Moins d’une heure avant de monter sur scène, dans les loges de la Cigale – où je croise tour à tour Aketo, DJ Rolxx, Kacem Wapalek et bien d’autres artistes tous réunis dans la bonne humeur pour participer à la grande fête donnée par Demi Portion à l’occasion de la sortie de son nouvel album – je me suis posé avec Rachid afin d’évoquer avec lui le nouveau tournant qu’avait pris sa carrière, les retours du public sur son nouvel album ou encore son amour de la scène. Rencontre avec un grand bonhomme du hip-hop français, reconnu et respecté par tous et qui a su faire son chemin dans la droiture, l’honnêteté, le partage et la gentillesse.
The BackPackerz : Cette soirée à la Cigale marque le début de ta tournée en France et en Europe. Pour Dragon Rash, tu avais entamé ta tournée à la Belleviloise, une salle beaucoup plus petite. Cela montre le pallier que tu as franchi en deux ans. Ce soir, la Cigale affiche complet, ça te fait quoi ?
Demi Portion : Je me pose encore des questions. C’est vrai qu’à l’époque on avait fait la Bellevilloise, et à l’approche de la date on avait fait 150 préventes. Finalement c’était complet le soir-même, je me disais à l’époque que c’était une belle date à Paris, avant ça on avait fait d’autres salles cool comme la Miroiterie, le Batofar… La Cigale on a calculé ça avant la sortie de l’album 2 Chez Moi en se disant « on va voir ce que ça donne ».
Tu as conscience justement de ce pallier franchi en l’espace de deux ans ?
Non pas encore ! Après le concert peut-être mais la pour l’instant toujours pas.
Qu’est-ce qui a, selon toi, fait le succès de Dragon Rash, par rapport à tes deux premiers albums?
C’est ça que je n’arrive toujours pas à expliquer. On est tout le temps sur les routes pour faire des concerts, on ne calcule rien, on fait les trucs, que ça soit un concert de 50 places, un concert à Fresnes, au Dour Festival , je te jure qu’on ne calcule rien. Et tu sais, je me dis, le succès ou le non-succès, je ne sais pas ce que c’est en fait. C’est juste le bouche à oreille qui a peut-être tourné plus vite, je ne sais pas. En toute sincérité je n’en ai aucune idée. Mais juste pour te dire, on n’a vraiment pas forcé les choses. Dieu merci.
Quels sont les retours sur ce nouvel album 2 Chez Moi un mois après sa sortie?
Quand j’ai sorti Dragon Rash, on m’a dit qu’il était mieux que Les Histoires. Et dès que je sors 2 Chez Moi, on m’a dit qu’il était un peu plus évolué que Dragon Rash. Après, pour ma part, j’ai essayé d’être différent, de faire autre chose, comme à l’époque Dragon Rash par rapport à Les Histoires.
Qu’as-tu voulu transmettre comme valeurs à travers ce nouvel album ?
Pour les thèmes, on retrouve plus de « positivisme », de messages de combativité, je parle à tout le monde, je ne descends personne, il y a toujours moyen de faire les choses. J’ai essayé de ne pas rentrer dans l’ego, de ne pas parler de moi, même si je dis des phrases comme « malgré les douleurs et les blessures on se relève ».
L’album semble être en deux parties, beaucoup d’auditeurs l’ont réalisé : une première optimiste puis une seconde plus noire et pessimiste. Est-ce que cet album n’est pas à l’image de ta personnalité ? Un optimisme et une générosité débordante mais un regard un peu noir sur la société ?
Si c’est exactement moi. Comme tu l’as dit, chanter la vie, dire que tout est positif, ce n’est pas mon objectif. Même si on essaie de donner des ondes positives, il y a toujours des choses qui se passent autour et on tente donc d’être un porte-parole, du coup on a plus de pression quand on prend un feuille. Ce sont des choses que je n’avais pas ou moins avant peut-être. Quand tu sais que ça va toucher plus de gens tu dois faire plus attention à ce que tu dis. A l’époque je pouvais lâcher un 48 mesures juste comme ça… maintenant je trouve des séquences, des façons de raconter le morceau… c’est ce qui est différent dans cet album. A l’époque sur Rap Genius, il y avait quelques uns de mes textes, maintenant ils sont tous là, décortiqués à mort. Donc oui aujourd’hui il y a de la pression quand j’écris, c’est clair !
Parle-nous un peu des gens qui partagent la scène avec toi et que tu cites souvent en interview : Rolxx, Sprinter, Monotof…
Ca fait plaisir ! J’ai 33 ans, j’ai connu Sprinter à l’âge de 8 ans, très jeune, c’est mon ami d’enfance, j’ai fait les 400 coups avec lui, on a grandi dans le même quartier, c’est mon frère. Dans la musique, Karim a toujours été là pour moi, il me suit depuis longtemps, il m’épaule, me soutient en solo. Il sait très bien que je suis là pour lui également.
DJ Rolxx, c’est un frangin que j’ai connu en 2013 après Artisan Du Bic. C’est quelqu’un qui est venu à Sète à un atelier d’écriture, qui faisait du rap, et qui m’a dit « si tu as besoin d’un DJ n’hésite pas ». On a fait une scène ou deux, c’est devenu plus qu’un frère. C’est quelqu’un qui n’a jamais haussé la voix, si j’ai un message à lui dire c’est : « merci à mon frère , mes frères de me soutenir ».
C’est comme Monotof, qui est là depuis longtemps, depuis les Grandes Gueules (le groupe de Demi Portion avec Sprinter, ndlr), les mixtapes. Faut savoir qu’à tous mes concerts, j’ai essayé de partager la scène avec des jeunes, les backeurs… et je n’ai rien calculé, les choses se sont faites ainsi et Monotof est aujourd’hui là à mes côtés.
Mehdi est avec moi depuis l’école. Ce n’est pas mon manager, c’est mon frère. Ca c’est fait comme ça, il ne connaissait rien aux papiers, il a appris, pareil pour les mails, le téléphone, etc…
Aujourd’hui, Dieu merci, je suis content d’avoir cette équipe autour de moi qui me représente à mort.
Ca te fait quoi d’avoir des invités comme Oxmo, JP Manova, Mokless ou encore Aketo rien que pour toi ? Tu aurais pu imaginer cela y a encore deux, trois ans ?
Ce sont des gens que j’ai beaucoup écouté. Sincèrement je ne sais pas comment te dire ça. Aujourd’hui je suis un peu mis en lumière, on te dit c’est bien mais à coté de ça il y a quand même des faux-culs qui ont tout fait pour ne pas que tu t’en sortes, qui te descendent à longueur de journée alors qu’il n’y a aucun argument derrière, qui te reprennent sur une erreur que tu as fait en omettant les 1 000 choses correctes que tu as faites en parallèle, du coup on a toujours été positif. C’est notre créneau, au travers de mes textes, de mon attitude, je ne joue pas un rôle, mais voilà, ce n’est pas une revanche face à ces mauvaises personnes mais juste Dieu merci je suis heureux de ce que j’ai, je n’ai pas forcé les choses, des gens que j’écoute depuis tout petit comme Shurik’n qui n’a pas pu venir ce soir et qui m’a invité sur son projet, je n’aurai jamais imaginé ça de ma vie.
Tous les gens qui viennent aujourd’hui, je suis content qu’ils soient là, ils sont venus avec le cœur, personne ne m’a parlé d’argent, personne n’a réclamé quoi que ce soit et je trouve ça rare dans ce milieu où il y a toujours des papiers, des signatures, des contrats, où une personne peut refuser s’il n’y a pas la fiche technique ou autre. Je remercie donc tous ceux qui montrent une bonne image et qui sont là pour me donner la force.
Tu cites avec beaucoup d’humilité des groupes comme Assassin, La Cliqua, la Scred etc. Est-ce que tu te rends compte que tu vas finir dans pas longtemps par être cité par d’autres plus jeunes comme référence aux cotés de ces derniers ?
Je ne sais pas franchement, je te jure que je ne sais pas. Après, au sujet des dédicaces, d’où je suis né, d’où je suis parti, j’ai grandi avec ces groupes qui sont venus me voir dans ma ville. Et je trouvais ça respectueux de les dédicacer. Quand je dis le mot Hip-Hop, c’est que dans tous les albums depuis 5 ans, personne n’a sorti le mot Hip-Hop. Les gens ne savent même plus ce que ce mot signifie. Nous on fait du rap, il y a des graffeurs, des danseurs, des beatboxers, des DJs, c’est ça le Hip-Hop et on est là pour le représenter.
Fais-tu partie des personnes qui pensent que le Hip Hop en France est mort au début des années 2000 ?
Non, jamais ! C’est peut-être les auditeurs qui à un moment donné sont morts un peu, en forçant sur du mauvais rap. C’est à eux de juger. Ils ont jugé un truc qu’ils ont consommé, c’est normal. Mais non, le rap n’est pas mort bien au contraire, ces dernières années ça n’a fait qu’évoluer en positif. Commercialement parlant, du t-shirt à la casquette, de l’image au clip, des millions de vues… La musique en France a grave évolué et ça fait plaisir.
Je reviens sur ces groupes que tu dédicaces souvent, on te pose souvent la question donc je ne vais pas insister. En revanche, un groupe comme NTM ne revient pas dans tes références. Pourquoi ?
C’est parce que je n’ai pas encore fait le freestyle, mais ça va venir ! Et puis j’ai quand même fait le featuring avec Jeff Le Nerf et Kool Shen donc je préfère dire que j’ai déjà fait la connexion avec NTM. C’est un groupe que je respecte énormément pour tout ce qu’ils ont fait pour le rap en France. Mais loin de moi d’être dans le délire des clashs entres les régions etc, tout le monde apporte à ce mouvement et c’est cela qui est génial.
Es-tu fier d’avoir placé la ville de Sète sur la carte du rap français ?
Oui je suis content car le rap a sa place partout en France ! Culturellement parlant, Sète est réputée, il y a pas mal de peintres, d’écrivains, pas mal de gens dans l’ombre qui font leur travail et je suis content de représenter ma ville.
Je reviens sur ton album. « Pardonner » et « Une Fin Heureuse », ces deux textes sonnent comme une dernière prière avant la fin d’une vie ou d’une carrière. Pourquoi sortir un tel texte aujourd’hui ?
C’est une trace, on a tous fait des erreurs. On est humain, on a tous dit pardon plusieurs fois à notre entourage mais c’est un morceau, un refrain, une ambiance qui manquait. Dieu pardonne, mais il faut qu’on soit nous-mêmes les premiers à le faire.
Le titre « Mon Dico IV » : c’est peut-être le morceau où tu es le plus virulent envers la France et ses travers. Tu es un rappeur qui défend des causes, pour autant tu n’es pas de ceux qui prendront la parole sur Facebook pour gueuler contre des violences policières ou autres. C’est volontaire de ne pas t’inscrire dans cette démarche de militantisme ?
Militant si, revendicateur si, mais je ne peux pas sauver le monde, même pas le penser. Je suis loin de donner la bonne parole, d’avoir la science infuse, même si à une époque on le pensait un peu, on s’adoucit avec le temps, on essaye de trouver les mots qu’il faut.
Tu as parlé d’un album gratuit à venir avec tous les sons que tu as en stock. Tu peux nous en dire un mot ?
C’est encore en cours, je suis en train de réfléchir au truc, car les gens pensaient que 2 Chez Moi ce n’était que des freestyles donc on va voir, peut-être que ce sera un projet gratuit avec tous les morceaux freestyle et quelques morceaux reggae. J’ai fait le choix de ne pas les mettre sur cet album donc j’attends de voir pour la suite.
Tu reprends une tournée terminée il y a deux mois. La scène c’est ton carburant non ?
On dirait oui. On peut ne pas en faire, on n’est pas forcé, si on continue c’est qu’on en a besoin.
Le contact avec ton public est vital, tu sembles passer beaucoup de temps après les concerts pour rencontrer ceux qui sont venus te voir. C’est important pour toi ?
Oui il faut, je donne tant que je peux, je savoure au maximum et le jour où il n’y a plus de plaisir ou moins, il faudra faire une pause. Tu travailles tout ce temps pour être une heure sur scène donc rien de marathonien en vrai.
En laissant la musique de côté, qu’est-ce que tu aimerais que ton public découvre de toi ? Un truc que tu fais ou que tu aimes dans la vie, qui constitue ta personnalité et que le public ne connait pas forcément ?
En toute franchise, j’aime bien discuter, rencontrer, je suis un demi solitaire, je suis assez timide, mais j’aime chercher, trouver des choses. Juste parler pour se connaitre, je n’ai rien à vendre, j’ai plus à prendre.
Remerciements: Musicast et Mehdi Medizik pour avoir rendu possible cet interview, Rachid (Demi Portion) pour son accueil et sa gentillesse.
Crédit photos: Benoit Munoz
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