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‘Au revoir Simeon’ : une histoire visuelle et sonore

Ton premier album est sorti vendredi, comment tu te sens ?

Très très bien ! Je réalise de jour en jour et je me sens léger. J’ai reçu plein de retours de gens et d’artistes. Ça me fait trop plaisir parce que lorsqu’on construit un album, on ne peut jamais réellement savoir. Surtout que dans ma manière de faire, je suis un fil rouge lié à mes émotions mais je ne peux jamais savoir comment ça va résonner par rapport à d’autres gens.

C’est un projet qui t’a pris du temps ou tu as pris le temps pour le faire ? 

Les deux ! Après ALT F4, il y a eu le Covid puis ensuite on s’est concentré sur le groupe pour sortir un projet donc tout ça a pris du temps. Puis, je pense que lorsque le processus s’est lancé, ça a pris du temps parce qu’avec Crayon on a été très exigeant. L’ambition pour cet album était de venir avec quelque chose de musicalement différent. On voulait vraiment se rapprocher des références qu’on avait. Et donc, pour faire ce genre de musique, ça prend beaucoup de temps parce que ça demande de la réflexion. Certaines fois il fallait retravailler chaque élément de batterie pour que ça sonne exactement comme ce qu’on souhaitait. Donc, c’est un travail long, mais que je ne l »ai pas réellement vécu comme ça. 

Tu dis que l’idée était de faire quelque chose de très abouti et complet. Est-ce que vous êtes parti de cette envie-là pour constituer l’album ou vous aviez d’autres ambitions ? 

Non, ça s’est imposé naturellement. Parce que lorsque j’ai commencé à travailler sur le projet, je l’ai fait un peu de manière conventionnelle. C’est-à-dire que j’écrivais sur des prods qu’on m’envoyait. Et je me suis heurté au fait que je n’avais pas l’impression de faire mieux. Donc, j’y ai trouvé de l’intérêt dans le fait de se creuser et d’aller au bout d’un processus et de proposer quelque chose qui sort un peu du lot. 

Est-ce que tu as dû changer ton processus de travail pour y arriver ?

Oui énormément ! En fait, j’ai beaucoup travaillé avec Crayon qui est venu un peu faire la DA, faire le liant pour que ça forme vraiment un album. Et il a une manière de travailler différente parce qu’il n’est pas issu du rap. C’est quelqu’un qui commence par les bases : par les accords. C’est une manière de travailler qui est différente pour moi. Et quand tu travailles comme ça, il y a beaucoup moins de limites. Par exemple, on va changer les accords pour après pouvoir revenir dessus plus tard. Ou par moments, au lieu de se dire qu’on n’aime pas un morceau, on va juste identifier ce qu’on n’aime pas dedans. C’est là où, avant, j’aurais eu tendance à directement passer à autre morceau. Donc ça, c’était hyper chouette. 

Je me suis aussi beaucoup enregistré tout seul pour cet album. C’était nouveau pour moi et ça m’a permis de passer énormément de temps à chercher et à travailler des trucs. Et je pense avoir pas mal appris grâce à ça. 

À l’écoute du projet, on ressent la richesse des musicalités, est-ce qu’on peut l’expliquer par ce nouveau processus ? 

Je pense que lorsque tu travailles avec quelqu’un, ça va souvent faire sortir les endroits musicaux dans lesquels vous vous retrouvez tous les deux. Et il se trouve qu’avec Crayon, les références qu’on a, c’est vraiment le jazz et la soul. Forcément, tout ça ressort lorsqu’on fait de la musique à deux. Mais bien sûr, il y avait toujours cette teinte de rap dont je suis issu. Donc ça a créé cette espèce d’hybride quoi.

Crayon est le principal producteur du projet : est-ce que c’était évident pour toi de bosser avec la même personne pour avoir une cohérence ? 

Ça ne l’était pas au début. J’ai commencé un peu de manière hasardeuse avec plein de choses. Puis j’ai eu cette envie de cohérence. C’est à ce moment-là que ça s’est précisé. C’est quelqu’un qui est très fort en direction artistique, donc j’aimais beaucoup les idées des morceaux que je faisais avec lui. Il est très fort pour moi 

Le projet est énormément accompagné au niveau visuel. Comment avez-vous travaillé tout ça ? 

C’est un projet pour lequel j’ai eu énormément de plaisir et j’ai eu vraiment des difficultés à ressentir les singles. Parce que je trouve que c’est comme si on avait pris des refs qui finalement sont hyper éloignées, hyper diverses mais qu’elles ont été passées dans le filtre “Crayon et moi”. Du coup ça a créé l’identité de l’album. Si tu analyses les influences, il peut y avoir un morceau comme “MELANOME” inspiré de Daniel César, “2YEUX” inspiré par la Jersey ou “REYKJAVIK” un peu plus trap. Donc je me suis retrouvé avec un album très divers que j’aime énormément et j’avais très envie de trouver le moyen de mettre en valeur visuellement un maximum de titres de l’album. C’est pour cette raison que j’ai choisi de bosser avec Lenny Grosman et Antoine Negrevergne. 

Lenny, j’avais déjà travaillé avec lui pour le clip de “Corbeau” à l’époque de Marabout. Et puis Antoine c’est quelqu’un que je connais très bien depuis longtemps. Il a bossé notamment avec Primero. Cette team s’est créé et dès le début, l’ambition était d’imaginer toute une charte graphique pour la partie visuelle. Donc, ils ont aussi été impliqués dans la pochette. Et c’était hyper intéressant de travailler comme ça. C’est ce genre de projet que j’aime : quand je vois qu’il y a eu une réflexion visuelle et une direction artistique qui est respectée. 

Est-ce que tu peux nous parler de l’intention qu’il y avait derrière la cover ?

Le lien entre la cover et la musique réside dans l’idée d’une transition. Notamment celle où tu laisses derrière toi ton âme d’enfant tu vois ? J’ai remis en question ma vision de moi-même mais aussi ma vision de l’amour. Le rapport que j’avais avec moi-même mais aussi avec les autres. Sur cette pochette où j’suis un peu en lévitation, il y a cet effet où tu sais pas réellement si je tombe ou si je vole. 

Pour ce visuel, on a travaillé avec Nathan Almeras parce qu’il a une manière de travailler à l’ancienne ! Il va prendre une photo, l’imprimer et retravailler dessus puis la re-imprimer… Je trouvais que ça collait bien à la musique qu’on fait avec Crayon :  le mix entre l’utilisation de vrais instruments et un côté très digital. C’est ce qu’on retrouve dans la création de la pochette ! 

Le projet dégage aussi une idée d’authenticité avec la note vocale, les bruits de vinyle, le bruit sur la pochette… 

C’est vrai qu’on entend souvent du grain et même dans la musique de fond il y a parfois des bruits blancs ! Je crois que c’est peut-être par rapport à nos références. Ça vient clairement un peu de James Blake, ou de la musique lo-fi ce côté très texturé ! 

Est-ce que la pochette a un lien avec celle du dernier projet ?

Le choix du gris clair a été influencé par ALT F4, mais cela s’est produit naturellement pendant le processus. J’aime les flous et je pense avoir un rapport particulier avec les réseaux sociaux. C’est important pour moi de comprenne que je mets en avant ma musique et non moi. Donc, je pense que c’est pour ça que j’ai souvent été très attiré par ce genre d’idées comme sur ALT F4 ou la photo est très modifiée. 

Dans tes morceaux tu dis : « En wav j’ai convertie tant de peines », « On chante la mélancolie de l’âme », « Heureusement qu’chanter mes plaies les atténues », « J’remplis des salles avec mes peines de coeurs »… Tu te nourris énormément de ce qui t’arrive.  

Je pense que c’est un peu un super pouvoir. Quand on crée, c’est clairement le moyen le plus rapide de transformer quelque chose de négatif en positif. Quand tu sors du studio avec un son qui te plaît, il n’y a pas plus palpable que ça. Je pense que c’est un truc qui rend accro et évidemment, ça va même trop loin. Il peut arriver des fois où il va t’arriver un truc et tu l’as même pas encore digéré que tu es déjà en train de te dire “bon ok ça va être utile pour faire un son”. 

Même si ta musique est imprégnée de toute cette mélancolie, il y a toujours quelque chose de positif ! Comme un balancement : tu parler d’ombre et de lumière, de diables sans cornes et d’anges sans ailes… 

C’est parce que c’est un processus qui comprend tellement d’étapes, que le moment où je vais l’intellectualiser, c’est quand je vais en parler comme par exemple ici en interview. Mais à plein d’autres moments, je ne l’intellectualise pas tant que ça. Je me rends compte avec du recul que j’ai fait cet album durant un moment de ma vie qui était beaucoup plus dur que quand j’ai fait ALT F4 par exemple. Donc, à plein de moments, j’ai fait de la musique avec cette recherche d’espoir en tête. Je crois que c’est pour ça que tu le ressens comment ça. Comme dans “REYKJAVIK” je dis “le malheur n’est qu’une interlude, ça vient puis ça disparaît, comme les bateaux dans les Bermudes”. On sent que j’étais dans un moment où clairement je devais dealer avec des choses, mais que j’essayais aussi d’y trouver une fin et de me dire que ce sont des passes. Tout le monde passe par des passes comme ça et ça ne te définit pas, c’est juste un moment dans ta vie. 

Puis le fait de les poser en musique, c’est peut-être pour toi, déjà le processus d’aller mieux et de passer à autre chose. 

Oui, je pense que c’est la première étape. Mais ce n’est pas en remplissant des salles que tu vas résoudre tes vrais problèmes internes. C’est une erreur de penser ça et c’est très important de s’en rendre compte. Donc c’est vraiment l’étape 1 qui m’a permis d’avancer beaucoup plus vite et de passer au-dessus de choses, de digérer des choses et parfois même de voir le positif. 

Est-ce que tu n’as pas peur de devoir être accroché à toutes ces peines-là pour pouvoir créer ? 

Je me pose la question un peu parce que j’essaye d’entamer la suite. C’est vrai que c’est très particulier parce que c’est un entre-deux où tu veux faire des belles chansons et en même temps, la manière dont tu aimes le faire, c’est quand même en te racontant un peu d’une certaine manière. Après, il peut toujours y avoir du storytelling. Tu peux toujours un peu quitter la vraie vie et c’est ça qui est chouette aussi. 

Je pense qu’avec cet album, j’ai quand même été au bout de cette période-là. Donc, je pense que pour la suite, si je veux me raconter, il va falloir raconter ce qui m’arrive maintenant. Et il m’arrive plein de choses car la vie continue d’avancer. Puis je n’ai pas énormément de contrôle là-dessus mais en vrai, je n’ai pas peur. Je pense que je vais juste faire quelque chose de différent. Et je pense que c’est aussi comme ça que je conçois mon travail. 

On voit depuis tout à l’heure à quel point ce projet est personnel et pourtant il reste universel. Est-ce que tu l’a travaillé de manière à ce qu’il parle à tout le monde ?

Je pense en fait que c’est un mélange de plein de choses. Il y a une forme de pudeur aussi parce que je ne suis pas prêt à tout dévoiler. Il y a aussi l’envie de faire des belles phrases et d’essayer d’utiliser de la poésie donc je pense que ça rajoute une sorte de flou. Ça permet aux gens de s’identifier même s’ils n’ont pas vécu exactement ce que j’ai vécu. Puis il y a aussi un respect pour les personnes impliquées. Je n’avais pas envie non plus de trop parler de choses trop précises qui finalement ne regardent que moi. Mais ce sont des choses que j’ai faites naturellement.

Comment as-tu travaillé tes featurings ? 

J’ai eu envie de passer du temps en studio avec des gens et passer des bons moments. C’est surtout ça qui a guidé parce que pour le coup, ce sont des gens que je connais depuis longtemps. C’était donc assez simple et j’aime beaucoup leur travail.

C’était différent avec Prince Waly, car on a commencé tout de A à Z. Quand on s’est vu en studio avec Crayon, il n’y avait rien. On a écouté des chansons, on a essayé plusieurs prods, finalement on a essayé un truc et en une après-midi, on a fait le morceau. 

Avec YG Pablo, c’était différent. J’avais envie de faire un morceau avec une espèce de boucle. C’est un piano un peu travaillé avec une batterie assez simple et des textes de rap tu vois. J’avais envie de faire ça avec YG Pablo parce que je trouve qu’il a ce côté-là en lui, il a un truc très Toronto je trouve. Ensuite, on a travaillé le refrain avec crayon pour qu’il y ait quand même cette patte. On a changé les accords et puis j’ai fait un refrain voix de tête, un peu à la mode de “S’en aller” finalement.

Je pense que j’ai trop pris goût à la musique et au fait de faire des choses riches. Par exemple, quand je fais un morceau à 100% de rap, à un moment j’ai toujours envie de mettre une petite surprise. 

C’est vraiment ce que j’ai ressenti sur tout le projet ! 

Je pense que c’est juste moi et Crayon. On est des énormes amateurs de musique, des gros passionnés. Donc on a voulu vraiment pousser les choses. Franchement pour cet album, c’était vraiment ça qu’on a kiffé faire. 

Est-ce que vous vous êtes pris la tête sur la tracklist ? 

Honnêtement non ! Ça a été très rapide. C’est Crayon qui a fait une proposition de tracklist,  et puis on a un peu changé, mais honnêtement le gros de la tracklist, c’est lui qui a fait une proposition et c’était trop bien. Je ne sais pas exactement comment il a fait, s’il a suivi un peu des histoires d’accord ou quoi.

Je t’ai posé toutes mes questions, souhaites-tu ajouter quelque chose ? 

Retrouvez-moi, en février, à La Cigale et partout en France, à partir du 27 janvier ! 

Trop bien. Tu fais une tournée ?

Oui, il y a une tournée qui commence fin janvier. 

Tu as hâte de défendre le projet sur scène ?

Oui c’est ce que je préfère. Je suis content parce que je pense que c’est un album qui va me permettre de vraiment m’amuser sur scène, tu vois. J’ai envie de développer plein de trucs, aussi au niveau de l’expression corporelle. J’ai envie de pousser les curseurs. Donc là on va travailler ça en janvier, à fond. C’est le truc sur lequel on va se focus maintenant : défendre cet album le plus possible et essayer de le respecter. Parce que maintenant je le vois même comme une entité donc je vais essayer de lui faire honneur un maximum et de faire en sorte que les gens puissent l’apprécier sur scène. 

______

Merci à Swing pour cette discussion.

Merci à Rosalia pour avoir organisé cette rencontre.

Merci au bar Le Pigalle de nous avoir accueillis.

Merci à Soazig pour ces belles photos qui accompagnent cette interview. 

Manon Virsolvy

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