Après leur avoir consacré un dossier en début d’année (EPMD, toujours dans le business), on a profité du passage des légendaires EPMD à Paris en juin dernier pour se poser 10 minutes avec ceux qui ont fait le son du groupe depuis plus de 25 ans : Erick Sermon et DJ Scratch.
En effet, c’est dans une passionnante interview chargée d’anecdotes et de révélations que 2 des 3 membres fondateurs du groupe de Long Island sont revenus pour nous sur des temps forts de leur carrière et leur vision du Hip-Hop actuel.
So watcha sayin’ !
The BackPackerz: EPMD est actif depuis 1987, ce qui fait de vous un des plus anciens groupes de Hip-Hop en activité, comment vivez-vous ce rôle de « vétérans du Hip-Hop » ?
DJ Scratch : C’est une bénédiction ! Le Hip-Hop a à peine 45 ans, c’est encore un genre assez jeune mais c’est bien le plus important courant musical au monde aujourd’hui. Vu que la tendance est plus de sortir un disque (voire un single) et puis plus rien on se sent vraiment privilégiés d’avoir pu avoir une carrière aussi longue.
Erick Sermon : Le Hip-Hop n’est plus une simple mode désormais, il est ici pour durer, au même titre que le rock. Et si Mick Jagger ou Bruce Springsteen peuvent continuer à jouer à 80 ans, on sera les Rolling Stones du rap car il n’y a aucune raison qu’on ne soit pas capable de déchirer autant qu’eux après 27 ans de carrière car le Hip-Hop est désormais un style de musique avec son histoire, ses classiques. D’ailleurs il n’y a que dans le rap qu’on parle de « old school », on ne dirait pas ça de Paul McCartney ou Rod Stewart, ils sont des artistes rock, pas des artistes rock old school !
Votre premier album (Strictly Business, 1988) est construit sur une utilisation massive du sample. Comment avez-vous réagi quand certains producteurs de rap ont commencé à être attaqués pour l’utilisation de samples (ndlr: référence au procès de De La Soul par les Turtles en 1989 / 1990) ?
ES : Tu sais, Prince Paul est mon voisin (ndlr : producteur du premier album de De La Soul 3 Feet High and Rising), et je lui ai demandé: « Prince, qu’est-ce qui t’as fait sampler Parliament ? ». Il m’a répondu que c’est justement parce que tout le monde à NYC samplait James Brown et que lui, depuis son quartier de Long Island, il avait eu l’idée de sampler Parliament et George Clinton comme le faisaient les producteurs de la Côte Ouest. C’est pour ça qu’on retrouve Parliament sur « Me, Myself and I » de De La Soul.
De notre côté, on a eu de la chance car notre label Def Jam comprenait ce qu’était le sampling. Ils savaient que c’était nécessaire au Hip-Hop et que les procès ne devaient pas arrêter le process du sampling donc ils clearaient tout ce qu’on samplait. Il y avait ce mec Ian Allen, il n’en avait rien à foutre, dès qu’on lui filait un morceau, il clearait tous les samples. Il bosse toujours chez Def Jam d’ailleurs.
Dans le titre « Crossover » (sur l’album Business Never Personal, 1992), vous vous foutiez pas mal des rappeurs qui travestissaient un peu le Hip-Hop pour empiéter sur d’autres genres (la pop notamment). Aujourd’hui, le Hip-Hop a déteint sur presque tous les genres de musiques actuelles, maintenez-vous votre constat ?
ES : Quand on a écrit « Crossover« , on n’était pas en colère contre ce qui se passait. C’était plutôt une critique des médias qui collaient l’étiquette « Hip-Hop » à tout ce qu’ils trouvaient. Ils mettaient dans le même sac des trucs super commerciaux et EPMD, le Hit-Squat, nos potes Rakim, Biz Markie Kool G Rap and Polo etc… Ils ne font pas la même chose que nous donc ne nous mèle pas à eux !
Il y a toujours eu un « Hip-Hop pop ». Dans les années 90, c’est celui qui passait à la TV et sur les radios commerciales en prime time, nous on était jamais diffusé avant 22h (rires).
En parlant, du Hit Squad (ndlr : collectif créée par EPMD et composé de Redman, Keith Murray, Das EFX et K-Solo), comment faisiez-vous pour repérer tous ces nouveaux talents ? Est-ce que quelque chose que vous continuez à faire aujourd’hui ?
DJS : Ouais, il y a vraiment beaucoup de talents dans la scène actuelle. C’est juste que les meilleurs artistes ne passent pas à la radio comme avant. La différence, c’est qu’aujourd’hui, certains artistes ont peur d’aider un mec qui pourrait au final être meilleur qu’eux. C’est une histoire d’ego, une notion super présente dans le milieu Hip-Hop. Quand on faisait le Hit Squad, on a jamais eu peur d’intégrer un artiste qui était aussi bon que nous parce que c’est ça le Hip-Hop, la compétition: te confronter à des mecs plus forts que toi.
ES : J’ajouterais qu’à l’époque, les artistes écoutaient beaucoup plus que maintenant. Scratch a produit pour Busta Rhymes, qui est vite devenu une superstar. Ca n’empêche pas que, quand Scratch donnait à Busta quelques conseils pour retoucher une prod, il l’a toujours écouté. Aujourd’hui, les jeunes artistes ont du mal à écouter les conseils qu’on leur donne. Je le vois quand je produis, certains vont me dire: « C’est cool, mais c’est pas ça comme ça que Drake fait… »
DJS : Je crois que beaucoup de ces artistes indépendants ont tendance à ne plus écouter personne car il y a beaucoup trop d’exemples de mecs qui ont réussi sans aucun talent, sans travail. Les mecs pensent qu’en faisant juste un beat à la va-vite sur leur ordi à la manière d’un Soulja Boy (qui est un mec brillant) ils vont être le prochain Soulja Boy, mais la vie n’est pas un compte de fée.
ES : Mais ça a quand même marché pour pas mal de monde ! Soulja Boy a ouvert la route à pas mal d’autres artistes après lui.
Est-ce qu’il y a des mecs pour qui vous aimeriez produire aujourd’hui ?
ES : Mon seul regret en termes de production c’est avec Nas. J’étais avec lui dans le studio quand il enregistrait Illmatic. Je ne le prenais pas au sérieux parce que j’avais déjà des rappeurs comme Redman, ou Das EFX. Moi je ne le connaissais pas mais quand j’ai vu qu’il kickait vraiment comme un malade j’ai regretté de l’avoir zappé…
DJS : Moi j’ai fait un son pour Nas pour l’album de Cassidy, le morceau s’appelait « Can’t Fade Me« . Mais j’aimerais avoir l’opportunité de re-bosser avec lui et avec Eminem aussi.
Vous qui êtes tous les deux producteurs, que pensez-vous de la tendance actuelle des productions hip-hop « organiques » comme celle d’Adrian Younge ?
DJS : Ce mec a une approche hyper intéressante mais honnêtement, rejouer ses samples et sampler sa propre musique c’est ce que font tous les producteurs de Hip-Hop depuis des années.
ES : Ouais, ça m’ait souvent arrivé de jouer quelques accords de piano et de les sampler pour que ça sonne comme un sample, car c’est ça le son Hip-Hop. Il faut que ça sonne comme un sample ! En tout cas le mec est hyper fort dans ce style.
Enfin quels sont vos futurs projets ?
ES : Pour l’instant on est en tournée mais on a pas mal de projets à venir: Redman et Method Man, l’album de Scratch ne va pas tarder à sortir et aussi Exinction Level Event II, le prochain album de Busta Rhymes annoncé il y a quelques semaines…
Remerciements : Erick Sermon, DJ Scratch, Elsa (Cartel Concert) et Emmanuel (Milesfender).
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