Féfé, à la conquête des cieux, armé de son nouvel « Hélicoptère »
À l’occasion de la sortie de son nouvel album Hélicoptère, cinq ans après le précédent, Féfé nous a accordé une interview pour revenir en détails sur les coulisses de cet album. L’ancien membre du Saïan Supa Crew y fait preuve d’une grande créativité pour proposer un disque fidèle à lui-même.
Dès l’introduction du projet, le ton est donné. On y retrouve un rythme effréné accompagné de plusieurs hauteurs de voix différentes comme s’il y avait une volonté de toujours surprendre les auditeurs et les auditrices; de le tenir en haleine d’une certaine manière. C’est un ADN que tu as toujours eu dans ta musique dès le Saïan Supa Crew. D’où vient cette marque de fabrique ? De quelles influences ?
Ça vient de plusieurs choses. Tout d’abord, ça vient de mes premiers amours dans le rap. À l’époque j’aimais beaucoup Busta Rhymes et d’ailleurs c’était un peu un peu grillé dans le Saïan.
Puis, ça vient aussi du fait que quand j’ai commencé le rap en tant que MC. MC, c’est littéralement master en cérémonie, c’est-à-dire qu’on allait en soirée pour chauffer les gens et réussir à les faire se lever. Et c’est là où j’ai découvert que je pouvais jouer avec ma voix et l’utiliser comme un atout.
J’avais notamment un DJ qui était avec moi, qui s’appelait Francko TH6 et avant le Saïan j’avais une sorte de petit collectif (OFX en l’occurrence). On faisait des petites soirées comme on ne pouvait pas rentrer en boîte. Là, on a organisé nos propres soirées et un jour où c’était un peu mou, il m’a dit : “Vas-y, prends le micro et fais le fou”. Donc j’ai commencé comme ça et j’ai vu qu’il y avait moyen de chauffer les gens, d’aller les rendre dingue en jouant avec les tonalités.
Donc tu lui accordes encore aujourd’hui une place centrale dans ta manière de concevoir un morceau ?
J’y pense même pas en fait. C’est devenu instinctif à tel point que ça fait partie de moi aujourd’hui. Pour autant, ça ne veut pas dire que je le fais systématiquement mais il y a des fois où j’ai envie de retrouver un peu cette gouaille parce que je sais que c’est une énergie dont j’ai besoin, d’autant plus que c’est un gros point positif pour les concerts et la scène qui est toujours omniprésente dans ma conception d’un album.
Néanmoins, j’ai aussi envie de parfois m’en écarter parce que ça fait vingt-cinq ans que je fais ça. D’autant plus que je n’aime pas rester dans ma zone de confort.
Que représente l’hélicoptère pour toi ? Pourquoi avoir appelé ton projet comme ça ?
Parce que : “si le game est une course, j’arrive en hélicoptère” (extrait de l’introduction du projet). C’est vraiment aussi simple que ça mais c’est clair que ça peut vouloir dire beaucoup de choses. Déjà, ça peut vouloir dire que je prends de la hauteur par rapport au game, dans lequel j’ai toujours été mais d’une manière un peu atypique.
On peut le voir facilement avec mon premier crew. Saian Supa Crew n’avait rien à voir avec tout ce qui se faisait à l’époque et on était déjà seuls dans notre partie de l’atmosphère rap français quelque part.
Parallèlement, c’est aussi ce qui se passe dans ma tête. J’ai toujours été un peu en train de planer, à zoner dans mon petit nuage. Donc, je développe ma proposition artistique et j’invite tout le monde à rentrer dans cet hélicoptère.
D’emblée on sent une omniprésence des instruments, qui fait de l’album un produit assez original par rapport à ce qu’on peut voir aujourd’hui dans le rap français. Comment as-tu travaillé les instrumentales ? As-tu invité des musiciens ou des musiciennes au studio ?
Pour commencer, je produis la plupart de mes sons. Et quand je compose, je commence toujours à la guitare. Je sais que ça n’a rien à voir. À la fin du Saïan, quand j’ai commencé ma carrière solo, j’avais un pote qui m’avait passé une guitare. C’est là que j’ai appris à jouer parce qu’à la guitare, tu peux toujours trouver des accords qui ont une valeur de test. Avec le temps, j’ai réalisé que si j’arrivais à raconter l’histoire guitare-voix tout en me tenant intéressé, c’est que c’était bon parce qu’il n’y a pas de chichi, il n’y a pas de rythme et il n’y a pas d’effet. Donc tu vois tout de suite si le texte ou les mélodies tiennent la route.
Après cette étape clé, je suis obligé de mettre un beat parce que je ne peux pas m’en empêcher. C’est de cette école là d’où je viens. Dans ce cadre, j’ai travaillé avec différents producteurs, dont Lazy flow qui m’a sorti de ma zone de confort. Parfois, on partait d’une instru que j’avais faite mais il ajoutait toujours des éléments qu’ils soient presque insignifiants comme un effet sur une basse ou plus importants.
Donc à chaque fois, sans porter atteinte au texte, il faisait partir les morceaux dans une autre galaxie. Par ailleurs, il y a aussi des musiciens talentueux qui sont venus comme Maxime Daoud, mais qui n’est pas cité, qui parfois va commencer à improviser des mélodies inspirantes.
Donc, mes morceaux sont la synthèse entre le travail que je fais en amont et ce que m’apportent les musiciens autour de moi avec lesquels on modifie la structure des morceaux pour arriver au produit final.
À cet égard, l’album est un condensé de nombreuses influences musicales extrêmement diversifiées (reggaeton, dancehall, afro, électro tout en restant rap). Qu’est ce que tu écoutes aujourd’hui ? Quelles sont désormais tes influences actuelles en termes de rap ?
J’ai énormément d’influences. Premièrement, j’ai des influences du passé qui sont tous les disques de mon père et mon père était déjà très éclectique dans ce qu’il écoutait. Il écoutait autant de la country que du Motown, de l’afrobeat de Fela Kuti (mes parents sont du Nigeria, donc forcément, j’ai baigné dedans) ou Nougaro. Donc partant de là, je n’écoute pas des styles mais plutôt des artistes. Quand j’écoute un artiste je ne me pose pas les questions de “C’est quel style? Est ce que ça coïncide avec ce que je veux incarner ?”
Dans le rap, mes influences se ressentent quand tu écoutes la musique que je fais : Kendrick Lamar, J Cole, Tyler the Creator dont j’ai trouvé le dernier album exceptionnel (Call me if you get Lost : the Estate sale) et que je trouve vraiment trop fort.
Pour le côté français, même si c’est paradoxalement déjà un peu vieux maintenant, parce que tout va tellement vite aujourd’hui, j’aime beaucoup Damso et Orelsan parce qu’il sait bien raconter les choses.
Depuis le début je trouve ça vraiment exceptionnel ce qu’il fait et notamment via une petite anecdote. Il était passé à mon studio en quête d’inspirations, quand je faisais un certain album. Dans ce contexte, on se faisait écouter des sons. C’est à ce moment là que je découvre le fameux “50 pourcents” et que je me dis qu’il est trop fort quand il dédie le troisième couplet à l’enfant. J’ai notamment retrouvé cette force sur “La petite marchande de porte-clés” plus tard et ça perdure encore aujourd’hui.
Justement, qu’est ce que t’as pensé du dernier album de Kendrick qui a divisé son public?
Certes, il a pu diviser, mais il y a quand même des sons qui m’ont fait péter un câble. Si, je comprends que ça divise, j’ai quand même adoré. Je n’ai pas besoin qu’il ne mette que des bangers. J’aime aussi qu’il me mette des trucs un peu plus anciens, même si c’est toujours revisité avec lui, ou des morceaux avec pleins d’instruments. Je trouve qu’encore aujourd’hui il demeure l’un des plus créatifs. Il fait évoluer sa recette à la limite où chaque morceau apporte de la nouveauté à sa discographie.
Donc, j’adore les mecs qui prennent des risques. Et puis ce n’est pas comme si c’était juste de la prise de risque pas maîtrisée. Il est très doué et rappe comme peu avant lui tout en écrivant super bien. Pour l’instant, selon moi, sa carrière est un sans faute.
Vis-à-vis de la conception de cet album, que représente le passage au studio d’être entouré d’un collectif comme le Saïan à devoir bosser tout seul ? Dans ces nouvelles conditions, comment as-tu appris à te réinventer 5 ans après l’album précédent, d’autant plus que c’était un album collectif avec Leeroy ?
Dès mon premier album, j’ai dû amorcer une mutation dans ma manière de concevoir la musique. Ayant commencé en groupe et étant devenu amoureux de cette énergie là, je ne pensais pas faire une carrière solo, d’autant plus que, dans le groupe où j’étais, les mecs étaient tellement forts que tout le monde s’en nourrissait. C’était incroyable. Donc passer en solo, ça a été de creuser en soi pour être plus authentique. Je fais avec ce que je vis, avec ce que je vois et ce que je ressens du moment.
Pour le coup, ce n’est pas tout le temps facile, parce que quand tu te jettes dans le bain, tu es tout seul. Tu ne sais pas si ce que tu fais, c’est complètement nul ou si c’est génial. Ainsi, j’ai commencé à prendre l’habitude, de réussir à me laisser pleinement aller à mes inspirations.
Par conséquent, mon processus de création est devenu quasi-continu. Je fais du son tous les jours et je les juge souvent 2 ou 3 mois plus tard. C’est grâce à ce processus qu’Hélicoptère a commencé à naître de 3 ou 4 bons morceaux que j’avais fait sur un coup de tête.
Dans quelle mesure, est-ce que tu arrivais à convertir ces inspirations en des textes riches sur deux ou trois couplets, alors que pendant longtemps, avec le Saïan, tu avais dû maîtriser le fait d’être hyper fort sur des temps très courts (8 ou 16 mesures) ?
C’est évident que c’est extrêmement différent. Dans le Saïan, on entendait une énergie débordante dans chaque couplet, où chaque flow était différent et où tous les mecs étaient très très forts. Donc c’est clair qu’on était animé par une idée de compétition où on devait réécrire notre couplet pour se mettre au niveau de celui qui venait de poser en cabine.
Tout seul ce n’était plus le même combat. Si je fais un morceau où pendant trois minutes, j’envoie dans tous les sens, tu vas le prendre sur le premier couplet et puis ça va rapidement s’essouffler.
Donc j’ai dû me poser pour définir ce qu’était mon nouveau combat. Est-ce que c’est essayer de bien raconter une histoire ou bien traiter un thème? Je sais qu’on aime bien me demander de ramener de la technicité, parce que c’était une marque de fabrique, mais aujourd’hui c’est quelque chose que j’ai fait et que je ne me vois plus faire sur tout un album. Pour autant, ça reste une arme que je peux sortir de temps en temps pour rappeler aux auditeurs le bon vieux temps.
Aujourd’hui, tu commences à faire preuve d’une longévité qui est assez rare dans le rap où on aime bien prôner le jeunisme à outrance. Pourtant quand on voit des Eminem, Dr. Dre et Snoop qui ont annoncé un album commun ou encore Akhenaton qui est omniprésent récemment, on peut se poser la question de la validité de cette théorie. Qu’est ce que tu en penses ?
Le rap a toujours été dans le jeunisme et le sera toujours parce que c’est sa nature. Pour autant, le rap n’a plus l’âge qu’il avait il y a trente ans. Donc, nous faisons partie des premiers grands pères du rap. Alors, que fait-on de cela? Évidemment, on pourrait se dire, ce n’est plus pour moi parce que je n’habite plus la cité et que le rap, ça ne doit parler que de ça. Personnellement, je le prends comme un petit défi. Pour moi, le rap, c’est un art et tant que j’aurai l’impression de savoir rapper et que j’aurais des choses à dire et que j’aimerais rapper, je rapperai.
Pour autant, il est clair qu’on a un travail à faire en France parce que les aînés sont beaucoup plus respectés aux States. Ce travail, il doit venir aussi bien des jeunes que des anciens qui doivent se faire respecter juste en essayant de sortir des bons projets qui restent novateurs. Je pourrais me contenter de faire du boom bap tout le temps, mais ce n’est pas ce que j’ai envie de montrer et ça ne correspond pas à l’évolution que j’ai envie de faire prendre à ma carrière. Il faudrait juste créer un écosystème français où on laisse évidemment la place aux jeunes parce que c’est leur moment, tout en respectant les anciens qui continuent de faire leur bonhomme de chemin.
Quel symbole représente la présence d’Akhenaton sur l’album, sur un morceau technique où vous revenez précisément sur ce décalage entre les générations et l’évolution du hiphop?
Sur le fait d’avoir Akhenaton, c’est un grand accomplissement. Parce qu’Akhenaton, c’est un de mes grands frères dans le rap avec lequel j’ai pu faire un bon morceau sur lequel on raconte notre génération avec beaucoup de bienveillance vis-à-vis de la nouveauté tout en pointant les différences. Si je ne me vois pas comme un ayatollah du rap qui devrait dicter aux gens ce qu’ils doivent écouter, ça ne veut pas dire que j’aime tout ce qui se fait chez les jeunes mais j’arrive toujours à tirer du positif chez certains artistes.
Sur l’album, il y a plusieurs morceaux qui ont des textes assez forts en termes de contenu. Je pense notamment à “Je pars de loin” sur lequel tu reviens avec recul sur ton arrivée en France et les difficultés à réussir dans un milieu pas toujours favorable à cette réussite. Quand on voit le quasi fatalisme de nombreux jeunes dans ces situations aujourd’hui qui sont persuadés qu’il est impossible d’y arriver, comment peut-on faire en sorte aujourd’hui de transmettre ce regard optimiste et ambitieux que tu portes à la fin du morceau aux jeunes qui vivent ces réalités difficiles?
En le faisant comme ça. Il est évident qu’il y a eu des désillusions tout au long de mon parcours et de l’évolution de ma famille, d’où ma phrase sur mes parents qui rêvaient de Tour Eiffel et qui sont arrivés dans la cité.
Mais malgré tout, je hoche la tête et je crois que je peux “décrocher la lune”. Le positivisme, ça se travaille, c’est du mental en fait. Si mentalement, tu te dis que tu ne vas pas y arriver, tu te mets tout seul des bâtons dans les roues.
Donc, j’ai envie de transmettre aux jeunes cette mentalité et ce notamment parce que j’ai la chance d’avoir beaucoup voyagé. En voyageant, on se rend compte que le monde est dur, que le monde ne fait de cadeaux à personne; encore moins dans d’autres pays que la France. Evidemment, quand je dis ça, ça ne signifie pas pour autant que la vie est facile ici mais il faut savoir toujours relever la tête, et se battre.
C’est un trait de personnalité que je dois beaucoup à ma mère qui m’a appris à ne pas être une victime. Lorsqu’on a failli se faire virer et qu’on était sur le point d’être à la rue, ma mère n’a pas bronché et a pris deux métiers en même temps. Donc, quand tu grandis avec des exemples comme ça, tu ne peux pas être tête baissée. Ainsi, j’essaie de transmettre dans ma musique cette énergie positive et créatrice.
Justement je trouve que cet optimisme dénote d’un morceau comme “Quelque part” dans lequel tu offres une interprétation ironique sur pleins de choses illogiques aussi bien concernant la société que sur tes propres erreurs. On sent même presque une perte d’espoir sur la fin du morceau au fil de ces désillusions qui s’accumulent. Aujourd’hui avec ton expérience, y a-t-il des combats que l’utopiste que tu dis être a appris à lâcher, quitte à laisser place à un certain fatalisme pour éviter d’être exaspéré?
Je ne peux pas les lâcher ces combats parce que sinon je déprimerai trop. Mais disons que je suis un peu plus réaliste. C’est surtout ça l’expérience?
Je suis devenu réaliste sur le fait que ce n’est pas moi qui vais changer le monde mais bien la participation collective de la société. J’ai compris que ça prendrait du temps et que je ne serais sûrement même pas là pour le voir. Pour autant, il faut quand même se battre.
D’ailleurs, un des partis pris de l’album était de ne pas enjoliver ces réalités décevantes dont il faut parler pour avancer. Je vois donc un peu ce morceau comme un condensé de cette vision qu’on a eu sur l’album, d’autant qu’il représente bien l’équilibre entre le désespoir total et une pointe de rêve et d’utopie. Sans rêve, les choses n’évolueront pas. Donc, malgré les déceptions, on en a toujours besoin.
Enfin, pour clôturer l’album, tu dévoiles une partie de toi sur laquelle tu ne t’étais encore que peu penchée en musique : la famille dans sa globalité et toutes les failles que ça peut représenter en toi. Comment est-ce qu’on fait pour se mettre à nu à ce point là au micro après ne pas l’avoir fait pendant longtemps ?
C’est une évolution qui n’est pas évidente mais qui était nécessaire pour moi. Avec le temps, j’ai appris à mieux me connaître au point de réussir à explorer des lieux en moi dont je n’avais même pas conscience. Avant cet album, j’ai connu une grosse dépression. En ce sens, cet album représentait un peu une thérapie.
Je n’avais jamais fait de dépression comme ça. Je ne connaissais pas ça, d’autant que d’habitude je suis toujours très énergique. Tout du long, je me disais “je ne sais pas si je vais me relever” et cet album, c’est la preuve que je me suis relevé. Le fait que je puisse écrire sur ces choses là démontre que je suis guéri.
Désormais, j’ai assez de distance pour pouvoir écrire dessus. Donc je me suis permis de me livrer pleinement. Bien que je n’aime pas trop ça, je me livrais en gardant en tête que ça pourrait aider d’autres personnes qui sont dans ce cas par quelques phrases qu’ils pourront s’approprier. En tout cas, moi, ça m’a fait beaucoup de bien.