Nous avons profité de sa venue à Paris pour un showcase à la soirée THANK YOU JAY DEE pour aller poser quelques questions à Elzhi, le rappeur de Detroit, ex-membre de Slum Village et auteur du classique underground The Preface que nous avions retenu dans notre sélection des 100 meilleurs albums de rap US des années 2000.
A quelques semaines de la sortie de son (tant espéré) album, Elzhi nous a livré de précieuses informations sur ce dernier mais s’est également confié sur son passage à vide depuis 2011 et les raisons qui ont retardé ce nouvel album.
Rappeur surdoué souvent comparé à Nas pour sa maitrise d’un rap très « cinématique », Elzhi est de ces emcees qui ont à coeur d’élever le niveau en prodiguant textes et instrus d’une qualité et d’une originalité qui deviennent de plus en plus rares dans un rap game qui a tendance à privilégier la quantité à la qualité. Une approche éthique et perfectionniste que le rappeur partage avec d’autres grands noms de Detroit, ces modèles J Dilla et Eminem.
TBPZ : Quelle serait ta principale influence, musicalement parlant ?
Elzhi : Il y a pas mal de choses qui m’influencent mais sur le plan musical, je dirais principalement J Dilla, Nas, Slick Rick mais aussi George Clinton ou encore Bob Marley. Du point de vue cinématographique Chris Nolan, David Fincher, Tim Burton, Quentin Tarantino, Michel Gondry, tous ces maitres du story-telling m’influencent énormément. En fait tout ce que je considère se rapprocher de la perfection m’inspire. Si je m’assied à la table d’un restaurant 5 étoiles et que j’y mange le meilleur faux-filet de ma vie, c’est le genre de choses qui me donne envie d’écrire quelque chose de grand car j’ai pu côtoyer la grandeur.
Quels furent tes premiers contacts avec le Hip-Hop, comment as-tu commencé à rapper ?
En grandissant à Detroit, j’ai vite entendu des classiques comme « Planet Rock » (titre majeur d’Afrika Bambaataa, NDLR), « I ain’t no Joke » (extrait du classique Paid in Full d’Eric B. & Rakim en 1987, NDLR). Mais ce qui m’a vraiment mis le pied à l’étrier c’est mon cousin Chris Bud – qu’il repose en paix car il nous a quitté l’année dernière. Chris Bud, c’était le grand du quartier, le mec que tous les gamins adoraient et respectaient parce qu’il avait de l’argent, la belle caisse, les belles nanas…et surtout il rappait. Ses mixtapes circulaient pas mal dans le quartier et moi, étant gamin, j’étais énormément influencé par sa musique. Je me retrouvais donc à rapper ses textes sur le porche de ma maison pour mes potes et mes cousins. Voilà comment ça a commencé pour moi.
Tu parles de J Dilla comme une de tes influences, ce soir tu as été invité pour rendre hommage à cet homme dans le cadre de la soirée THANK YOU JAY DEE. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
C’est vraiment un plaisir ! Non seulement parce que c’est un honneur de venir jouer tous ces morceaux que j’ai eu la chance de créer avec J Dilla, à Paris ce soir mais c’est aussi un putain de plaisir de voir à quel point Jay Dee est toujours aussi célébré par ses fans partout dans le monde. J’ai vu des portraits, des graffitis et tout un tas d’hommages à Jay Dee un peu partout dans le monde. En France, en Allemagne au Japon, à Chicago, Miami, c’est comme si la popularité de Jay n’avait jamais cessé de croitre, comme un champignon atomique qui aurait des retombées pendant des décennies… Et tout le monde s’y met de Rick Ross à Pusha T qui en parle sur le premier morceau de son dernier album (« The only great I ain’t made better was J. Dilla » clame King Push sur l’intro de son dernier album Darkest Before Dawn, NDLR).
A quoi cela ressemblait de bosser avec Jay Dee ?
Dilla était un mec très tranquille ! On fumait pas mal mais il y avait toujours un caractère un peu magique dans son travail parce que je le voyais parfois rentré complètement en feu… Je le voyais devant sa MPC, il tapait une drumline puis il s’arrêtait pour réfléchir… Il avait l’air de chercher, parmi les milliers de disques qu’il avait, un son qui collerait parfaitement à ce qu’il était en train de faire. Et il ne fallait généralement pas plus d’une minute pour qu’il aille fouiller dans une pile pour trouver le disque qu’il avait sélectionné dans sa tête. Il mettait le disque sur la platine et plaçait quasi systématiquement le diamant pile à l’endroit du truc qu’il voulait sampler ! Il s’est passé cinq minutes et le mec a créé un beat qui vivra pour l’éternité (rires)…
Et Dilla fut, en quelque sorte, la personne qui t’a mis sur le devant de la scène avec le morceau « Come Get It » sur le classique Welcome To Detroit ? Quelle est l’histoire de cette première collaboration ?
Dilla et moi nous sommes rencontrés pour la première fois chez le légendaire disquaire de la 7 Mile, The Hip-Hop Shop, qui était un magasin de street wear la semaine et un open mic le samedi. Il me connaissait donc comme un des jeunes qui allait rapper là-bas. J’étais d’ailleurs le plus jeune parmi toute la scène de l’époque qui comptait Eminem, Bareda, Phat Kat, Guilty et tous les autres. A cette époque T3 était mon manager et j’imagine que Jay s’est rapproché de lui pour proposer que je sois sur le morceau « Come Get It« . C’était la première fois que je me faisais payer pour un disque : 1000 dollars pour enregistrer ma voix sur un morceau ! C’était incroyable pour moi d’être payé pour faire un truc que j’adorais et Jay Dee a été le premier à me donner cette opportunité. Tu sais ces sweats « J Dilla changed my life », je devrais vraiment en porter un tous les jours (rires).
Quelques temps après « Come Get It« , tu sortais une poignée de super mixtapes (Witness My Growth, Europass, Out of Focus) en collaborant notamment avec DJ House Shoes. Un mec qui est très peu connu ici en Europe alors qu’il semble être une vraie légende à Detroit ?
Je ne suis pas trop étonné qu’il ne soit pas très connu. Je crois que c’est pareil pour tout le monde, si tu ne sors pas de la musique régulièrement, que tu ne te fais pas entendre ou que tu n’as pas quelque chose à mettre dans les oreilles des gens…ils t’oublient. Je pense que House Shoes devrait sortir plus de choses pour que son talent soit davantage reconnu…et c’est la même chose pour moi. Je suis le premier à dire que je ne sors pas assez de choses mais je sors un nouvel album très bientôt. Et j’ai des raisons pour lesquelles je n’ai pas sorti beaucoup de musique ces dernières années… En tout cas, ce que je retiens c’est que, plutôt que s’attarder sur le fait que trop peu de personnes me connaissent, c’est bien plus excitant de voir cela comme une super opportunité puisque je peux devenir le nouvel « artiste préféré » de quelqu’un qui ne me connait pas encore. C’est ça qui me donne envie de me lever et de faire de la musique en ce moment.
Et, tu peux nous en dire plus sur ces raisons qui nous ont privé de ta musique depuis quelques années ?
Et bien ces dernières années, j’étais un peu dans le brouillard. Comme si un nuage de mauvaises idées et de doutes était systématiquement au-dessus de ma tête et m’empêchait de créer. Tout ce que j’écrivais, toutes les prods que je choisissais de kicker, rien ne me plaisait, je faisais un blocage. Il faut que je te dise un truc, pour ce qui est de la technique et de la manière dont je crée ma musique, j’ai été un peu coulé dans le même moule que J Dilla ou Eminem. Je vais te donner un exemple. Avec J Dilla, il y avait toujours deux manières d’écouter sa musique : soit tu es impliqué dans la musique et donc intéressé par la technique (comme toi et moi), soit tu veux juste kiffer le groove et bouger au rythme du son. Dans le premier cas, si tu es, par exemple un producteur, tu vas analyser comment Dilla a découpé et utilisé le sample etc, c’est le côté technique de la musique qui permet d’aller plus loin que le simple groove que tu pourrais ressentir dans le second cas où tu te mets juste en pilote automatique et kiffe simplement la musique. C’est la même chose avec la musique d’Eminem et c’est ce « double usage » que je veux absolument donner à ma musique. Ces dernières années, je ne parvenais pas à obtenir le son que je voulais, la couleur que je souhaitais donner à ma musique. C’était pareil pour mes textes, je pouvais écrire des tonnes de choses mais rien ne sonnait comme ce que je voulais, à cause de ce nuage de doutes que j’avais au dessus de la tête. C’est la raison pour laquelle je n’ai quasiment rien sorti depuis 2011 (date de la sortie de son dernier album, Elmatic.)
Et même si certaines personnes ont pu aimer les quelques morceaux que j’ai sorti ces dernières années, moi je ne les aime pas… Je suis un perfectionniste et je sais quand je ne suis pas à mon meilleur niveau, c’était le cas ces dernières années et j’ai préféré repousser la sortie de mon album plutôt que donner à mes fans un album qui ne me plaisait pas à 100%. On ne déconne pas avec la qualité de la musique !
Tu parlais toute à l’heure de difficultés à trouver le son que tu recherchais. J’ai l’impression que tu avais trouvé l’alchimie parfaite avec Black Milk qui avait produit la quasi-intégralité de ton album The Preface (2008). Prévois-tu de retravailler avec lui dans le futur ?
Black Milk n’est pas sur mon nouvel album mais ce n’est pas exclu que lui et moi re-travaillons ensemble à l’avenir. Pour ce nouvel album, qui s’appelle Lead Poison, j’ai choisi de bosser avec des mecs comme Karriem Riggins, 14KT, Oh No mais aussi de nouveaux producteurs moins connus comme BomBay (qui a produit pour Blu sur son dernier projet Good To Be Home, NDLR), Quelle Chris ou encore Joself. Je tenais avant tout à bosser avec des gars passionnés, des mecs qui croient en ce qu’ils font et qui gravitaient déjà autour de moi. Le titre de l’album, « Lead Poison » (en français le saturnisme, maladie correspondant à une intoxication aiguë ou chronique par le plomb) est un jeu de mot sur le fait que toutes ces petites choses qui te tracassent au quotidien peuvent vraiment finir par empoisonner ton esprit. Qui que tu sois, c’est important que tu trouves ton exutoire, cette activité qui te permet de transformer toute cette énergie négative en quelque chose de positif. Pour moi, c’est l’écriture et j’ai appris à transformer ce poison en médicament avec les années. C’est autour de ce thème que tourne ce nouvel album qui sortira en mars et dont vous pourrez bientôt retrouver quelques extraits sur The BackPackerz (rires)!
Il s’agit donc bien de l’album qui a été financé par la campagne Kickstarter ? Celle-ci a généré pas mal de frustration parmi tes fans puisque l’album mettait beaucoup de temps à sortir…
Oui, je comprends tout à fait cette frustration. Mais comme je le disais, c’était pour moi inconcevable d’offrir à mes fans – qui avaient en plus directement participé au financement de l’album – un projet qui ne soit pas de la qualité que j’ambitionne pour ma musique. Je préfèrerais largement prendre le temps d’élaborer un album d’excellente qualité, quitte à subir les foudres de ceux qui attendaient cet album, plutôt que de prendre le risque de sortir un album en demi-teinte. Et je voudrais aussi préciser que je suis très sensible à toute cette frustration qui a pu être générée par cette longue attente. Je comprends tout à fait que les gens voulaient avoir de mes nouvelles. Ce qu’on a tout de même essayé de faire avec des vidéos promo et quelques morceaux comme « P.S » ou mais, pour être honnête avec toi, je trouvais que ces trucs étaient pourris ! Je n’étais vraiment pas à l’aise avec ça mais il fallait tout de même que je montre que quelque chose était en cours de création. Maintenant, j’espère juste que quand ces gens écouteront mon album, ils comprendront pourquoi il a mis aussi longtemps à sortir… car toutes ces choses sont expliquées en détail dans l’album.
Je voulais revenir un instant sur ton précédent album, Elmatic. Il faut du culot pour ré-interpréter ce que la plupart considère comme le plus grand album de rap de tous les temps . Comment t’est venue cette idée ?
Honnêtement, l’idée n’est pas de moi mais de House Shoes, dont tu parlais toute à l’heure. House Shoes me racontait comment à l’époque où je faisais tous les open mic de Detroit, beaucoup me comparaient à Nas, dans ma manière d’écrire très portée sur le story telling ou encore le timbre de ma voix. Il vient donc me voir et me parle de cette idée de faire une mixtape sur le jeu de mot « Elmatic » mélange de Elzhi et Illmatic. Je trouvais le concept assez malin et j’ai eu envie de pousser l’idée un peu plus loin en faisant rejouer les prods d’Illmatic par de vrais instruments. Je me suis donc rapproché des mecs de Will Sessions qui ont fait un boulot monstre pour arriver à ce son hybride que j’affectionne tout particulièrement.
Tu sais ce que Nas a pensé de cet album ?
Nas ne s’est jamais exprimé publiquement sur Elmatic mais un mec que j’avais rencontré en backstage d’un de mes concerts en Australie m’avait expliqué qu’il avait un jour demandé à Nas s’il y avait un rappeur qu’il suivait particulièrement à ce moment là et Nas avait mentionné mon nom. Reste maintenant à savoir si ce mec disait vrai mais si c’est le cas, ce serait un honneur…
Pour revenir à ce son « hybride » créé par Will Sessions, ce retour à un Hip-Hop organique semble être une tendance forte ces derniers temps avec les projets de Ghostface et Badbadnotgood ou encore avec la démarche d’Adrian Younge. Toi qui fut un des premiers à t’essayer à ce type de son, que penses-tu de cette tendance ?
J’ai toujours eu pour objectif de tester de nouvelles choses à chaque projet. Ceci étant dit, je suis tout ce que fait Adrian Younge de très près, j’ai particulièrement apprécié ce qu’il a fait avec les Souls of Mischief ou plus récemment quand DJ Premier a créé avec Royce Da 5’9, tout un album en samplant la musique de Younge. D’ailleurs même si Royce n’est pas sur mon nouvel album, on devrait sortir un morceau ensemble très bientôt. Il bosse lui aussi sur un nouvel album au passage.
Pour finir, un mot sur ton arrivée au sein du groupe Slum Village en 2001. Comment as-tu été amené à intégrer ce mythique groupe ?
En fait, dans la foulée de l’enregistrement de « Come Get It« , le label, T3, Baatin (RIP) et tous ceux qui participaient de près ou de loin à Slum Village voulaient que j’intègre le groupe. Et bien sûr, pour un gamin de Detroit, c’était une proposition impossible à refuser. Dilla était à son apogée, le nom de Slum Village était dans toutes les bouches des Hip-Hop heads du Michigan, cette opportunité était une vraie bénédiction… »and the rest is history ! »
L’album Lead Poison n’a pas encore de date de sortie officielle mais devrait sortir courant mars via le label Glow365. En attendant, Elzhi nous a gentiment communiqué la tracklist du précieux graal :
Nous vous tiendrons évidemment informés dès que l’album sera disponible. Stay tuned !
Remerciements : Elzhi, Jae, Antoine Monégier et Manu Forlani
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Le retour d'Elzhi est une ****** de bonne nouvelle !!!