David Delaplace est un mec de 26 ans qui s’apprête à offrir au rap français un témoignage sans précédent. De par une implication de tout instant, une passion sans retenue et une volonté à toute épreuve, David nous dévoile pendant 10 jours, à l’occasion d’une exposition événement à La Place, un aperçu de l’oeuvre majeure qu’il est en train de terminer dans le plus grand secret.
400 artistes photographiés, 300 pages de portraits, instants de vie ou de scènes live, voilà ce que David nous proposera fin 2017 lors de la publication de son livre-photos événement Le Visage Du Rap. Pour patienter, il s’expose durant quelques jours dans le nouveau centre dédié au Hip-Hop des Halles à Paris.
Cela fait un bon moment que je relançais David pour obtenir un entretien et évoquer son projet mais son emploi du temps étant chargé, nous avions jusqu’à maintenant échoué à nous rencontrer. L’occasion de pouvoir échanger s’est enfin présentée en cette veille de vernissage. David m’accueille avec un grand sourire et beaucoup de gentillesse, je le sens heureux de voir son expo enfin dressée et de pouvoir en parler. David est un amoureux du rap, c’est certain. Mais David est avant tout un artiste profondément humain. Echange avec celui qui a mis des visages sur 30 années de flows, de punchlines et de rimes.
The BackPackerz : Peux-tu te présenter pour ceux qui ne connaissent pas encore ?
David Delaplace : Je m’appelle David Delaplace, j’ai 26 ans et je viens de Vigneux-sur-Seine dans le 91, du quartier des Bergeries, qui est le quartier de Tito Prince au passage. Je suis photographe et je réalise un ouvrage sur l’histoire du Hip-Hop et du 12 au 22 octobre j’en ai tiré une exposition que voici.
Comment es-tu tombé dans la photo ?
Je suis tombé assez tard, à 21 ans, c’est pas si vieux, c’était en 2012. Le manager de Tito Prince m’avait contacté pour faire des photos pour lui. Je me suis dit c’est du rap, donc faire des photos pour des rappeurs, pourquoi pas !
Tito Prince, tu le connaissais déjà où tu l’as découvert à l’occasion ?
C’est un gars de mon quartier donc je le connaissais forcément. Tu peux m’apercevoir dans quelques clips. J’ai toujours écouté du rap, donc j’étais intéressé de faire des photos quand on me l’a proposé. À la base, je ne pensais pas en faire quelque chose professionnellement, mais faire des photos de rappeurs c’est quand même cool. Donc je me suis lancé un peu comme ça n’importe comment au début, puis j’ai été invité sur le tournage du clip du groupe la Comera, j’ai réalisé des photos lors de ce tournage et grâce à ces photos, j’ai commencé à me faire connaître auprès de tout le monde. J’ai ensuite été invité sur plein de tournages, puis j’ai été repéré par un site Internet, j’ai été invité sur tous leurs tournages, puis petit à petit ça s’est fait comme ça. Et avec Tito au final ça ne s’est jamais fait. À part pour ce livre où j’ai réussi à le shooter…
As-tu une formation de photographe ou es-tu autodidacte ?
Autodidacte à 3000 %. Aucun cours, aucune formation Web, mais je pense avoir une bonne vue. Quand je vois une lumière je me dis « tiens en mettant la lumière ainsi je vais pouvoir y arriver ». Aujourd’hui j’ai une lecture de l’image, qui me facilite la mise en place etc.
Quel était ton premier boîtier ?
Mon premier boîtier, c’était un Canon 550D. C’était pas fou. Objectif de base, c’était nul quoi. Mais par contre en lumière j’étais chaud. Je regardais des making-off de Fifou et le matériel et l’éclairage qu’il avait, je l’achetais. Du coup je me suis mis à acheter plein de trucs dont je ne savais pas du tout me servir. Mais je les avais.
Comment t’est venue l’idée de faire ce livre ?
Comme un artiste qui veut faire un album, je voulais réaliser un projet. Je faisais de la photo depuis trois ans, ce n’est pas long mais ce n’est pas court non plus. Je me disais donc, que ça serait intéressant de faire quelque chose. À la réflexion, je faisais déjà des photos de rappeurs, étant un grand fan de rap, je me suis donc dit que ça serait cool de faire un livre photo sur le rap. Prendre des portraits, des photos des rappeurs. Je voulais faire un livre sur l’histoire, j’ai donc logiquement dès le début, voulu couvrir toutes les périodes depuis la naissance du rap en France. De 1980 à aujourd’hui. C’était important pour moi de mélanger toutes les générations, de tout couvrir. Je ne fais pas parti de ceux qui disent que le rap c’était mieux avant mais je considère que le rap est devenu quelque chose de précieux et qu’il mérite donc ce genre de projet.
Oxmo Puccino, c’était ton premier shoot pour le projet. Une grosse histoire de bluff j’ai cru comprendre ?
Le jour où j’ai eu l’idée de faire ce projet, j’ai eu un pote à moi au téléphone, et ce pote a un ami très proche d’Oxmo Puccino. J’expose mon projet à ce pote et vingt minutes après, ce même pote me rappelle en me disant qu’Oxmo est chaud sur le projet et que je dois donc me rendre chez lui le lendemain pour réaliser son shooting. Je vais donc le chercher en bas de chez lui, et lui présente le projet comme s’il n’était pas le premier en lui disant que d’autres rappeurs ont déjà accepté l’idée. Il a su par la suite que c’était en réalité le premier, mais il ne m’en a pas voulu. Lors de ce moment privilégié avec Oxmo, il m’a bien fait comprendre que ce projet était important, que si c’était bien réalisé, ce genre de production serait vraiment majeure pour le milieu.
Te souviens-tu de la date de ce premier shooting ?
Le 8 février 2014. Je m’en souviens comme si c’était hier…
Et dès le lendemain, tu shootais Lino ?
Non, le lendemain je rencontrais Lino. En fait, mon exposition est organisée par ordre de shooting avec les artistes. Ça peut paraître sans queue ni tête, mais en réalité cela traduit simplement la réalisation au fil de l’eau des clichés.
Du coup, ce sera la même réalisation dans le livre ?
Non, dans le livre ça sera organisé par période, de façon chronologique. Pour l’exposition, je n’avais pas envie de faire ça. J’avais envie que les gens rentrent dans le projet, voilà pourquoi les textes au-dessus de chaque photo sont si détaillés. D’habitude, dans le cartel, on trouve juste le nom et la date, là j’ai voulu faire quelque chose de différent. J’ai essayé de raconter le moment vécu, trouver une anecdote pour chaque photo, pour que les gens rentrent dans l’histoire de ce projet-là.
As-tu eu un mentor sur ce projet ?
Dan de Ticaret m’a suivi tout au long de ce projet, il réalise d’ailleurs la préface de mon livre et fera les textes avec moi. Après je n’ai pas eu vraiment de mentor, mais c’est vrai qu’à chaque fois que je croise Oxmo, il demande des nouvelles du projet. Tu sais Oxmo, je n’ai même pas son numéro de téléphone, on ne fait que se croiser par hasard à tel ou tel événement.
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Comment t’es-tu organisé pour établir ta feuille de route des rappeurs à photographier ?
J’aime le rap, donc je connaissais plein de rappeurs. Donc c’était facile d’établir une première liste. Après, en discutant avec plein de gars, il y en avait toujours un qui disait « oui tu as vu lui il était trop chaud », et là j’ai réalisé qu’il y avait plein d’artistes que je ne connaissais pas. Donc j’ai très vite établi un système où je demandais à chaque artiste « cite moi un artiste que je pourrais ne pas connaître ? ». J’ai surtout demandé des noms à des gens qui étaient vrais, des gens humains, des gens qui avaient la fibre hip-hop. Sinon tu tombes que sur des mecs qui veulent mettre en avant leurs potes. Après il a fallu gérer le nombre d’artistes. J’ai 400 artistes shootés, mon livre fait 300 pages, il faut bien faire des choix. Le prix de la page coûte très cher. Le but est que le livre ne soit pas trop cher et qu’un maximum de monde puisse découvrir cette histoire.
Avec du recul à présent, peux-tu dire que tu as couvert l’ensemble du paysage du rap français ?
Oui. Totalement je peux le dire même s’il y aura toujours quelqu’un pour dire qu’il manque telle ou telle personne, c’est très français dans l’esprit. J’ai réussi à rassembler des gens qui ne s’étaient pas vus depuis 20 ans comme les New Generation MC. C’est là que je me rends compte que je commence à faire quelque chose qui est important. Je me dis que si mon travail est bien fait, je risque de faire le bonheur de pas mal de personnes.
Tu es quand même parti à Rio pour shooter Rockin Squat, si ça ce n’est pas de l’implication…
Rockin Squat j’aurais pu largement le faire en France, on s’entend bien, on avait parlé ensemble etc. Mais j’ai voulu faire ça à Rio pour deux raisons : déjà il vit là-bas, il organisait un festival dans la Cité de Dieu, le fameux « Planeta Ginga », je savais que ça allait être fort, que les photos allaient être belles. Deuxièmement, je savais qu’après, parler de ce voyage dans mes mails de sollicitations, ça donnait une impression de projet solide, carré. Du coup, ça m’a beaucoup aidé. Peut-être, que ça a ramené des gens plus facilement que si je n’avais pas fait ce voyage que j’ai réalisé assez tôt dans le projet, au bout de six mois.
Est-ce que tu dévoiles tous les artistes qui sont présents dans ton livre où tu gardes des surprises ?
Non je garde des surprises…
Si je te dis Fabe…
Non c’est mort, je te le dis direct. J’ai essayé à maintes reprises, mais ce n’est pas possible. Il est passé dans complètement autres choses donc on ne le verra pas dans mon livre…
Et des mecs comme Booba?
Pas encore. Je lui ai déjà proposé deux trois trucs par mail. Il lit mes mails, je le sais, Squat a vendu la mèche (sourire), mais je pense qu’un mec comme Booba il faut le croiser. Je pense qu’il le fera volontiers, c’est un fan de hip-hop, il suffit de regarder ses interviews. Il est vraiment pointu, en même temps il commence à être là depuis pas mal de temps, il connaît ses histoires. Et je pense que si j’arrive à lui présenter le projet, à lui montrer que moi aussi je suis un putain de bousillé, je pense qu’il acceptera le projet.
As-tu eu de véritables refus ?
J’ai déjà eu des refus, mais il y a tellement de gens qui disent non d’abord, puis qui disent oui après, que tant que le livre n’est pas terminé, je préfère ne pas m’avancer sur des noms. Tant que le livre n’est pas sorti il n’y a pas de refus.
Tu arrives avec quel matériel le jour du shooting ?
Quasiment toutes les photos de l’exposition ont été prises avec un Canon Mark II. Des fois je pars avec rien d’autre que mon appareil, je me dis qu’on va la faire sans flash. Freestyle. On se met dans la merde pour pouvoir en dégager quelque chose de bien. Et des fois je prends des lumières, des réflecteurs. Donc ça dépend vraiment de comment je vois la chose le jour même.
Et les artistes, tu leur laisses libre champ ?
Totalement. Je leur demande juste de me trouver un créneau. Ils trouvent le lieu, ils trouvent le jour, ils décident de leurs vêtements, ils trouvent tout ce qu’ils veulent, moi je viens, je donne de mon temps et de ma personne et j’essaie de faire quelque chose de bien. Je peux leur donner quelques conseils, orientation du regard ou autre, mais ils sont totalement libres de leur manière de poser. Ce sont donc des photos faites en collaboration directe avec chaque artiste.
Est-ce qu’il y a des photos où, avec le recul, tu te dis « ça ne va pas il faut que je recommence »?
Oui ça arrive, le projet a commencé en 2014, j’ai pris en matériel, en technique, en plein de choses. Donc ça peut arriver, mais c’est bien aussi. On voit l’évolution. Après ça se sentira moins, car les photos seront mélangées.
Tu traînes dans pas mal de concerts, j’ai eu l’occasion te croiser un bon nombre de fois…
Je traîne partout… Tous les gens qui travaillent dans le rap vont te le dire, j’essaye d’être partout où ça se passe. Car dans le livre, il y a aussi des photos de live, des scènes de vie.
Si on reprend toutes les étapes depuis ton idée initiale, quelle est ta plus grosse difficulté rencontrée ?
Il y en a plusieurs de difficultés en réalité. L’argent déjà. C’est un projet qui coûte cher, les déplacements et autres. Sachant que j’ai une vie de famille, une petite fille, une copine, un appartement… Après, une autre difficulté, c’est au niveau du matériel. Tu arrives le jour du concert, tu te rends compte que tu n’as pas le bon objectif. Si tu avais le bon objectif, tu aurais fait une dinguerie, mais là… La salle est un peu trop sombre etc. Et enfin la dernière difficulté, ce sont les annulations, les galères pour prendre des rendez-vous…
En parallèle de ce projet, tu as pu garder une activité rémunérée ?
Non, ça fait très longtemps que j’ai arrêté toute activité rémunérée. C’est pour éviter d’avoir à annuler. Je te donne un exemple : si je suis booké pour un mariage, et que le jour même, Booba m’appelle pour réaliser son shooting, je ne réfléchis même pas, je vais shooter Booba ! Du coup ça me fait mauvaise presse sur mon activité professionnelle et ce n’est pas bon. Donc j’ai préféré me consacrer entièrement à mon projet. Au final, ça fera quatre années de ma vie consacrées entièrement à cela.
Quel est aujourd’hui l’état d’avancement de ton livre ?
Là aujourd’hui, on a quasiment fini. On aura fini en février, après ce qui prend du temps c’est la maquette. La maquette, ça prend entre six et huit mois. Le temps de trouver le fil conducteur, les textes, tout organiser. C’est super long ! Moi je suis arrivé dans la maison d’édition tranquille, jogging-baskets en disant « les gars on sort le livre à la fin de l’année ». Les types ont rigolé, me demandant si j’avais terminé mon livre… Je leur ai dit que non, pas vraiment, ils m’ont dit de revenir en février pour une sortie fin d’année… 2017 !
Fin 2017, j’imagine que tu auras besoin de vite replonger dans un nouveau projet afin de ne pas accuser le coup une fois ce projet terminé… Tu as déjà des idées en tête ?
Oui j’ai déjà des projets, des projets qui datent même d’avant cette idée là. Un projet avec des sans-domicile-fixe, je n’en parle pas trop parce que je n’ai pas envie qu’on me péta l’idée, mais ce sera un projet humain, qui me touche encore plus que le rap. Je pense qu’en France il y a de réels problèmes avec les sans-domicile-fixe. Tu en croises un dans la rue, on dirait qu’il a la malaria, et que si tu le touches tu vas l’attraper. Le manque d’argent ça ne s’attrape pas en parlant avec quelqu’un, et souvent quand tu parles avec ces personnes, tu te rends compte qu’ils ne demandent pas d’argent, simplement un peu d’humanité.
Le mot de la fin pour donner aux plus nombreux l’envie de voir ton travail…
Je serai présent durant toute l’exposition, tout le temps. Ceux qui veulent venir discuter avec moi, n’hésitez surtout pas. S’ils veulent voir des exclusivités, il n’y a pas de problème, j’aurai mon téléphone je pourrais tout leur montrer. On pourra parler photo, parler musique, parler de tout ce qu’ils veulent. Il y aura également un peu de merchandising afin de me permettre de continuer de financer le projet comme des t-shirts. J’ai fait aussi des boîtes Polaroid, avec toute l’expo en Pola pour 30 euros. Je tiens à préciser que cette exposition, j’ai pu la réaliser grâce à Easy Just qui est une association qui fait des porte-clés à l’effigie de sportifs, fabriqués par des personnes en situation de handicap, et une fois vendus, ils servent à financer des projets du club ,du choix du sportif. J’ai été voir le meilleur labo de France de tirages photos ! Ce sont donc des tirages qui coûtent extrêmement cher et c’est grâce à cette association que j’ai pu élaborer cette exposition donc j’incite tout le monde à aller voir ce qu’ils font !
Ne manquez pas l’exposition Le Visage du Rap de David Delaplace qui se tient au centre culturel La Place du mercredi 12 au samedi 22 octobre. Tous les jours de 13h à 19h.
Plus d’info : Event Facebook ou laplace.paris
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