyramides ». Comment cette rencontre s’est-elle faite à l’origine ?
C : Nos producteurs Sek et Mars, ont eu une connexion avec White & Spirit, après avoir entendu qu’une compilation se faisait par rapport à une B.O. On a posé avant d’avoir vu le film, en one shot, assis. On connaissait le thème, le titre, « Ma 6-T va crack-er », on a écrit et posé dans la foulée. Le film a marqué une époque,c’est sûr, mais quand on l’a vu après on a dit « ah ouais, d’accord ». Il y avait des bons trucs, et il y avait des trucs critiquables, au niveau cinématographique. Mais big up à l’équipe de White & Spirit qui nous a rappelé au moment du projet Mesrine.
Votre nom est un croisement entre Malcolm X et les personnages de Marvel : d’où venait ce côté militant ? Etait-il revendiqué à l’époque ?
I : Ce côté militant était naturel, intégré. C’est normal, parce que tu le sens déjà toi-même, et après tu le vois, avec Malcolm X par exemple, porté en grand. « Retour aux pyramides » faisait référence à la force des peuples opprimés, et celui qui l’est le plus est le peuple Noir, qui ne cesse de l’être. De toute façon, quand tu vis dans cette situation, tu ne peux jamais vivre sans.
Malgré tout, cette composante n’a-t-elle pas disparue d’une partie de la production rap ?
I : Il y a un président noir aux États-Unis, ça change un peu les apparences, donc forcément, c’est plus par là que ça se passe.
C : Aujourd’hui, c’est plutôt axé sur la consommation, et pas le message. On voit bien par rapport à ce qui passe à la radio, à ce qui est choisi d’être diffusé, qu’il y a une différence entre aujourd’hui et l’époque. Après l’époque veut ça, et je ne suis pas nostalgique.
Votre réputation s’est beaucoup construite sur les freestyles, avez-vous réussi à conserver cette habitude au fil des années ?
C : Clairement, nous avons eu moins le temps d’en faire qu’avant. À l’époque, on passait notre temps en radio : tu rappes, tu parles de rap, t’es avec tes potes. Concrètement, Ill a plus d’aptitude que moi pour être très concret par rapport aux freestyles, mais le temps musical qu’on a est restreint, aujourd’hui. Sur les tournées et la promo qu’on va faire prochainement, on aura le temps de faire tout ça.
Jeunes, coupables et libres, sorti en 1998, est aujourd’hui désigné comme un album précurseur des années 2000 : quel était votre état d’esprit au moment de l’écriture ?
I : À cette époque, il y a avait un défaut d’originalité, un peu comme maintenant, mais d’une manière différente. Forcément, il faut faire ressortir des choses, des mots qui n’ont pas été dits, pour que cela remonte à la surface, pour montrer que la culture de la rue peut être riche. On alternait avec plusieurs genres de mots, de l’argot, le verlan qu’on a beaucoup entendu étant jeunes Parisiens, des termes tirés de nos lectures… Je ne lis pas beaucoup, mais je citerais Le Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas, par exemple.
C : Il y avait aussi ces expressions qu’on utilisait entre nous, comme « Ça part en badout ! »
I : Oui, on n’hésitait pas à mettre nos propres trouvailles à nous, de notre vie de jeunes, pour s’exprimer. Un mélange d’africain, de parisien, d’américain. Les jeunes ont leur manière de parler, partout, de trafiquer les mots pour obtenir une certaine pêche pour parler. La rue, elle demande cette originalité quand tu parles à quelqu’un, ce code. Nous, on essaye de mélanger ces codes pour mettre en valeur celui de la rue, et pour montrer que les autres codes sont eux aussi absorbables. Il faut montrer que ce n’est pas si compliqué. Enfin, nous en tout cas, on est encore un peu là-dessus, les « anciens ».
Et quelle était l’ambiance chez Universal ?
C : L’ambiance, c’est un gars qui s’appelle Stephane Kaczorowski, qui venait d’être nommé directeur artistique chez Universal et qui connaissait très bien notre parcours et nos mixtapes. On n’a pas signé sur maquette ou après une démarche de notre part, c’est ce type, arrivé chez Universal, qui a dit « je veux signer ces gars-là ». En tant que jeunes rookies que nous n’étions plus vraiment, qui en même temps découvraient le truc… On s’est dit qu’on allait former une petite équipe rapide, avec Géraldo et Yoven, un pote de classe, pour le son. Universal est arrivé sur le truc et nous a fait des propositions alléchantes, en termes d’avances, et même de visibilité. On a signé le contrat avec eux et on a découvert l’industrie du disque.
I : On a signé, mais un peu à contrecœur: on était poussés par l’entourage, et en même temps, on était curieux de découvrir ce qu’était une maison de disques.
C : Je crois même qu’on était le premier groupe de rap français signé là-bas, en terme d’artistes maison. On a découvert tout ça, le rythme qui va avec. Ça a été une bonne expérience, finalement, même si ça s’est passé comme ça s’est passé, parce qu’on a vu la machine en plein rendement. Avec, par exemple, les choix effectués dans la mise en avant des sorties… On était dans la même boîte que Marilyn Manson, quand même: tu sais que quand tu arrives, les mecs te mettent dans une écurie, mais tu n’es pas forcément la priorité. Pour la France et le marché français, ils ont fait le truc pour que ça se passe, mais en termes de fond et de ce qu’on voulait, ils n’étaient pas forcément d’accord. Sur le morceau à sortir en premier par exemple: « One One One », il avait bien marché, mais nous, on aurait préféré sortir « Bla Bla Bla », parce qu’on ne voulait pas forcément mettre en avant un premier morceau avec la fumette dedans. Ça a commencé à un peu grincer des dents à ce moment-là. Créer l’album, il n’y avait pas de problème: on a pris les morceaux de Geraldo comme ils venaient. Mais c’est la suite qui a été plus compliquée.
I : Ils ont fait les ventes pour se rembourser, et puis c’est tout. Mais on avait signé la récupération de l’album au bout d’un certain temps. Et je crois que Stéphane s’est fait virer pour ça. Ce type de clause n’existait pas: c’était ça notre marque.
C : Tout ça pour dire, aussi, que c’est une guerre de fond. On parle de la propriété: à l’époque, on était quand même jeunes, mais ça c’est quelque chose sur lequel on n’a pas blagué, parce que ça nous appartient, c’est notre truc, notre temps, nos sacrifices, nos vies.
Comment s’est passé le retour au studio, après toutes ces années ?
I : Enfin, Jeunes, coupables et libres est derrière nous: nous ne l’avions pas fait dans des conditions optimum, pas comme cet album. Nous avons travaillé environ trois ans dessus, pas à plein temps, évidemment. Aujourd’hui, je veux qu’on nous mette Modus Operandi sur le dos. Cet album-là, c’est la palette qu’il faut pour faire un tableau. C’est le départ, ou la fin, parce qu’on ne sait pas ce qu’il y a demain, de quelque chose, c’est évident.
Certains titres ont été enregistrés avec un live band, quelle a été leur influence sur votre manière de travailler ?
I : Avec des musiciens, les répétitions sont nécessaires. On essaie de faire des trucs, on entend que la voix n’est pas assez forte… Mais on ne sait pas si c’est bien avant d’avoir fait notre truc. Sauf qu’on ne voulait pas arriver, nous épuiser, sortir du truc et qu’on nous enregistre après, c’est dégoûtant. On préfère que les musiciens se chauffent, et nous on arrive après. Même si on se trompe, ce sera sûrement mieux que si on ne se trompait pas, mais pas en one shot. Ça nous force à vivre le moment, et on y trouve des choses qu’on n’aurait pas trouvé autrement.
C : C’est comme au cinéma, une manière d’amener la façon dont on tourne les scènes. J’étais un peu dans les coulisses pendant le tournage d’Un Prophète, et j’ai vu la manière de bosser d’Audiard, qui est intéressante dans le sens où il prend la spontanéité des gens, il prend les gens pour ce qu’ils sont, pour qu’il n’y ait pas trop de jeu. Et nous, on suit la même démarche. On a écrit cet album, mais on veut le sortir de manière spontanée.
Interview co-réalisée par Basqui & RZOM.
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