Lors de la réouverture le 10 novembre dernier de l’Adidas Original Store situé rue des rosiers à Paris dans le Marais, nous avons pu rencontrer Gumo, artiste parisien sévissant à la fois sur mur, toile et peau depuis peu et avec qui Adidas a souhaité réaliser une collaboration. Nous avons donc évoqué ses premiers pas dans le graffiti, ses expériences avec les galeries d’art ainsi que sa nouvelle activité de tatoueur sans bien évidemment oublier de parler musique. Rencontre avec un grand nom encore sous-estimé de l’art français et qui est promis à un grand avenir. A suivre de très près.
The BackPackerz : Peux-tu nous parler de tes débuts dans le graff ?
Gumo : Quand j’avais 15-16 ans, j’avais un gros crew de graffiti à côté de chez moi qui s’appelle les P-19, dont je voyais le taff depuis que j’étais petit. J’ai donc un peu grandi avec eux plus les doubles pages de Radikal à l’époque, puis après comme beaucoup de mecs, je chopais un spray de peinture chez Leroy Merlin le week-end, un petit bout de mur… J’ai eu la chance de rencontrer des gens à mon collège qui graffaient et qui nous ont montré les terrains, nous ont emmené peindre. Je me souviens de mon pote Decap qui nous montrait à l’école des albums de photos argentiques des trains qu’il allait faire dans les pays de l’est. Il fait partie de ceux qui m’ont vraiment mis dedans.
Tu as graffé dès le début avec ton frère Thomas (a.k.a Abuz) ?
Alors oui et non. On a commencé en même temps nos premières peintures. Après mon frère était DJ et faisait un peu de son déjà et de la danse, les deux disciplines où j’ai zéro talent, alors autant j’adorais acheter des vinyles et scratcher dans son dos quand il n’était pas là, autant je n’ai pas du tout le feeling. Après ça fait maintenant cinq ans qu’il bosse chez Wrung. Tu connais l’équipe de la marque ce sont pour ainsi dire tous des graffeurs de la grosse génération parisienne donc du coup de fil en aiguille il a recommencé à peindre un petit peu et puis fatalement on s’est retrouvé, c’est cool on fait des combinaisons car moi je n’ai jamais été lettrages, ce n’est pas mon délire, je sais que c’est l’essence même du graffiti mais je n’ai jamais été fan du style wildstyle, 3D tout ça, ça ne m’intéresse pas trop. J’ai toujours été plus à l’aise avec les visages, le fait d’avoir à transcrire mes personnages, c’est plus mon truc. Donc après c’est devenu le rituel du dimanche matin, d’aller au terrain pas trop loin , d’aller se faire un mur avec les mecs de chez Wrung à Paris, un soir comme ça un peu de vandal, de terrain…
Tu as toujours eu le même blaze ?
Non j’en ai eu d’autres avant, quand j’ai commencé j’ai du en avoir une dizaine différents. Mais Gumo c’est arrivé au lycée, quand j’ai commencé à peindre, faire mes études à Paris, entre 1999 et 2005 où là je prenais le métro et le RER tous les jours, j’ai utilisé que ce blase là. Je me rappelle avec mon pote Dewad on se faisait beaucoup de bougies, de gravages de vitres tous les matins , on se retrouvait à la même station, on avait 4-5 stations en commun, on gravait les vitres des cages à poules. Après on s’est fait des cessions avec des potes, mon frère, le soir avec le dernier RER en allant en soirée à Paris, un peu à la « mouvance vandal parisienne ». Pour moi, ce sont des conneries de dire qu’il y a de la créativité là-dedans, c’est juste un besoin d’extérioriser de l’énergie. En plus j’ai commencé à faire pas mal de peintures en parallèle autre que le graffiti et du coup ça ne m’intéressait pas de changer de nom.
De quels crews as-tu été proche dans le graffiti?
Je n’ai pas vraiment été proche de crews pour être honnête. Les gars plus âgés avec qui j’ai évolué m’ont toujours dit de faire attention aux crews justement. Je ne suis pas trop collectif, j’aime bien peindre tout seul.
Ton passage à la peinture est intervenu à quel moment?
J’ai commencé le dessin et la peinture avant le graffiti et en fait c’est une continuité logique, mon travail sur toile a évolué avec le passage au graffiti et on peut dire que le graffiti m’a apporté une manière différente d’aborder la toile. Quand tu fais que de la toile tu n’as pas la même appréhension que quand tu fais aussi du mur car la dimension n’est pas la même. Du coup, je trouve que le passage de l’un à l’autre c’est comme le passage du graffiti au tatouage, à la peau, les supports sont différents mais en même temps il y’a quelque chose qui est assez similaire.
Comment as-tu vécu ton passage par les galeries d’art?
C’est un milieu assez chelou et ce ne sont pas forcément que de bons souvenirs. Ca m’a quand même permis de voyager, de pas mal exposer aux Etats-Unis, de rencontrer des mecs comme Crash là-bas, les mecs du Tats Crew, de rencontrer un mec qui a bossé des années avec Keith Haring, donc c’était quand même cool! J’ai fait en tout quatre expos à New York sur deux ans. C’est toujours intéressant de pouvoir montrer son travail à l’étranger, d’avoir le retour des gens. Après je ne vais pas te mentir, la culture est radicalement différente entre les USA et la France. Aux USA c’est plus vrai et franc: si les gens n’aiment pas, ils te le disent de suite, s’ils adorent c’est pareil ils seront cash. C’est beaucoup moins hypocrite et en demi-teinte qu’en France. Et puis New York c’est le berceau du Hip-Hop… Après les histoires de carottes de tunes de galleristes et tout ça, j’ai appris que c’était partout pareil, et pas que dans le street art, tous les artistes se font avoir au moins une fois. Le plus important c’est de peindre, rencontrer des gens, le reste…
Ton dessin a pas mal évolué, toujours autour du visage. Est-ce que tu identifierais des périodes dans ton art ?
Dans le graffiti je cherchais quelque chose de rapide à faire donc mes portraits je les faisais beaucoup en « one line », donc vraiment sans lever la main. Les portraits étaient alors beaucoup plus ronds, plus souples. Lors de ma dernière expo à New York, j’ai rencontré de gens au vernissage qui m’ont demandé si je faisais du tatouage car ils trouvaient que mes dessins faisaient très tatoos. En rentrant, j’y ai pas mal repensé, j’ai discuté avec des amis et tout le monde m’a convaincu de me mettre au tatouage. A partir du moment où j’ai commencé à pensé tatoo et donc dessin, car mon tatoueur m’a toujours dit qu’on peut faire de bon dessins mais le fait qu’ils soient réalisables sur la peau ensuite c’était une autre histoire. A ce moment là j’ai commencé à réfléchir à mes dessins. Avec la bombe, tu peux faire un « one line » sans lever la main, tu n’as pas besoin de recharger le spray. Le tatoo, tu es obligé de recharger en encre, donc ça perdait un peu son essence. Quand je vois aujourd’hui des tatoueurs qui disent je fais du « one line »… oui mais non en fait! Quand je faisais mes dessins, c’était inspiré des calligraphes japonais que tu vois avec les énormes pinceaux, les mecs peignent au sol, te font un truc one shot à la Picasso. Du coup je gribouillais et ayant toujours été influencé par Picasso et la mouvance cubiste, le futurisme italien, le brutalisme dans l’architecture, je me suis dis que peut-être quelque chose de beaucoup plus cassé, plus cubiste. J’ai fait un ou deux dessins comme ça un jour et je les ai posté. Tout de suite des gens me les ont demandé en tatoo et donc je me suis concentré partir de là une autre période.
Tes dessins sont très inspirés des loubards à l’ancienne…
Oui ce sont mes influences, mes références. J’en parlais avec Fuzi (tatoueur et membre du crew UV TPK) à ses débuts dans le tatouage, il venait de me tatouer chez un pote à lui à Stalingrad, on parlait de ça. Il me disait qu’il ne se voyait pas faire du polynésien, du tribal ou du maori. Ce n’est pas notre culture, nous venant du graffiti et d’un milieu urbain, c’est certain que nos références elles sont beaucoup plus urbaines. Moi le premier tatouage qui m’a fasciné, c’est dans le film Papillon que mon père nous avait montré à mon frère et moi. Steeve McQueen il a le papillon sur le torse. Aussi les tatouages des bagnes français, dont on ne parle jamais aussi car cela renvoie à un volet de l’histoire de la France qu’on veut taire, les tatouages russes aussi, sont pour moi très forts car graphiquement très sobres, et qui sont également très codés, qui racontent des histoires. Après la belle époque, les apaches à Paris, les loubards, les titi parisiens… Je ne vais pas dire que c’est une époque que je regrette de n’avoir connu mais c’est sur qu’en terme d’influence, d’imagerie, de look , pour moi c’est l’âge d’or de Paris. D’ailleurs on le voit bien au niveau des modes, ça redémarre à fond avec des marques comme Bleu de Paname… Ils s’inspirent clairement de cet âge, en reprenant les codes de cette époque sans les pervertir tout en amenant un savoir-faire français artisanal qui va avec cette époque.
Tu as déjà fait des collaborations avec des marques de fringues, notamment avec Wrung sur deux saisons. Quelles sont tes autres collaborations?
J’ai bossé avec le rappeur Swift Guad, ça fait quelques années qu’il m’appelle et qu’on bosse ensemble, j’ai fait la dernière mixtape qu’il a sorti, un modèle pour sa marque Vice et Vertu aussi. Après cette collaboration de ce jour avec Adidas, je ne vais pas te mentir, ça me fait grave kiffer. C’est une référence urbaine ultime.
En quoi à consisté ta collaboration avec Adidas ?
Les gars sont venus me chercher, m’ont expliqué que c’était pour l’ouverture du shop Adidas Original à Paris, Rue des Rosiers (Marais), le lancement d’un modèle particulier pour Paris aussi autour de l’événement. En collaboration avec eux j’ai donc produit cinq illustrations qui sont sorties sous formes de petits patchs, un peu comme pour les bikers, un truc un peu à l’ancienne. La production d’un visuel pour la vitrine à l’entrée, des visuels pour des stickers, des postcards pour l’édition limitée de la Tubular pour Paris, et la customisation des boîtes pour la paires de baskets.
Les gars d’Adidas essayent clairement de réorienter la marque sur des bases un peu street sans tomber dans les trucs un peu à la mode. Ce qui m’a fait plaisir dans cette collaboration c’est qu’à bientôt 37 ans, ça fait un bout de temps que tu es sur Paris et que tu fais des trucs et donc à un moment donné ça fait grave plaisir d’avoir un peu de reconnaissance des marques comme Adidas qui s’intéressent à ton travail et qui ne vont pas toujours vers les mêmes personnes. C’est pas de la jalousie, on est dans un mode où il y a ce qui fonctionne et ce qui plait. C’est comme dans le rap, c’est bien d’avoir un peu de PNL en ce moment. C’est des gars de chez nous, donc forcément on kiffe bien.
Tu as justement poussé un petit coup de gueule sur Facebook récemment sur le sujet en t’attaquant à ceux qui critiquent PNL…
Parce que ça me soule un peu l’espèce d’acharnement qu’il y a contre eux depuis la sortie du dernier album. Je trouve ça super injuste. Après il y a mon petit côté banlieusard qui me fait dire qu’à chaque fois qu’il y a des mecs de banlieue qui s’en sortent et qui font quelque chose de positif c’est mal vue. Ce n’est même pas une question de « j’aime ou j’aime pas », moi clairement le premier album j’ai pas accroché, j’ai pas compris l’esprit. Là musicalement parlant, je trouve à l’inverse que leur dernier projet est vraiment abouti, c’est beaucoup plus travaillé. Clairement je peux aller voir un concert de La Rumeur dans des bars comme à l’Olympia la dernière fois et écouter PNL dans la foulée, je n’ai pas l’impression de travestir le Hip-Hop. Les gars n’ont personne derrière eux, ils ont tout fait tout seul, ils contrôlent leur image, la seule interview qu’ils ont fait c’est pour The Fader, un des plus gros magazines américains. Quand j’entend les gens dirent que les paroles sont nazes, mais si tu t’amuses à traduire les paroles de Drake ou Kanye West c’est pareil. Mais le rap en France subit toujours les clichés. Quand je vois des mecs quand La Rumeur avec des masters en sciences politiques et qui ne sont toujours pas considérés commet tel, ça me rend ouf.
Ce que tu écoutes en ce moment en rap français ?
PNL, Lino et Furax.
Et en Rap US ?
Aaron Cohen et A$AP Rocky. Les deux sont d’ailleurs réunis sur cette photo, Gumo ayant réalisé ce motif pour une collection Wrung :
Il a aussi Conway, que j’ai découvert cette année grâce à une collaboration avec DJ Duke sur une cover d’un maxi à sortir. Rendez-vous en février pour la découvrir !
Retrouvez Gumo au salon Le Phylactère, 4 Bis Rue Heinrich, 92100 Boulogne-Billancourt et sur sa page Facebook dédiée au tatoo.
Crédits photos: Pascal Montary, Aimko, Gumo.
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