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GoldLink : « j’ai connu Kaytranada en lui volant un beat sur SoundCloud »

C’est dans sa chambre d’hôtel, tard dans la nuit et suite à sa superbe performance parisienne que nous avons enfin pu rencontrer GoldLink, celui que nous considérons comme nous vous présentions comme « le meilleur rappeur de 2020« . Celui qui vient tout juste d’annoncer un nouvel album intitulé At What Cost, pour le 24 mars, est revenu pour nous sur ses débuts, ses influences ou encore sa vision sur le futur du hip-hop.

The BackPackerz : On a vu pendant ton concert que tu brassais un nombre assez incroyable de genres musicaux différents. Comment as-tu pu absorber autant d’influences à la fois ?

GoldLink : J’ai écouté de la musique toute ma vie. Ma mère écoutait du gospel, mon père des classiques de RnB, mon frère du pur gangsta rap, et dans mon quartier on écoutait pas mal de go-go music (un style de funk apparu au milieu des années 70 dans la région de Washington, ndlr). Donc inconsciemment, je pense que j’ai été entouré par la musique toute ma vie. Au début, j’ai commencé à rapper juste pour être avec mes potes, parce qu’il n’y avait pas grand chose d’autre à faire, mais je n’étais pas plus motivé que ça par l’idée. Mais quand j’ai commencé, j’ai réalisé que cela venait naturellement, je suis devenu bon assez rapidement, probablement grâce à toutes ces influences, justement.

Tu travailles régulièrement avec Kaytranada. Peux-tu nous dire à quoi cela ressemble de bosser avec lui ?

Je le connais depuis environ trois, quatre ans. C’est vraiment un mélomane, il connait autant la musique américaine que moi, bien qu’il soit canadien. Il connait vraiment beaucoup de choses et je pense que c’est ce qui le rend si fort. Il a de bons goûts grâce à sa palette si large de musiques, de toutes les époques. C’est un mec très cool, il m’envoie régulièrement des beats, je rappe dessus, je lui renvoie et il trouve ça cool. C’est très simple, j’aime beaucoup bosser avec lui.

Où vous-êtes vous rencontrés ?

En fait ce qui est drôle est qu’à la base, je lui ai volé un de ses beats sur SoundCloud, j’ai posé dessus. Ce titre (« On&On ») a ensuite atterri sur le site Hypetrack, et son manager m’a contacté en mode « mais qui t’es putain ? », il était vénère. Plus tard, Kaytranada est venu à un de mes concerts à D.C., je l’ai rencontré et je lui ai dit « mec je m’excuse d’avoir volé un de tes beats » et il m’a gentiment répondu que ce n’était pas grave et qu’il avait vraiment kiffé ma version du morceau [rires].

En parlant de D.C., peux-tu nous parler un peu de la scène locale ?

La scène de D.C. est florissante, il y a beaucoup de jeunes talentueux. Après, il y a aussi une scène street hip-hop importante, et une autre plus arty, qui sont, dans un sens, en train de se rejoindre. Et si on arrive à atteindre cela, on pourrait devenir une scène vraiment puissante aux cotés de New-York, L.A ou Atlanta.

Tu parlais de SoundCloud tout à l’heure : en quoi cet outil a-t-il aidé ta carrière, et comment as-tu su transformer l’essai de SoundCloud jusqu’à remplir des salles de concert ?

Honnêtement, je ne sais pas comment j’ai réussi à devenir « gros » sur SoundCloud. J’étais juste là au bon moment je pense. J’étais sur SoundCloud avant que les gens ne sachent vraiment ce que c’était. J’étais là « bon je vais commencer à lâcher des trucs ici » alors que tout le monde me saoulait avec YouTube, Facebook, etc. Mais pour moi c’était du spamming et je leur répondais « nan je vais me concentrer sur ce truc ». Je pense donc que le fait qu’il n’y avait que sur cette plateforme que l’on pouvait me trouver à aider à concentrer l’audience, et il se trouve que ça a fini par marcher. Après, mon manager m’a dit « tous ces streams SoundCloud sont cool, mais on doit transformer cela en quelque chose de plus tangible », donc il m’a dit de faire ci et ça pour ne pas être seulement « le gars de SoundCloud ». Et le fait de tourner dans le monde entier m’a permis de vraiment exploser et de sortir de cette bulle virtuelle.

« Honnêtement, je ne sais pas comment j’ai réussi à devenir « gros » sur SoundCloud »

GoldLink en concert à la Bellevilloise (Crédits : Lexiou WesCudi)

 

SoundCloud, c’est aussi le paradis des remixes. Cela a-t-il un lien avec ton projet d’albums de remixes de And After That, We Didn’t Talk ?

Ca c’est une idée de génie de mon manager, pour le coup. Il se trouve que j’aime bien me « marketer » de manière différente des autres rappeurs. Et faire un album de remixes, c’est plutôt un truc de dance, donc il m’a dit « tu sais quoi on devrait prendre cette approche et voir ce que cela donne », tout ça pour l’été. Et j’étais là « wow c’est vraiment un bon plan stratégique ». Il s’agissait de remixes spécialement produits pour l’album, et non pas des leftovers du passé. On a contacté un tas de personnes, et tous les mecs qui sont sur cet album sont vraiment incroyables. D’ailleurs, je me suis souvent dit que je préférais le remix à l’originale…

En parlant de mecs talentueux, on est obligé de parler de Soulection. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta relation avec ce collectif ?

Ce sont des gars cools. On n’a plus la même relation qu’au début, où l’on était vraiment très proches. Maintenant, ils font leurs propres trucs, mais je respecte toujours ce qu’ils font.

Ton premier album And After That, We Didn’t Talk est sorti sur Soulection. Étais-tu satisfait de la manière dont ils ont géré la promo ?

(Hésitant) Ils ont fait du bon boulot. Ils ont fait ce qu’ils ont pu…

Il semble qu’un certain Rick Rubin ait également joué un rôle important dans ta carrière. Peux-tu nous en dire plus ?

Il a en effet joué un grand rôle. Ce n’était même pas au niveau musical, et c’est là que j’ai compris pourquoi autant de jeunes se dirigeaient vers lui. Quand tu es un jeune artiste, encore plus quand tu connais le succès relativement vite, cela devient compliqué à gérer. Tu ne sais pas vraiment quoi faire car tout le monde te parle. Donc Rick Rubin m’a permis de me re-concentrer sur les choses qui étaient les plus importantes pour moi, avant que tout cela ne devienne complètement hors de contrôle.

GoldLink et Rick Rubin

 

Par exemple ?

Par exemple, tu peux te dire « j’ai envie de faire de la mode, j’ai envie de faire ci et ça » et Rick va te dire « ok, peut-être que tu devrais d’abord te concentrer sur la musique », et c’est ce que j’ai recommencé à faire. Après cela, j’avais juste envie de me concentrer sur mon art et créer la meilleure musique possible, et voir le reste plus tard. Donc Rick m’a beaucoup aidé à choisir les bonnes directions à prendre.

« Rick Rubin m’a permis de me re-concentrer sur les choses qui étaient les plus importantes pour moi »

 

On sait que tu étudies vraiment le hip-hop et la musique en général, et que tu essaies de repérer les futures tendances avant qu’elles n’explosent. Comment t’y prends tu et comment vois-tu l’avenir ?

C’est vrai que dans un sens, je suis un peu un nerd de musique. Je suis revenu très loin dans l’Histoire de la musique (pas que hip-hop), et ce que je peux dire c’est que, comme dans beaucoup d’autres domaine, l’Histoire se répète. Tous les 5-10 ans, le son change. Et je crois que nous avons atteint un point où tout est en train de changer. C’est comme quand le gangsta rap était vraiment énorme, et cette ère a fini par mourir, avec pour dernier survivant 50 Cent. Puis Kanye est arrivé, et a « donné naissance » à Drake, Kid Cudi, Wiz Khalifa, Wale… puis ce style a commencé à décliner, le seul survivant étant Bryson Tiller, et ainsi de suite.

Avant, Kaytranada faisait des concerts pour 500 dollars. Deux ans plus tard, il se faisait 2 millions en un été. Quelque chose est en train de se passer. La même chose pour Anderson .Paak, qui a explosé l’an dernier et qui mérite tout ce qui lui arrive, mais peu de gens savent qu’il est dans le game depuis déjà 10 piges, mais tout est une question de timing. Mais probablement que dans deux ans, on aura de nouvelles stars, complètement différentes.

Penses-tu qu’on peut aujourd’hui être rappeur sans savoir chanter ?

Oui, tu peux. Si tu es un rappeur extraordinaire bien sûr, mais les gens n’en ont plus rien à faire, parce que tu dois être un artiste incroyablement talentueux. Je pense par exemple à Masego, qui est selon moi l’un des gars les plus talentueux sur Terre : il sait jouer du piano, scatter, chanter, rapper, jouer de la trompette, de la batterie… et c’est ce qui le rend si intéressant. Les gens ont besoin de plus que juste « bien rapper ».

As-tu l’impression de repousser les frontières du hip-hop ?

Clairement, à 100% ! Je pense que j’ai été le premier à vraiment mélanger les genres. Je pense que personne n’aurait eu les couilles de lâcher comme moi du gros Nirvana en plein milieu d’un concert de rap. Qui fait ça ? Est-ce que vous imaginez Jadakiss monter sur scène et lâcher du Nirvana ? Mais depuis que je le fais, tout le monde le fait. On repousse en effet les frontières du hip-hop toujours plus loin avec tellement d’éléments différents, et tout cela vient du fait que je n’ai jamais accepté d’être rangé dans une case précise, dès le début. A partir de là, on peut aller où on veut.

On aimerait revenir sur deux morceaux en particulier : sur « New Black », tu parles des choses qui changent et des mensonges dans le rap, et sur « When I Die », tu fais quelque chose de vraiment différent de tout le reste. Peux-tu nous parler de ces deux tracks ?

J’ai fait la chanson « New Black » parce que je suis de DC et j’ai vu certaines choses. J’ai des potes qui ont risqué la peine de mort ou ont pris 150 ans de prison pour meurtre, d’autres qui ont pris 10 ans pour vol, etc… Quand tu as connu ça, tu ne peux pas envisager de glorifier ce genre d’actions. Ou bien si tu le fais, il faut raconter la totalité de l’histoire : « il a tué quelqu’un… mais il a aussi pris 150 ans de prison derrière ». Même les gars les plus durs que je connais te diront que « il n’y rien de cool dans le crime ».

Quant à « When I Die », je l’ai écrite très jeune, et j’avais juste envie de parler de choses dont les autres ne parlent pas. Et j’avais l’impression que beaucoup de gens avaient peur de la mort.

Revenons maintenant sur l’album The God Complex, qui nous avait vraiment impressionné. Peux-tu revenir sur son « making of » ? Comment as-tu par exemple choisi les prods, qui sont vraiment folles au passage ?

Haha merci ! C’est simple, je choisis toujours ce qui me procure des émotions. Je ne choisis pas les meilleurs beats, je choisis les meilleurs beats pour moi. Quand un beat me fait ressentir des choses à chaque fois que je l’écoute, c’est celui-là que je vais choisir.

T’impliques-tu dans la création des prods ?

Pas vraiment. J’arrange certaines choses, mais avec un gars comme Louie Lastic (ndlr, un des producteurs avec lesquels GoldLink a le plus travaillé jusqu’alors, ndlr), j’ai toute confiance. Il m’envoie ses beats, je pose dessus et voilà.

GoldLink en concert à Paris (Crédits : Lexiou WesCudi)

 

En 2015, tu faisais partie de la fameuse XXL Freshman Class. Cela a-t-il été de la bonne publicité pour toi ?

En réalité, je voulais pas y être. Je n’ai jamais compris ce qu’il y avait de si important dans ce truc, et cela ne m’a vraiment pas aidé plus que ça. Je ne voulais pas être associé avec tous ces mecs, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Ce n’est pas vraiment une « classe », ce sont juste des gens assis les uns à côté des autres dans une pièce, qui ne se connaissent pas et sont gênés d’être là. Ça craint. Tu vas là-bas et tous les gens s’assoient loin des autres, sans se parler. [rires]

« [Les XXL Freshman…] ce sont juste des gens assis les uns à côté des autres dans une pièce, qui ne se connaissent pas…

Découvrez GoldLink en 10 morceaux

Crédit photos : Yinnyang.co.uk (cover) et Lexiou WesCudi.

Hugo Ferrandis

Préfère les obscures vidéos YouTube de studio et making of d'albums aux séries Netflix. Attend désespérément un album solo d'André 3000.

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