Heskis : « La société du spectacle est plus lisse que jamais »

Heskis : « La société du spectacle est plus lisse que jamais »

A l’occasion de la sortie de son premier EP solo GG Allin, nous avons rencontré Heskis, membre du groupe éphémère 5 Majeur (composé également de Vidji, Kéroué, Hunam, Nekfeu) qui a marqué toute une génération par sa fraîcheur et son style néo-boombap. Nous avons évoqué ses débuts dans le rap, son expérience au sein de son groupe, mais aussi discuté du chanteur punk GG Allin. Rencontre avec un MC amoureux de son art et bien plus engagé qu’il ne veut bien y paraître. 

The BackPackerz: Tu as commencé le rap très tôt. Tu peux nous parler un peu de tes débuts ?

Heskis: J’ai commencé le rap à 12 piges, quand j’habitais encore vers Chartres, puis j’ai arrêté avant de reprendre vers mes 17 ans. J’ai passé mon bac à Chartres puis j’ai eu envie de partir sur Rennes pour les études. Arrivé à Rennes, j’ai trainé dans pas mal de freestyle et d’émissions de radio: Canal B, Radio Campus Rennes… c’est à Rennes que tout s’est ouvert, où j’ai rencontré des rappeurs, des beatmakers. Fin 2010, heureux hasard où je me suis retrouvé au même endroit que Vidji, Keroué (tout deux formant aujourd’hui le duo Fixpen Sill), Hunam et Nekfeu et où il s’est passé alors un truc assez magique qu’on a eu envie de graver quelque part. D’abord ce n’était qu’un morceau et finalement Vidji nous a dit qu’il avait un studio à Nantes dans lequel on pourrait enregistré tout un projet. On s’est enfermé là-bas et on a fait le premier projet 5 Majeur fin 2010 (sorti début 2011, ndlr), bien avant l’attrait du public pour le nouveau rap boom-bap, à un moment où on se voyait comme des ovnis, tout seul dans nos coins à rapper sur des beats de DJ Premier, à un moment où le rap était très « lascarisé », très « dirty southisé ». On à lâché le truc sur internet, ça à tourné à mort. Nekfeu a percé dans les semaines qui ont suivi avec son Rap Contenders puis avec « Dans ta résoi ». Fixpen Sill a de son côté sorti son premier EP, et on a rapidement enchainé sur le second projet 5 Majeur : Variations. Ce projet a été enregistré en 2012 et est sorti en 2013.

Qu’est-ce que cette expérience en groupe t’apporte aujourd’hui dans ton travail?

Plein de choses, et principalement le premier projet du 5 Majeur m’a permis de trouver ce que j’avais envie de faire dans le rap, à savoir à ce moment un rap très technique. L’idée était de se tirer la bourre entre nous, les sessions où on grattait c’était avant tout pour la perf. Tu regardais le couplet de ton pote, tu te disais « c’est trop lourd il faut que j’y aille à fond ». Ca m’a appris ce qu’était l’émulation, on était très influencé 90’s et NYC même si aujourd’hui je n’aime pas dire qu’on faisait du rap à l’ancienne, nous on voulait surtout faire du rap technique, de la performance.

« Avec 5 Majeur on voulait surtout faire du rap technique… »

Vous avez en quelque sorte « surfé » sur le regain d’intérêt du moment pour le rap boom bap ?

Non pas surfer. Si on dit surfer ça veut dire que c’était volontaire. Or ce n’était pas volontaire, mais c’est vrai que le timing était bon. Au final ce sont plus des jeunes qui se sont pris au truc, des personnes plus jeunes que nous même assez souvent. Donc finalement on a pas touché tant que ça les nostalgiques de la « belle époque du rap français ». C’est juste qu’on proposait un truc différent. Y a eu un truc aussi qui s’est passé avec Nekfeu. On a d’un coup vu apparaitre une légitimité pour le jeune rappeur blanc de classe moyenne, de se mettre à rapper. On était pas dans une posture street ou engagée, juste dans une démarche de passionnés de rap. Je pense que les gens se sont pris la spontanéité et l’intention du truc avant tout. Il n’y avait vraiment rien de prévu à la base entre nous c’est pour ça que lorsqu’on nous demande quand sortira le prochain projet des 5 Majeurs, on ne peut pas répondre.

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Vous continuez à vous parler, à évoquer de nouveaux projets ensemble? 

Je suis toujours avec Hunam, Fixpen… Nekfeu on le voit moins avec tout ce qui lui arrive, il travaille énormément. Mais sinon oui on est tout le temps ensemble, tu vois sur mon EP j’ai un feat avec Hunam, y a une prod qui est de Vidji, donc tu vois on reste soudés. On a chacun défini notre identité les uns au contact des autres et puis au-delà de la musique, on est devenu amis.

« Avec Nekfeu, on a d’un coup vu apparaitre une légitimité pour le jeune rappeur blanc de classe moyenne… »

Aujourd’hui tu continues à écouter du rap français?

Très peu ! Surtout mes potes en fait (tous les membres du dojo klan, Fixpen, Caba et JeanJass, Lomepal, etc..). J’écoute beaucoup de rap US. Le seul album de rap français qui tourne régulièrement sur mes enceintes c’est « Jeunes, coupables et libres » des X-Men. Quand on a sorti les projets 5 Majeurs, c’était le type de sons qu’on écoutait à ce moment là. A partir de 2012-2013 on s’est ouvert à d’autres trucs. Quand j’ai commencé à rapper j’étais à fond dans des trucs comme La Rumeur, Anfalsh donc tu vois pas le rap le plus ouvert … et un jour je me suis pris un album de  Schoolboy Q un morceau avec Kendrick Lamar qui s’appelle « Blessed » et de là je me suis dit qu’il fallait arrêter d’être con et qu’il fallait écouter d’autres trucs. On écoute toujours du boom-bap mais très peu comparé a avant, trié sur le volet, mais pleins d’autres trucs à coté, ça peut aller de Big Sean, en passant par Bones, Spooky Black ou les mecs de Loud Lary Ajust ou Alaclair Ensemble au Quebec. Franchement, j’aime tous les styles de rap, mais le piano-violon-caisse claire 90 BPM, je peux plus (il éclate de rires).

Parlons de ton dernier projet. Quand as-tu commencé à bosser dessus?

Le premier titre c’est « Cluedo », je l’ai enregistré il y a quasiment deux ans. A partir de ce morceau, je me suis dit que j’avais envie de faire un EP solo. J’avais du mal à avancer, je stagnais un peu, don je suis allé au Dojo, invité par Sheldon. A partir de ce moment là, ça m’a débloqué, j’ai fait l’EP en trois mois et donc terminé autour de fin 2015, début 2016.

Je reviens sur le titre « GG Allin » pourquoi avoir choisi une telle référence?

J’ai débuté la musique avec le rap qu’écoutaient mes cousins et avec le rock que me faisait écouter celui qui a été un peu mon parrain dans la musique, un pote à moi qui s’appelle Ramsès, qui a dix ans de plus que moi. Il m’a vraiment filé l’amour de la musique, il m’a inculqué le goût d’aller chercher qui avait fait tel mix, qui avait fait telle prod etc. Lui était fan de heavy metal et m’avait parlé de GG Allin et depuis ce personnage rugueux est resté dans ma tête. Alors pourquoi avoir eu envie dix ans plus tard d’appeler mon projet ainsi ? J’aime bien les incompris, les personnages fous et lui c’était ça… il était extrême. GG, c’est un mec qui passait son temps à chier sur l’époque qu’il trouvait absolument abjecte et à chier sur les rockeurs qui, pour lui, étaient devenus des imposteurs, des traitres à la cause, au service du système et du marketing. Et en fait tout ça j’en parle tout au long de mon EP. Je parle aussi beaucoup de moi, c’est très autocentré comme projet. Mais il y a aussi beaucoup de pichenettes contre les rappeurs d’aujourd’hui que je trouve trop lisses, trop dans le même moule.

Est-ce qu’on peut donc imaginer que tu te considères comme le GG Allin de ton époque?

Non, je ne me compare pas du tout à lui. Je trouve qu’on est dans une époque qui manque de piquant. Quand tu allumais ta télé dans les années 80, tu voyais des mecs dans des restaurants en train de s’engueuler, des conversations philosophiques qui dérapaient et où les mecs se jetaient des grands verres de vin à la gueule, il se passait des trucs. Quand les artistes allaient sur un plateau télé ils pétaient un câble, ils parlaient d’un truc qui les révoltait. La société du spectacle est plus lisse que jamais, les acteurs, les chanteurs, les présentateurs… tout l’univers de la culture est dans son truc très lisse et il souhaite y rester pour ne pas être emmerdé. Je ne me prétends pas l’âme d’un révolutionnaire mais ça me fait chier et j’avais envie de faire un doigt d’honneur à ce truc. Voilà pourquoi, j’ai choisi ce titre.

Tu as parlé de marginalité. Quelle est ta vision de notre société actuelle sur ce point ?

Déjà la question de la marginalité je l’ai découverte très vite car j’ai grandi dans un petit bled de campagne dans lequel tout le monde est né au même endroit et sort du même moule. Du coup, j’ai découvert très tôt ce que c’était que de se sentir différent, à l’écart. Cette incompréhension, est un sentiment qui me touche et me parle beaucoup.

Sur la société en général, ma vision est assez triste. Je ne suis pas quelqu’un d’optimiste, plutôt l’inverse en fait, même si j’essaye de me battre contre ça. L’album parle beaucoup de lutter contre ses démons d’ailleurs. Je trouve la société assez dégueulasse, que ce soit les réseaux sociaux, la télé réalité, la société de consommation, le marketing, j’ai l’impression que l’humain n’est plus au centre de la société alors même que nous sommes dans un monde d’humain. J’aime pas le rap engagé, je m’en tape un peu, mais j’aimerais bien que les artistes parlent plus de ce qu’ils ressentent. Je trouve que souvent dans le rap, c’est très dans la posture : « soit je suis street, soit je suis trop cool trop frais » mais finalement ça reste très en surface.

Finalement un rappeur engagé, est-ce que ce n’est pas juste un rappeur qui se pose des questions?

C’est une bonne question. Plus tôt dans la journée un autre journaliste m’a posé un peu le même genre de question et c’est vrai que je trouve cette approche hyper pertinente. Je ne l’avais jamais envisagé mais en effet vu comme ça je suis peut-être un rappeur conscient. Après je suis super paradoxal, je m’explose sur de la trap, sur du Travis Scott ou du Hamza, j’ai pas de problème avec ça, je sais mettre mon cerveau sur pause.

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Et tu saurais faire ce genre de son?

Oui je sais le faire et y a d’ailleurs des morceaux qui arrivent dans ce genre là sur le prochain EP. GG Allin a des couleurs très sombres mais je n’ai pas envie de m’enfermer là-dedans. C’est mon premier EP, je voulais arriver avec un truc assez tranché, en guise de carte de visite. Je trouvais que ça avait plus de couilles qu’un truc tiède qui tire dans tous les sens. Et puis j’avais des trucs à cracher, il fallait que ça sorte.

« Je m’explose sur de la trap, sur du Travis Scott ou du Hamza. Je sais mettre mon cerveau sur pause »

Comment qualifierais-tu les ambiances musicales de ton EP?

La meilleure manière de décrire le projet pour moi : nerveux et planant. Je voulais faire de la musique nerveuse mais qui dégage aussi des émotions. Faire un pont entre rap à texte – égotrip – et cloud. C’est très sombre mais ça déborde aussi de désir d’élévation. C’est un peu la lumière qui vient percer les ténèbres, je crois que j’aurai du mal à mieux qualifier ça.

Quelles seront les couleurs des projets à venir?

Je ne m’interdis rien. Pour l’instant je test des trucs, des prods…C’est très ouvert.

Quelle est ta manière de travailler justement?

C’est un peu particulier, avant j’écrivais sans instru en silence. Maintenant j’écris sur des faces B. Ce qu’on a fait pour GG Allin, c’est que je suis arrivé au Dojo avec la moitié de chaque texte rédigé, j’ai posé ces moitiés de morceaux sur des phases B et ensuite, avec Sheldon, on a reconstruit les intrus autour des a capellas. On est parti de mon rap, de mon flow pour construire l’ambiance autour. Je prends pleins de notes, je gratte ici ou là des idées, des mesures. Quand je finis par craquer sur une instru, je prends toutes ces pistes et du coup ça m’aide à écrire la suite du morceau.

Pour la suite, tu vas continuer de bosser avec le Dojo?

Oui toujours le Dojo et Vidji. La même équipe. Ce sont eux qui me donnent de la force ou des conseils dans les moments de doutes. Et Sheldon c’est celui qui m’aide à réaliser tout ça, à mettre en musique toutes les idées que j’ai. Je ne ferais rien sans eux.

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