Caballero & JeanJass : « 2016 est un vrai raz-de-marée pour la scène rap Belge »
Quelques heures à peine avant qu’ils enflamment la scène du Pan Piper, c’est dans la loge étriquée de la salle de concert du XIè arrondissement que nous avions rendez-vous avec Caballero et JeanJass. Une rencontre chaleureuse et à la cool, à l’image du duo Belge qui semblait être comme à la maison, bien accueilli par les potes Roméo Elvis et Lomepal qu’on salue en loge et qu’on retrouvera plus tard dans la soirée sur scène au côté du groupe.
Un échange passionnant d’une quarantaine de minutes qui amènera le duo Caba et JJ à évoquer leurs origines, leur processus de production, leurs influences rap US mais également leurs futurs projets comme le très attendu Double Hélice II, financé par… DJ Khaled ! Tout un programme.
The BackPackerz : Comment vous-êtes vous rencontrés ?
Caballero : On s’est rencontrés il y a six ans environ. C’était à l’occasion d’un passage en radio à Bruxelles auquel on avait été tous les deux invités par un ami commun : Azzili Kakma, qui n’est autre que le cousin de JeanJass. Big up à lui d’ailleurs ! On a fait connaissance sur un freestyle et le courant est de suite bien passé donc on s’est revu et rapidement on s’est retrouvé à bosser ensemble en studio (studio Blackaret, ndlr). On se marrait bien donc on a eu envie d’aller plus loin en enregistrant un son ensemble. C’est comme ça qu’est né le morceau « Yessai ».
Vos origines, grandir à Charlouz ?
Caballero : Pour ma part, je suis d’origine espagnole. Je suis né là-bas mais j’ai bougé très tôt à Bruxelles où j’ai passé la plus grande partie de ma vie. Et Charlouz c’est plus pour JJ.
JeanJass : Yes ! Charlouz pour Charleroi, ça ressemble un peu aux villes du Nord chez vous. C’est un ancien bassin minier, très populaire, le temps est pas terrible donc c’est un univers assez sombre… Tout est fait pour que tu ne t’éclates pas à Charlouz mais moi j’ai eu une jeunesse magnifique là-bas. C’est là que j’ai commencé le rap et que j’ai grandi. Si je peux donner un conseil, allez élever vos enfants en plein air à Charlouz, c’est génial !
Et la scène rap à Charlouz ?
JJ : A Charlouz, il y a une très petite scène car la ville est petite. Déjà le rap belge c’est pas énormément d’acteurs donc tout le monde se connait, même entre les différentes villes. A Charleroi, il y a surtout un mec qui s’exporte bien c’est Mochelan, dans un style plus proche du slam et du théâtre.
Votre son est hyper marqué par l’auto-dérision. Vous pensez que c’est un truc qui manque dans le rap d’aujourd’hui ?
Caba : Dans le rap français peut-être mais j’ai l’impression que dans le rap américain, cette auto-dérision a toujours été là. En tout cas, on essaye pas particulièrement de combler un vide, on fait juste du rap qui nous ressemble. On essaye de mettre un peu de tout dans notre son, du sérieux, du moins sérieux… comme toi dans ta vie j’imagine.
Mais c’est vrai que pas mal de rappeurs se construisent des personnages hyper clichés sans jamais laisser paraitre leur vrai visage et peut-être que certain auditeurs prennent ça au premier degré. Nous, on envisage notre musique comme un divertissement donc on essaye de faire passer un maximum d’émotions, en écrivant parfois des trucs marrants et parfois sur d’autres sujets plus sérieux.
Vous faites pas mal de références rap US dans vos textes (Mobb Deep, Ludacris, Gucci Mane). Quelles sont vos influences dans ce domaine ?
Caba : Je pense qu’il y a des influences primaires qui se situent principalement dans le rap New-Yorkais des années 90 (Mobb Deep, Nas). Ensuite, il y aurait sûrement un peu de dirty south des années 2000 mais aussi le rap de Detroit (Slum Village) et plein d’autres trucs. En fait, on est dans une approche hyper curieuse donc on absorbe un peu tout et on crée à partir de toutes ces inspirations.
JeanJass : C’est clair qu’à la base, tout part d’un gros kiffe pour le son New-Yorkais. Bientôt le concert au Madison Square Garden comme Kanye (rires) !
En parlant de création, quel est votre process de production généralement ?
Caba : Y’a pas vraiment de recette mais en général on commence par le studio où on recherche tous les deux les refrains et les parties communes. Si jamais on est chauds, on peut tout faire sur place mais sinon chacun repart chez soi et revient une semaine après avec son 16 finalisé pour enregistrer.
JeanJass : Tous les schémas d’écriture sont possibles sincèrement. Parfois à deux comme pour « Merci Beaucoup » vu qu’il y a beaucoup de passe-passe. Parfois, on écrit quand on est en tournée donc dans le van ou dans les trains. On écrit pas mal dans les transports en commun aussi vu qu’on est souvent entre Charleroi, Paris et BX. Et après, parfois le beat vient en premier et on écrit nos textes en fonction, parfois c’est l’inverse. Il n’y a pas vraiment de règle, on est très spontanés.
JeanJass, sur la partie prod’ quel est ton fonctionnement ?
JJ : Moi je suis un sampleur ! Je pense avoir l’oreille pour faire de la compo et je joue parfois des mélodies mais ce que je kiffe vraiment c’est sampler. Chercher des heures pour trouver un ou plusieurs samples que ce soit sur du vinyle ou en MP3, c’est ça qui m’éclate !
C’est une méthode qui se perd un peu selon toi ou pas ?
JJ : Non je crois pas. J’ai l’impression que même « les nouveaux producteurs » utilisent encore pas mal le sample. Sur la dernière tape d’A$AP Mob par exemple (Cozy Tapes, Vol. 1: Friends, ndlr), il y a pas mal de prods basées sur des samples avec des refrains scratchés etc… Aujourd’hui je pense que la plupart des producteurs font comme moi et ne se fixent zéro limite.
Si vous étiez un groupe cainri ?
JJ : Ah bah un duo forcément ! Je pense à tous les duos new-yorkais : Smif-N-Wessun, Heltah Skeltah, Mobb Deep mais ceux qui correspondent le mieux ce serait peut-être Method Man et Redman pour le côté fou et divertissant !
Caba : Grave ! Mais en jeune et en plus fort….et en plus beau (il éclate de rire). Mais oui atteindre ce niveau, c’est la prochaine étape.
C’est quoi d’ailleurs les prochaine étapes pour vous ?
JJ : Et bien on travaille sur Double Hélice Volume 2 déjà. Et on a aussi notre projet Studio Planet pour lequel on a lancé une campagne de crowdfunding sur Kiss Kiss Bank Bank il y a peu. Le Studio Planet c’est l’endroit où tout va se passer. C’est notre vaisseau, là où on va pouvoir enregistrer nos futurs projets évidemment mais on compte aussi enregistrer d’autres artistes, y compris hors rap. Le projet est une initiative de nous deux et d’Anthony de Back in the Dayz (structure qui assure le booking, management et la promo de divers artistes belges, ndlr). On a déjà le lieu, très bien placé en plein centre de Bruxelles, maintenant il faut nous aider à financer l’équipement du vaisseau.
Caba : On va en faire un studio d’enregistrement professionnel. On pourra y enregistrer de la zik mais aussi des clips, des voix pour des pubs, tout ce qui touche de près où de loin à la création et à nos métiers. (ndlr : JeanJass est ingé son de formation).
Un projet qui n’est pas sans rappeler celui d’Espiiem, que vous devez connaitre ?
Caba : Yes ! Exactement, on a vu son projet Orfèvre Studio c’est mortel ! Force à lui pour cette aventure !
Dans la loge d’à côté on a pu croiser avant l’interview des mecs dont vous semblez très proches comme Lomepal, Roméo Elvis. Quel rapport entretenez-vous avec ces artistes (Don Dada, L’Entourage également) ?
Caba : A la base, c’est du respect mutuel pour la musique de chacun. Et après, on a appris à connaitre les personnes, l’humain et on a crée des liens. On s’entend hyper bien avec toutes les personnes que tu vas voir sur scène ce soir (Josman, Lomepal, Roméo Elvis, Alpha Wann et Deen Burbigo). Tout ce petit monde forme une nébuleuse de pas mal de rappeurs qui se connaissent et font du son ensemble, c’est une grande famille !
JJ : Une grande famille qui continue à grandir avec des petits jeunes comme Roméo [Elvis] qui a encore pas mal d’années devant lui pour sortir des trucs de plus en plus chauds.
A l’inverse, vous êtes dans le rap depuis plus de 10 ans. Vous avez l’impression d’avoir atteint une certaine maturité dans votre son ?
JJ : Complètement ! Le rap c’est comme la conduite, il faut pratiquer à fond et comme tu l’as dit, ça fait 10 ans qu’on écrit, qu’on rappe et qu’on fait de la scène avec Caba donc on se sent plus fort que jamais.
Caba : C’est la règle des 10 000 heures mec ! C’est qu’une fois que tu as atteint ce cap que tu peux dire que tu maitrises vraiment ton art. On y est !
Dans le morceau « Motivé » vous dites « se lever tôt ça aide parfois ». Vous avez l’air d’être de sacré charbonneurs derrière vos airs de fumeurs de weed ?
Caba : Pas faux ! Après, dès qu’il y a moyen de se caler une grasse mat’ on se la fout au planning.
JJ : Ça c’est la grande illusion ! 2Pac a encore des couplets inédits qui peuvent sortir pendant encore vingt ans je pense. Pour être performant, il faut pratiquer tous les jours. Comme un sportif de haut niveau !
Après pour la sieste, Caba a une capacité à s’endormir vite et partout assez impressionnante. Moi j’ai un corps un peu moins souple et un peu plus long donc j’ai besoin de plus d’espace pour m’assoupir. Lui il a un corps très confortable (rires).
Est-ce que Trump est OK pour financer le prochain album du coup ?
Caba : Haha après DJ Khaled tout est possible ! (ndlr, JJ et Caba au top du canular belge avec la fausse annonce sur Facebook de la participation de DJ Khaled à la campagne de crowdfunding)
JJ : « Oui, c’est possible » (sur le ton de l’intro du morceau « Merci Beaucoup »)
Bruxelles arrive ou Bruxelles est là depuis un moment ?
Caba : Auprès des connaisseurs comme vous peut-être, au même titre que pour Lomepal qui écoutait déjà la scène belge en 2013 quand on a fait Le Singe Fume Sa Cigarette mais c’est quand même relativement nouveau que des rappeurs belges s’exportent bien vers la France. C’est vraiment depuis peu avec l’explosion de Damso ou Hamza que les projecteurs ont commencé à être vraiment braquée sur la scène Belge.
JJ : Avec Damso, Roméo, nous et Hamza, 2016 a été un vrai raz-de-marée pour la scène Belge. On connait de près ou de loin tous ces gens et sincèrement c’est encore une petite scène sans trop de prise de tête, tout le monde s’entend bien en Belgique. On fait vraiment des choses différentes donc y a de la place pour tout le monde.
Le mot de la fin : Qu’est ce qui vous fait « verygoler » en ce moment sinon ?
Caba : Les trucs de beauf ! SOS ma famille en détresse, le truc de Pascal le grand frère, on rigole beaucoup là-dessus. Sinon, on regarde aussi les viners et les autres vidéos à la con très courtes sur YouTube. Les vidéos d’Action Bronson sont très cools.
JJ : Moi je regarde les émissions de Barbecue américaines. Les BBQ Pits Boys où ils cuisinent tout à la machette parce qu’il en ont rien à foutre ! C’est un truc d’extrémistes de la bouffe. Buddah Kiris de Just Music Beats sait exactement de quoi je parle à mon avis.
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Remerciements : Caballero & Jean Jass, Back in The Dayz, Furax et le Pan Piper
Crédits photo : Antoine Monégier pour The BackPackerz