Karim Madani : « Kanye West se renouvelle sans cesse »
Il était temps qu’un livre soit écrit sur Kanye West, cette figure détestée, adorée, fantasmée, mais assez méconnue, en fin de compte. Karim Madani, vétéran de l’écriture hip-hop, publie aux éditions Don Quichotte un essai entrecoupé d’éléments biographiques sur le college kid devenu Black Jesus. Entretien avec son auteur.
The BackPackerz : Peux-tu nous présenter un peu ton « CV d’auditeur » ?
Karim Madani : J’ai grandi dans le 13e arrondissement de Paris, au son de Mobb Deep, du Wu Tang, Nas, Showbiz and A.G., D.I.T.C…. Du coup j’ai vraiment vécu le truc, j’avais 14-15 ans en 1995. Tout ce qui est bandes originales de films m’a beaucoup plu aussi, Jerry Goldsmith, Ennio Morricone, Bernard Herrmann, John Barry, Max Steiner… J’étais dans les Sex Pistols aussi, les Clash, les Ramones, et le punk rock plus British, plus destroy, mais aussi Nick Cave, Alice In Chains, Tom Waits, Alice Cooper, Bob Dylan… Les Red Hot, Frank Zappa, Led Zep sont aussi des groupes qui m’ont marqué.
J’ai connu John Coltrane, Miles Davis ou Charlie Parker très jeune parce que dans mon immeuble, un de mes voisins me filait leurs disques. C’est grâce à lui si j’ai pu griller des samples comme celui de « Sketch of Spain » de Miles Davis sur « Wrath of the Math » de Jeru the Damaja. Pareil pour DJ Premier, je savais qu’il avait samplé « Night in Tunisia » de Dizzy Gillespie sur « Words I Manifest ». Les samples d’Archie Shepp, Ornette Coleman, Donald Bird, Max Roach, Charlie Mingus, Thelonious Monk, je les reconnaissais, vu qu’il s’agissait des racines, avec la soul, de ce qu’allait devenir le rap… Et en 1997-1998, j’ai commencé à bosser pour des magazines comme RER, L’Affiche, Groove… Très vite, je suis passé d’auditeur à chroniqueur.
Comment s’est passée cette entrée dans la presse hip-hop ?
Pour RER, le mec qui s’occupait du rap US s’appelait Olivier N’Guessan, il était déjà installé dans le magazine. Je le connaissais bien du basket et je ne savais même pas qu’il travaillait au journal. Il m’a proposé de faire une chronique qu’il filerait au rédacteur en chef Jean-Éric Perrin : j’ai écrit quelque chose sur Illmatic, 2 jours plus tard on m’appelait, le lendemain j’étais rue des Petites Écuries où l’on me proposait une interview de Daddy Lord C. Une semaine plus tard, j’étais à New York, pour interviewer Afu-Ra qui sortait quelque chose avec Jeru the Damaja.
C’était une époque où il y avait peu de chroniqueurs et de journalistes spécialisés. RER ça a été créé par les mecs qui faisaient RAGE, un magazine de rock, et la plupart des journalistes venaient de la presse rock. À l’époque, les chroniques d’albums de rap étaient souvent écrites par des journalistes rock, qui soulignaient toujours le côté intelligent du disque. Quand tu chroniques un disque de rock, tu ne dis pas en préambule qu’il est intelligent… Ce côté très condescendant m’a toujours énervé.
Quel regard portes-tu sur l’évolution du hip-hop depuis que tu évolues dans cette culture ?
J’ai grandi dans ce hip-hop très culturel, qui cumulait le graffiti, le DJing… Aujourd’hui, les gamins écoutent du rap mais aussi de la musique électronique, d’une manière très hétéroclite. Ça se retrouve dans les fringues d’ailleurs, ils portent des Jordan sans forcément connaître le joueur. À l’époque, nous portions ces baskets parce qu’il y avait Michael Jordan derrière, Spike Lee… Aujourd’hui, ce côté hybride a remplacé les chapelles musicales dont on ne sortait pas beaucoup, sauf peut-être, pendant un moment, dans Paris avec les univers du BMX et du skateboard. Aujourd’hui, les skateurs sont rappeurs et les rappeurs skateurs, c’est plus libéré. Et Kanye a d’ailleurs participé à ça, il a ramené ce vent de liberté dans quelque chose de très strict.
Cette liberté aurait donc peu à peu remplacé l’authenticité, auparavant centrale dans le rap ?
En 2015, ce qui est intéressant, c’est que le rap n’est plus une musique sociale, et je pense que c’est la meilleure chose qui lui est arrivée. Pendant longtemps on a associé rap et musique sociale, de revendications, et aujourd’hui le rap est comme le rock, le jazz, la folk ou la musique électronique, c’est une musique en soi, de l’expression musicale.
Si tu regardes PNL, tu peux prendre ça au 40e degré, parce que ce sont des mecs qui portent les survéts moulants des gardiens de foot du Barca, avec des vestes en cuir de mafieux napolitains comme dans Gomorra et des coupes de cheveux de footballeur… Il y a un tel mix, on pourrait penser que c’est une parodie. Il n’y a plus ce côté authenticité, chez PNL il y a côté thug qui souffre, qui chantonne… Eux-mêmes ne croient plus à ça, il y a ce côté nihiliste et désabusé qui est la seule chose que je trouve intéressante chez ces groupes, comme Sch, qui est un peu hédoniste, très cinématographique.
Les textes sont moins bons globalement, même si certains ont encore le niveau comme L’Animalerie ou même Nekfeu et certains de 1995, mais le fait de perdre ce côté musique sociale enlève aussi un handicap qui forçait les mecs à avoir une attitude et une musique très calibrées. Alors qu’aux États-Unis, Kool Keith par exemple, ça fait des années qu’il rappe sur des voyages dans l’espace. Aux States, des rappeurs étudiants parlent de leur diplôme, d’autres de leur carrière sportive… C’est plus large, quand en France on a beaucoup cantonné à ce côté street. Ce n’est pas le rap qui est mort, c’est la vision sociale du rap. Maintenant il est considéré comme une expression artistique au même titre que d’autres styles musicaux. C’est pour cela que PNL plaît au-delà des banlieues et tout, même les bobos et les hipsters peuvent aimer car tu peux y voir ce que tu veux, un hipster peut te dire que c’est le summum de la poésie émothug aujourd’hui… Alors que quand tu prenais la Mafia K1’fry à l’époque, il n’y avait pas 10.000 interprétations.
Dernièrement, ce sont surtout des Blancs, classe moyenne, parisienne, qui ont fait des groupes, ce qui était plus compliqué avant, lorsque l’on croyait qu’il fallait venir de cités ou avoir un message politique fort pour en faire. Un peu comme le rock, les Stones venaient des quartiers populaires, les Pistols ou les Clash avaient des grosses revendications sociales, mais ensuite c’est devenu quelque chose que tout le monde a pu utiliser. Tant mieux pour les auditeurs, tant mieux pour les rappeurs, ça leur ouvre un public plus large.
Tu considères d’ailleurs comme un tournant du rap le combat dans les charts que se livrent Kanye West et 50 Cent en 2007…
Effectivement, aux States, c’est Kanye West qui a permis qu’on sorte de ce rap gangsta calibré, face à 50 Cent, en le rendant has been. Le discours « Je suis dans la rue avec 4 flingues sur moi » a perdu sa valeur, surtout qu’on a bien vu que ceux qui proclamaient ça, dans 80 % des cas, c’était faux. Les gangsters ne rappent pas, la nouvelle voyoucratie ne rappe pas, même aux States avec John Gottie ou Carlo Gambino. Aujourd’hui, qui de plus authentique qu’un Mac Miller ? Un rappeur juif drogué aux stabilisateurs depuis ses 15 ans dans une petite classe moyenne juive, c’est ça “Keep it real”, pas parler de flingues et de meurtres.
Pourquoi avoir écrit ce livre maintenant, alors que la carrière de Kanye West bat son plein ?
C’est un livre qui pourra être remis à jour avec de nouveaux éléments, mais, jusqu’à The Life of Pablo, je pense que West a une discographie et une vie qui méritaient d’être considérées à ce moment : ce que je voulais montrer avec ce livre, c’est que Kanye est arrivé au bout de sa première période, un peu comme Picasso avec sa période bleue. Son premier album College Dropout est sorti en 2004, ça fait 12 ans, et en 12 ans il y a fortement contribué à changer l’identité du hip-hop, et finalement il a fait ce que ni Jay Z, ni Fifty, ni les autres n’ont fait, c’est-à-dire transformer le rap en pop mondialisée.
En plus, tout le monde le prend pour un bouffon, un mec un peu grotesque — ce qu’il peut être aussi —, mais il faut creuser. Tout le monde connaît le Kanye qui a sa marionnette aux Guignols, avec les Kardashian, qui sort des conneries, mais il y a une histoire derrière, beaucoup plus complexe. Kanye West connaît très bien la culture rap, il a bossé avec les pointures, et en même temps il s’est émancipé de cette culture rap.
Comment, en tant qu’auditeur, as-tu connu et apprécié Kanye West ?
Je le connaissais en tant que producteur, avant qu’il fasse ses propres albums, dès 1999. Le tournant a été The Blueprint, l’album de Jay Z en 2001, avant son travail avec Dead Prez, Nas, Talib Kweli… Il a bossé avec plein de backpackers de l’époque, et il en était un lui-même d’ailleurs, même si son sac à dos était un Vuitton. C’est vraiment avec The Blueprint qu’il m’a le plus impressionné à l’époque : il relance la carrière de Jay Z, que les puristes délaissaient, et sa manière de découper, pitcher était atypique. Ses samples n’étaient pas fait dans un esprit boom bap, pour rendre hommage, c’était des samples très modernes qui pouvaient s’accorder avec un discours bling. Et cette manière de sampler ne sonnait pas poussiéreuse. « Izzo (H.O.V.A.) », avec ce sample des Jacksons Five, l’incarne parfaitement : c’est léger, il n’est pas dans l’intertextualité ou quelque chose d’élitiste.
En quoi son premier album était-il si atypique dans le rap de l’époque ?
Avec College Dropout, il a remis en avant le rap dit « traditionnel ». À l’époque, le rap était dominé par Timbaland, Swizz Beatz, des beats très synthétiques. Et lui a ramené un peu d’organique, de soul dans sa musique, mais d’une manière moderne via le découpage et le sample. En plus, il faisait tout cela sur un label très gangsta rap, avec son histoire très personnelle.
Quand cette émancipation de la culture rap se fait-elle sentir ?
College, Late Registration et Graduation, je les mettrai encore dans une catégorie assez cohérente, même si l’on voit apparaître dans Graduation les premiers éléments de musique électronique, qui annoncent la suite. J’avais bien aimé Graduation, que je trouvais encore très cohérent par rapport à ce qu’il avait fait auparavant. Je suis un fan des 3 premiers et quand j’ai entendu 808, je me suis dit : “Merde, tout cet autotune, c’est moins ma came.” Mais ensuite, et c’est ce qui intéressant, je suis allé me renseigner sur son approche, et pourquoi il avait voulu trancher avec cet album. Et avec 808, West voulait en fait s’arracher des carcans du rap : avec cet album, il passe au statut de rock star, entre Prince, Hendrix, George Clinton, Lee Scratch Perry, Sun Ra ou Screamin’ Jay Hawkins… Il est dans son délire, quelque chose de cosmique et d’allumé.
808 lui a aussi permis, paradoxalement, d’accéder à une audience moins familière du rap…
Graduation avait déjà amorcé cette tendance, avec la présence des Daft Punk, mais c’est vrai que 808 lui ramène cette audience non-rap. C’est pour cela qu’il réconcilie pas mal de publics, les Blancs, les Noirs, les gays, les hétéros… Il y a un grand mix là-dedans.
Après cette rupture avec 808, Dark Fantasy ramène le truc un peu plus loin et annonce Yeezus, son oeuvre noire, radicale, en forme de manifeste.
En quoi Yeezus est-il si important dans sa discographie ?
Yeezus, c’est un album avec tout un staff de producteurs, qui bossaient dans une grande salle, et West leur intimait de ne pas écouter ceci ou cela, pour revenir à une musique industrielle sombre, radicale et pas du tout commerciale. Comme si ce mec avait voulu un suicide commercial : pas de pochette, zéro entretien… Il ne voulait même pas de hit.
Avec Yeezus, West veut expérimenter. Il a bossé avec Rick Rubin, un ancien du punk, à fond dans les musiques industrielles. C’est un type qui traîne avec Vincent Gallo, le réalisateur expérimental underground… Kanye West aime beaucoup les artistes comme Jackson Pollock, Klee, et il se voit aussi comme une espèce d’artiste contemporain avant-gardiste, cubiste dans sa musique. Il disait que Yeezus allait mettre 10 ans avant d’être compris.
Tu as cité l’expression « pop mondialisée », mais avec ses derniers albums et particulièrement Yeezus, on a plutôt l’impression que West cherche à s’éloigner de la pop…
Outre des singles, dans l’ensemble de sa carrière, qui étaient très radio friendly, il est pop au-delà de sa musique. Il est pop dans sa vie, avec la télé-réalité ou avec les stars avec lesquelles il a collaboré comme Britney Spears, Janet Jackson, McCartney… Même Taylor Swift, je pense qu’il l’aime bien, en réalité. Lui voulait s’insérer dans la grande culture populaire américaine, il aime bien Coca, Pepsi, Disney, Nike… Il est à fond dans la pop-culture, tout en se permettant des albums parfois très ésotériques, à d’autres moments des singles très simples.
Tu as écrit un livre sur Spike Lee : même s’il n’est pas souvent considéré comme tel, Kanye West n’est-il pas lui aussi un militant ?
Kanye West reste très hétéroclite dans ses prises de position ou son personnage : il est évidemment moins ambigu que Prince, mais son ouverture d’esprit sur beaucoup de sujets par rapport aux rappeurs des années 1990 le rend atypique.
Quand il était gamin, il mettait des polos roses, des jeans serrés quand la mode était aux baggys, il a toujours été spécial, même à l’école. Son background, avec une mère prof de fac et un père journaliste, ancien Black Panther, était aussi spécial. Dans ses morceaux, on retrouve ce côté militant et consumériste à la fois.
Son morceau « All Falls Down » dresse ainsi une autocritique de la communauté noire : il dit tout haut que les Noirs dépensent leur salaire dans une paire de Jordan, lui y compris, et se plaignent ensuite que le Blanc leur prend leur pouvoir d’achat, mais le Blanc ne leur met pas un flingue sur la tempe pour acheter. Il ramène aussi dans le militantisme un côté très cash : il a quand même clashé Bush sur Katrina, en disant « George Bush n’en a rien à foutre des Noirs ».
Cette attaque était-elle si grave à l’époque ?
Les rappeurs, tant qu’ils se clashent entre eux, ça ne pose pas de problème. Mais là il accuse frontalement un mec de racisme, quand ce mec a derrière lui toute une administration. De plus, les leaders de la communauté noire sont souvent des pasteurs, ou sont en tout cas pacifiques, lui a posé un débat beaucoup plus fort en comparant le traitement des médias : quand des familles blanches sont dans un magasin pour chercher de la nourriture en pleine tempête, ils sont des survivants, quand il s’agit de familles noires, ce sont des pilleurs.
Cela aurait pu flinguer sa carrière : faire pression sur les majors, le suivre à la trace, créer une affaire de possession de drogues, il était possible de le faire chier.
Sur l’homosexualité aussi, il a eu des mots très forts. Son cousin est homo, et il a dit très tôt qu’il fallait arrêter de dire gay par-ci, gay par-là comme une insulte. Sur les couples mixtes aussi, il s’est mis avec une nana blanche, et aux États-Unis, c’est encore mal vu. D’un point de vue sociétal, il a fait avancer les choses. Ce n’est pas un militant comme Spike Lee, mais il a un vrai regard sur les aspirations des Noirs aux États-Unis.
Son attaque envers Bush à l’époque était le symptôme d’une certaine naïveté vis-à-vis des médias : aujourd’hui, la situation n’est-elle pas inversée, avec un Kanye West devenu manipulateur au possible ?
Aujourd’hui, il contrôle tout. Autant il a été jusqu’en 2007-2008 dans la spontanéité, autant récemment tout est contrôlé. Le moindre de ses tweets, aujourd’hui, est pensé, calibré pour exciter les médias. C’est presque un fonds de commerce pour lui : il sait que la moindre de ses conneries aura un écho incroyable, c’est pour ça qu’il enfile ses perles. C’est un type qui lit beaucoup, de Franz Fanon à Ralph Ellison, qui voit énormément d’expos… Mais il sait aussi ce que les gens attendent de lui.
C’est amusant, parce qu’à une époque, il déclarait aussi que les livres c’était pour les loosers…
Il était signé sur un label de voyous et de thugs : il a voulu aussi être accepté, et c’est pour cela qu’il ne la ramenait pas trop sur les bouquins, avec lesquels il a grandi, étant donné que sa mère était professeure d’anglais. Les types, à l’époque, le considéraient comme un petit bourgeois qui n’avait pas de sujet sur lequel rapper à Roc-A-Fella. C’était son grand drame, au départ, de ne pas pouvoir rapper à cause de ça.
As-tu cherché à le rencontrer ?
Je l’ai croisé à l’époque, en 1999-2000, lorsqu’il était petit producteur, il était en studio à New York. C’était un beatmaker, donc personne ne s’intéressait à lui. Je connaissais ses prods, je pouvais citer son nom et je savais qu’il avait du potentiel. Pas à ce point, bien sûr. Le rencontrer pour le bouquin, c’est impossible, autant rencontrer le pape.
Qu’as-tu pensé de la sortie de The Life of Pablo, entre le délai de plusieurs jours avant la mise en ligne et la session d’écoute chaotique au Madison Square Garden ?
Son disque est sorti de la même manière qu’un nouvel iPhone ou une nouvel iPad, d’autant plus qu’il est fasciné par Steve Jobs. Il s’est mis dans une sorte de storytelling marketing a propos de son disque, en brouillant les pistes. Cela fait aussi penser à Hollywood : la narration n’est plus seulement dans le film, on en fait de la réalité augmentée, avec un comics, un site internet éphémère dédié au film. Le tout en impliquant le spectateur ou l’auditeur pour l’intégrer, plus ou moins, à cette fiction.
Et le fait que son album soit juste disponible en streaming ?
Un jour, ça ne m’étonnerait pas qu’il ne se produise plus physiquement, mais en hologramme. De son vivant, je veux dire. Il est obsédé par la technologie, la robotique, le côté cyber, la dématérialisation…
Comment expliques-tu l’aspect « clivant » de la discographie de Kanye West, avec ceux qui aiment ses premiers albums, mais détestent radicalement ce qu’il est devenu ensuite ?
C’est une réaction épidermique : elle est compréhensible, mais elle doit s’affiner au fur et à mesure. Un artiste, s’il fait tout le temps la même chose, sombre rapidement. Se renouveler, c’est durer, et il y a finalement peu de rappeurs qui le font. À part Jay Z ou Nas, les dinosaures ne durent pas vraiment. Même en France, Booba parvient à durer avec cette nouvelle école, en sachant surfer sur l’époque, en synthétisant des choses. Kanye, c’est un mec qui se renouvelle sans cesse : s’il fait un album de duos folk, ça ne m’étonnerait pas vraiment. Et il a énormément de secteurs d’activité pour se renouveler : cinéma, mode…
Dans ce renouvellement, ses collaborateurs tiennent une place importante…
Kanye lui-même, pendant un moment, a été « largué » : il arrive sur ses 40 ans, quand des mecs comme Noah Goldstein ou Travis $cott en ont 24 ou 25, et ils sont en phase avec cette musique électronique qu’il fait. Ils sortent des radios universitaires et ils ont cette oreille dont il a besoin pour savoir ce qui se fait, ce qui s’écoute. Ils ont digéré le hip-hop, le rock, le trip hop, la musique électronique et font des beats en 5 minutes. À ce titre, Yeezus est un album collectif. Sans eux, il n’aurait pas sonné pareil. Ils lui filent de la jeunesse, en quelque sorte.
Karim Madani, Kanye West, « Black Jesus », Don Quichotte éditions, 192 pages, 16,90 €
Crédits portraits de Karim Madani : Sophie Daret