Sear, une gueule aussi grande que la trace laissée par son magazine Get Busy dans la mémoire des Hip-Hop heads des années 90 et un CV d’intervieweur en béton armé, de Nas à Benoit Poelvoorde. Plus de 10 ans après l’arrêt du magazine, l’homme au survet’ Fila est de retour avec un Get Busy nouvelle formule. L’occasion pour nous de revenir en détails sur son passé de journaliste rap et sur les raisons de ce retour.
Pour commencer, tu pourrais nous raconter rapidement l’histoire du magazine ? Comment tout a démarré avec le fanzine GET BUSY ?
L’histoire du fanzine? Pour reprendre depuis le début, à l’époque j’étais tout le temps avec les IZB et il y avait une émulation autour d’eux. Ils commençaient à organiser des soirées et même un premier concert en 88 ou 89 je crois. Toute cette émulation brassait beaucoup de monde et ça grouillait dans tous les sens. Fin 80, il y avait quelque chose de vraiment bouillant pour le hip-hop. On sait tous qu’il est né en 1983, qu’il y a eu des hauts et des bas mais il se passait quelque chose avec l’émergence du rap français, la grande époque. C’étaient aussi de grandes années pour le rap US qui a pris une autre dimension avec Public Enemy et KRS One. C’est devenu un phénomène mondial.
Avec toute cette émulation et dans la lancée de cet intérêt pour une nouvelle culture, la presse rock a pris le train en marche parce que je crois qu’il ne se passait pas grand-chose dans le rock et que le mouvement le plus intéressant musicalement, c’était le rap à ce moment-là. Mais ils prenaient le train en marche avec des articles condescendants. D’ailleurs, j’ai toujours trouvé que c’étaient des gens qui avaient un regard condescendant sur la musique Noire en général. Pour eux, James Brown, ça vaut pas les Rolling Stones alors que bon… Donc il y avait beaucoup d’ignorance, beaucoup de condescendance. C’est toujours l’exemple que je cite avec ce journaliste, PhilOx, qui prenait un malin plaisir à descendre les premiers albums de rap français. Il a même conclu une de ces chroniques en disant qu’il n’aimait pas le rap. Le top du top : je me rappelle du premier concert de Public Enemy à Paris où Guillaume Durand avait dépêché des journalistes sur place. Ils étaient sur les toits et il les interrogeait en direct pour savoir comment ça se passait et si les Noirs allaient manger les blancs et tout ça… Cette accumulation de trucs a fait qu’on s’est dit qu’il fallait que ce soit les gens du hip-hop qui parlent du hip-hop en fait. C’était très naïf et en même temps très légitime. Donc ça a commencé comme ça. Le premier numéro, c’est juste 8 pages en noir et blanc imprimées à la photocopieuse et agrafées comme ça.
Écrire, c’était une évidence pour toi à l’époque ?
Pas du tout. En fait, j’ai le souvenir d’une prof de français qui me mettait à la porte 8 fois sur 10. Mais elle était la première à me dire que j’aurais pu faire un bon journaliste parce que j’étais bon sur les rédactions où il fallait parler de sujets concrets/de société. Et ça m’a marqué. La preuve, c’est que c’est la seule prof dont je me souvienne… J’avais peut-être une prédestination pour ça ou un besoin d’exprimer. Alors on a pas fait du rap, on a choisi la presse mais avec un esprit de battle et de compétition entre crews.
Comment s’est constituée l’équipe GET BUSY ?
On était vraiment un crew Hip-Hop parmi les autres, sauf qu’on faisait pas du rap mais de la presse. Un crew composé de tous les mecs dont j’étais proche et qui étaient dans le mouvement : JM, Angelo, son frère, les IZB, un mec qui s’appelait Mehdi qui était tout le temps avec eux et qui était une véritable encyclopédie du son. Le gars ne payait pas de mine mais connaissait tous les maxis, leur date de sortie, le label etc… Impressionnant ! Et puis, JM connaissait Texaco qui était alors vendeur au Virgin Mega Store à l’époque. Voilà en gros de qui était constituée l’équipe de départ.
Quel était ton rapport avec les artistes au départ ?
Dès 1987 on commence à faire des trucs Hip-Hop avec les IZB, le fanzine démarre lui en 1990. Pour re-situer, c’est l’époque de Rap Attitude (ndlr : la première compile de rap français) donc le rap français est vraiment à ses débuts. En vérité, on était pas trop rap français à la base. Même si après je me suis retrouvé être assez proche de Kool Shen et Joey Starr car les NTM et les 93 MC (qui donneront naissance au Suprême NTM, ndlr) venaient de la même ville que moi, ce n’est franchement pas ce qui tournait dans mon walkman à l’époque. Après on connaissait la scène française, on était tous des B-Boys, on allait tous au Globo (lire notre dossier sur les lieux cultes du Hip-Hop parisien pour plus d’info), à la mairie du 14ème donc tout le monde savait qui était qui et qui faisait quoi.
Comment était reçue cette préférence pour le rap US à l’époque ?
Assez bien je pense car il y avait déjà des gens à l’époque pour parler de rap français. Je pense par exemple au Deenastyle sur Radio Nova. Et puis, on était tout de même contents que cette scène soit là, on en parlait aussi de temps en temps. Après, on nous a plutôt reproché notre parti pris, comme de défendre trop NTM au dépend d’autres groupes par exemple. Avec du recul, même s’il y avait un peu de chauvinisme dans nos propos, il fallait qu’il y ait des mecs vraiment au dessus comme les NTM ou Solaar pour enfoncer les portes du mainstream. C’était facile pour les mecs qui étaient dans l’underground de critiquer mais quand on y réfléchit, beaucoup de mecs qui sont dans l’underground le sont parce qu’il ne peuvent pas être ailleurs. C’est comme les mecs qui critiquent Skyrock uniquement parce qu’ils n’y passent pas. Malgré tout, je pense que les deux univers ont besoin l’un de l’autre pour exister. Le rap n’aurait jamais pu s’intégrer à ce point dans la société française si Skyrock n’avait pas aidé des albums à devenir disque d’or.
Comment le fanzine devient Get Busy, le magazine ?
Au début des années 2000, j’avais vraiment l’impression qu’il manquait un magazine de société qui vienne du rap. On a donc décidé de prendre un virage un peu plus « sociétal » avec un nouveau format : Get Busy Magazine. A l’époque, en passant sur ce format plus « institutionnel », on se rend vite compte que dans la presse rap, les couv’ se vendaient. C’est un modèle qui avait, à mon sens, été amené par L’Affiche qui vendait un package complet (la couv, l’interview et la chronique qui va bien). De notre côté, on voulait pas rentrer dans cette logique pour éviter le côté chiant des polémiques et prises de tête. On aimait beaucoup les couv’ de S.A.S (série littéraire de romans de gare ayant la particularité de mêler voyages exotiques, sexe et intrigue violente, ndlr) à l’époque et puisqu’on était dans ce délire un peu « sociétal », on s’était dit que le concept des bimbos en couv’ collerait bien. Il y avait aussi le label new-yorkais Game Recordings qui avait sorti une série de maxis dans ce style au début des années 2000 avec Royce Da 5’9 ».
Bon évidemment ensuite, on s’est un peu fait sauter dessus par des gens qui nous disait que c’était pas bien, que ça véhiculait une sale image du Hip-Hop etc… Ça nous a bien fait marrer de la part de mecs qui mettent systématiquement des putes dans leur clip (rires). La grande schizophrénie du rap…
Tu disais à l’instant qu’il manquait, à l’époque, un magazine de société qui vienne du rap, c’est toujours le cas ?
Absolument ! Et c’est ce qu’on va essayer de faire avec le retour du magazine dont je parlerai un peu plus tard. Pour revenir au cas de l’époque, fin 90, j’avais arrêté le magazine et le manager des NTM était venu me chercher pour faire Authentik, un magazine sur le modèle du Grand Royal des Beastie Boys. Au début, je ne connaissais pas le truc. Je le feuillette et je vois qu’ils font 7 pages sur Bruce Lee, dans un magazine de rap ! Pour moi, les mecs avaient tout compris parce qu’on avait tous grandi avec Bruce Lee, c’est un repère culturel chez nous. C’est cette dimension « culture rap » mais loin du rap qui m’avait attiré et la raison pour laquelle on a été interviewer des mecs comme Benoit Poelvoorde qui sortait juste de C’est arrivé près de chez vous ou encore Eric Raoult à l’époque maire du Drancy, pour un débat avec les NTM. On arrivait à emmener le Hip-Hop n’importe où et c’est ce qui avait été salué par pas mal de monde à l’époque, notamment par Chabat avec qui on a, par la suite, produit le docu sur NTM (ndlr, il s’agit du documentaire NTM Authentique, un an avec le Suprême disponible sur Youtube ci-dessous).
As-tu pu, a un moment, vivre de ton activité de journaliste Hip-Hop ?
Avec le magazine, pas vraiment parce qu’à partir du moment où on ne jouait pas réellement le jeu de vendre notre couv’, faire des chroniques sympas des albums poussés par la maison de disque etc, on se fermait clairement des portes. C’est pour ça que je dis souvent que les rappeurs ont eu la presse rap qu’ils méritaient car la majorité acceptait ce système. Ils acceptaient de payer pour des couv’, de se faire lécher le cul dans les chroniques et c’était évidemment les mêmes qui n’acceptaient pas la moindre critique de leurs albums par une presse plus « indépendante ». Tout le monde y a trouvé son compte mais ça n’a duré qu’un moment.
Je savais que cette presse allait crever, je me suis juste trompé sur la date car je pensais qu’elle ne survivrait pas aussi longtemps. Toute sa légitimité ne tenait qu’au bon vouloir des maisons de disques donc dès que l’industrie du disque a commencé à se crisper, ça a explosé. Et puis, il y a eu l’arrivé de la presse web. Aujourd’hui si tu veux l’actualité du rap, tu ne vas pas attendre la fin du mois pour aller chez ton marchand de journaux, tu as tout ce qu’il faut sur internet et tu consultes tout sur ton iPhone depuis ton canap’. Le rôle de la presse papier aujourd’hui c’est d’avoir un recul, une analyse, un parti pris pour te faire découvrir des choses un peu détachées de l’actualité.
Donc non, je n’ai pas vraiment eu l’occasion de vivre du magazine à l’époque et au moment où on a arrêté la publication, je ne me voyais pas vraiment continuer ma carrière de journaliste rap dans d’autres conditions. Si j’avais voulu faire carrière, j’aurais été une sorte d’Olivier Cachin de l’underground mais mon problème est que je ne pouvais pas faire semblant de m’intéresser à tout ce qui se tramait dans le rap. Je n’aurais pas pu me prêter au jeu de l’observateur objectif du rap sans critiquer la moitié des trucs. Si ça ne m’intéresse pas, je ne peux pas me forcer à parler d’un truc uniquement parce que c’était mon gagne-pain.
Tu avais tout de même un accès assez privilégié aux artistes à l’époque non ?
Oui et non. Oui car j’ai pu faire des interviews avec les plus gros artistes de l’époque lorsqu’il venait sur Paris (Public Enemy, 3rd Bass, House of Pain et même Nas à l’époque d’Illmatic). Mais non car en tout et pour tout je n’ai pu réaliser que trois voyages de presse au cours de ma carrière de journaliste rap. Un à Amsterdam pour faire Ghostface Killah et deux autres à New-York dans le cadre d’Authentik. Un était d’ailleurs assez mythique puisque c’était quelques semaines à peine après les attentats du 11 septembre. Sony avait décidé de ne plus faire voyager les artistes et demandait donc à toute la presse de faire le déplacement à New-York pour les interviewer. C’était donc vraiment des interviews en mode industriel qui se passaient au studio de Sony avec Destiny Child, les X-Ecutioners et le Wu-Tang Clan, sauf qu’il ne s’agissait en fait que de Masta Killa et U-God. J’arrive donc avec Armen (le photographe de Get Busy) et toute la presse française (RAP, Groove, RER etc…) était déjà là un peu deg’ de n’avoir que l’équipe B du Wu. Les mecs ne nous calculaient pas trop jusqu’à ce qu’Armen arrive à chopper un plan pour assister au tournage d’un clip de RZA juste à côté via un mec de Loud qu’il connaissait. Les mecs des autres médias étaient dégoutés et j’ai appris par la suite qu’ils avaient pris la tête à la maison de disque pour avoir « privilégié Get Busy » etc… Un grand moment (rires) !
Et comment se termine l’aventure ? La fameuse couv’ de Kenzy et l’interview de Masta Ace ?
On est à New York avec mon pote et photographe Armen Djerrahian. Masta Ace nous trimballe dans sa jeep dans laquelle on fera l’interview, sous un pont. Dans ce numéro de Get Busy, le dernier sorti en kiosque, on a pour une fois pas mis une meuf sexy et armée en couverture, mais Kenzy du Secteur Ä. C’est un pote d’Armen. Lui et moi, nous nous sommes croisés pendant des année sans vouloir se parler. C’était NTM – Saint Denis vs Ministère A.M.E.R. – Sarcelles, des histoires d’orgueil de Zulus banlieusards. On en rigole aujourd’hui, car ça reste un des mecs les plus intelligents qu’ait connu ce microcosme. Quand le numéro sort, en 2002, c’est la dernier fois où j’ai eu Joey Starr au téléphone : il me prend la tête parce que j’ai mis Kenzy en couverture alors que d’après lui, j’aurais mieux fait de mettre Seb Farran, plus légitime à ses yeux… Amusant, non ? (ndlr: Joey Starr et son ancien manager Seb Farran sont actuellement en procès et se font la guerre par médias interposés)
Aujourd’hui tu reviens avec un Get Busy nouvelle formule ?
Oui mais pour moi, c’est simplement dans la continuité de ce qu’on faisait avant. La seule différence est qu’aujourd’hui, on le maitrise mieux et qu’on trouvera je pense plus facilement un public plus adapté à ce qu’on veut faire. Je vois tout un tas de gens de 30 à 45 ans, un peu lassés par la presse rap et qui cherchent autre chose, un autre style de presse, traitant d’autres sujets. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on a jamais été aussi à l’aise pour relancer le magazine.
Le magazine sera toujours dans cet esprit « sociétal » avec des trucs liés au Hip-Hop et d’autres liés à d’autres styles comme le funk et la soul qui branchent pas mal de gens de ma génération. On sera sur papier et dans une dynamique assez peu récurrente (4 numéros par an) pour donner une vraie dimension qualititative sur un magazine de 100 pages qui sera un bel objet que les gens auront envie de conserver chez eux.
Tu disais t’être un peu détaché du rap. Quel est ton rapport au rap US et français aujourd’hui ?
J’écoute toujours un peu de rap, US comme français car ça m’intéresse toujours. Mais honnêtement, si tu regardes ce qu’il y a dans mon iPhone aujourd’hui, tu trouveras très peu de rap. C’est plus soul, funk et même du hard-rock. J’essaye de ne pas faire le vieux con nostalgique et d’écouter des trucs récents. J’ai même kiffé des trucs chez des artistes que je ne pensais pas aimer un jour comme Ace Wood, Rick Ross voire même SCH récemment (rires). Je découvre aussi pas mal de choses par mon fils qui écoute pas mal de rap. Il est très fan de Casseurs Flowteurs par exemple, de Nekfeu aussi.
Un grand merci à Sear pour son temps et au Red Bull Studio de nous avoir accueilli pour réaliser cette interview. Retrouvez toutes les infos concernant le magazine Get Busy nouvelle formule de Sear sur cette page Facebook. Et si cette interview vous a plu, on ne peut que vous conseiller de consulter notre article sur les 10 lieux cultes du Hip-Hop des années 80 qui reprend de nombreux lieux et collectifs mentionnés dans cet article.
Crédits photo : downwiththis.fr (cover) et redbullmusicacademy.com pour les visuels des magazines
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