Cleim Haring : à chat perché avec les mots

Cleim Haring : à chat perché avec les mots

Cleim Haring. Un nom singulier, un artiste distingué, un homme élégant, réfléchi et complexe. Un style sobre et doux qui tranche avec le paysage musical actuel. Un poète moderne dont la plume n’a d’égal que la profondeur des textes. Le personnage revient de loin, puisqu’il ressuscite  d’un projet abandonné trop tôt, grâce auquel on avait déjà entrevu tout son potentiel : Libre Penseur. Accompagné du producteur émérite Everydayz et du talentueux clippeur Valentin Petit, ce lyonnais commençait à faire parler de lui par delà les remparts de sa ville plusieurs années auparavant, avant de mettre brutalement fin à toute activité musicale. Du moins, en apparence…

Cleim Haring – « Bleu Nuit » (Prod. Everydayz)

Quelle ne fut pas notre surprise de re-découvrir il y a peu la voix suave de l’artiste, presque inchangée, associée à un nouveau patronyme : Cleim Haring ! Aux antipodes d’un rap-buzz dont il se désintéresse, le rappeur a conservé sa patte unique. Il saute d’un genre musical à l’autre avec l’agilité d’un félin, et laisse traîner négligemment son verbe au gré des toits brillants et des ruelles sombres. Entouré de ses éternels compagnons de route, le matou livre en ce début d’année Soledad, un EP intégralement produit par Everydayz et toujours sublimé par les visuels de Valentin Petit.

Cleim Haring – « Mon Soleil » (Prod. Everydayz)

Entre aristochat et chat de gouttière, le emcee développe dans cet opus une esthétique gracieuse et millimétrée dont lui seul a le secret. Côté lyrics : un conte introspectif et honnête, qui dépeint le cheminement d’un homme, entre doutes existentiels, ruptures sentimentales et rêves d’enfant déchu. Le tout avec une pudeur qui n’enlève rien à la force des images. Incapable de cantonner son art au rap, Cleim Haring a choisi d’assumer la richesse de son identité et la variété de ses influences, de Black Milk à Foals en passant par Drake. À l’entendre, ce chat aux sept vies n’a pas fini de se réinventer. Nul doute que l’animal retombera sur ses pattes.

Interview

The BackPackerz : Pourquoi avoir mis fin à Libre Penseur alors que tu commençais juste à jouir d’une petite notoriété nationale ?

Cleim Haring : Un agent de chez Sony Music m’avait repéré. Cet aspect très business n’a pas collé avec le côté indépendant de mon label à l’époque. Mon but était de percer, de faire les choses à fond. Eux voulait avant tout contrôler ce que l’on produisait. Le maxi Deep était sur le point de sortir, et il n’a finalement pas vu le jour, ce qui m’a fait perdre l’envie. J’y ai consacré beaucoup d’énergie, et ç’a été le coup de trop.

Tu étais pourtant le fer de lance de l’écurie Tru Flav Records.

Le 4romain a créé le label Tru Flav et j’ai été le premier artiste signé. D’autres amis nous ont ensuite rejoint. On faisait tout par nous même, grâce à notre bon vouloir et à notre savoir faire. L’idée était de réunir des artistes de la scène rap, qui était à l’aube d’un tournant important. En 2010, le rap alternatif a connu en France l’arrivée d’une nouvelle vague. Les jeunes de 1995, L’Entourage, Set & Match, A2H… Tous commençaient à monter et il fallait créer quelque chose.

Quand as-tu commencé à travailler avec Everydayz et Valentin Petit ?

J’ai connu Everydayz il y a déjà plusieurs années, un peu avant les morceaux « Deep » et « Souvenirs », sortis fin 2011. Notre trio avec Valentin Petit fonctionnait très bien. Quand j’ai arrêté le projet Libre Penseur début 2012, Everydayz m’a immédiatement fait écouter quelques samples, et on a commencé à travailler en sous-marin. Au moment où j’ai dit tout arrêter, j’ai en fait entamé un nouveau projet.

 

« Même si tu repars à zéro, tu reviens dans un bon club »

 

As-tu le sentiment de devoir tout recommencer, ou est-ce plus facile ?

Un peu des deux. J’emprunterais une citation de Deen Burbigo, avec qui j’échange depuis longtemps, avant les Rap Contenders. Il m’a dit « Cleim, même si tu repars à zéro, tu reviens dans un bon club. » Comme un boxeur dont la carrière s’est arrêtée alors qu’elle était sur le point de décoller, je suis bien entouré et j’espère avoir de bonnes chances de péter le score. C’est une belle métaphore.

Finalement, tu reviens avec l’EP Soledad sous le nom de Cleim Haring.

« Soledad » est le premier texte que j’ai écrit après la fin de Libre Penseur. Le premier couplet du morceau « Mon Soleil » devait figurer sur Deep. Dans ce couplet très broken, on sent l’influence de Grems et de Rouge À Lèvres. Le second, très smooth, sonne plus Cleim Haring. Soledad est d’abord une carte de visite, le projet rêvé de Libre Penseur. C’est une oeuvre cohérente de A à Z, qui passe de la Deep House au Jazz au Boom-Bap jusqu’à l’Experimental-Trap. À mes yeux, Everydayz était la seule personne capable de le réaliser. Il est reparti des a-cappellas et a retravaillé toutes les instrumentales durant sa tournée avec Némir. Pendant ce temps, j’écrivais un second EP.

La mécanique est donc bien huilée, et tu as déjà programmé la suite !

Oui, Sun Cold, mon deuxième EP est déjà bouclé et sortira avant l’été. C’est un maxi plus actuel, avec une forte influence de Drake, sans rentrer dans les clichés. De la trap musicale et poétique, inspirée de l’esprit OVO Sound. Par moment, c’est un peu plus chanté, avec des flows très différents. Il est produit par Tchicos Pablo, qui a réalisé quelques morceaux pour Youssoupha. Pour autant, il n’y aura pas de textes faciles et je prends le pari d’embarquer un nouveau public dans l’aventure. Je n’ai plus envie de me limiter à un seul style. Le projet qui suit est Cerbère, qui sortira à la rentrée : trois morceaux, trois minutes, trois pochettes. Là, le son sera vraiment proche de la mixtape If You’re Reading This It’s Too Late de Drake.

 

« Un homme seul, qui dépasse ses pensées noires »

 

Par le biais de tes différents leit motivs, quelle histoire racontes-tu ?

L’histoire de Soledad est celle d’un homme seul, qui dépasse ses craintes et ses pensées noires pour aller de l’avant. Dans Sun Cold, c’est une personne dont le cœur s’est réchauffé, mais qui gravite toujours autour d’un cercle froid. Bien sûr, c’est une partie de moi, une continuité. Sun Cold est très introspectif, il se focalise sur le sentiment amoureux suite à une rupture sentimentale, la découverte de soi et l’équilibre entre le bien et le mal. Le premier album s’appellera Bleu sur bleu. Il aura pour thématique le ciel et l’océan, les deux infinis, les coups sur la peau et comment ces blessures apparaissent et disparaissent aux différentes périodes de la vie. Voilà le bouquin que j’écris !

Aujourd’hui, qu’attends-tu encore de la musique et de tes fans ?

J’attends beaucoup moins de mes fans qu’à l’époque. Mon seul point d’honneur est de faire de la bonne musique, sans me foutre de la gueule des gens. Livrer un projet construit, propre et léché sans l’aide d’une maison de disque, du moins pour l’instant. Être quelqu’un d’intègre, qui donne de sa personne et investit son propre argent. Un artiste que l’on ait envie d’aller découvrir sur scène. Mon désir d’authenticité se ressent dans mes textes, moins polis et plus libres. Sur mon album, je rêve de faire de la pop et pourquoi pas de chanter à la façon de Kid Cudi. C’est ça la musique : l’ouverture à d’autres genres.

Comment as-tu vécu l’explosion de tes partenaires ? Depuis votre rencontre, Valentin Petit a réalisé des clips pour Nekfeu. Everydayz a été coopté sur Nowadays Records et a sorti l’EP Almeria avec Phazz, lui-même repéré par Soulection. 

Ç’a été très dur, j’ai eu peur qu’ils me lâchent ! Everydayz est un génie de l’ombre. Son nom est respecté dans le milieu. Phazz vient lui aussi de Lyon et leur rencontre a créé un cocktail détonnant. Avec Valentin Petit, voilà la genèse : Valentin clippe « Deep », le clip passe sur O-Five, son blase commence à tourner. De mon côté, je fais « Souvenirs » avec Everydayz et propose Valentin pour le filmer. Les deux se rencontrent. Everydayz pense à Valentin pour « Temps Mort », et pour « Ailleurs » de Némir. Ensuite, Valentin clippe « Wake Up » avec Alpha Wann, puis Deen Burbigo, puis tout le rap français ! C’est une fierté d’avoir été à l’origine de tout ça. Pendant toutes ces quelques années, on s’appelait sans cesse. On a pris le temps de faire les choses bien avec Everydayz et je savais que Valentin serait là lors de mon retour.

 

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@booxsfilms 

 

Quel est votre processus créatif à tous les trois ?

Niveau vidéo, Valentin Petit a toujours carte blanche. Dans « Mon soleil », il touche à un sujet grave,  le handicap, de manière subtile et mature. En termes de son, je donnais des idées de samples en main propre à Everydayz, qui produisait ensuite les beats. Dès que j’avais les maquettes, je bossais les textes depuis chez moi. Pour Soledad, il faut savoir que j’ai tout écrit de tête. Rien sur papier. Plusieurs artistes fonctionnent comme ça, à partir des sonorités et des consonances. Je m’y suis essayé, c’est comme écrire à l’oral. Le principe est de partir d’une phrase, pour en faire deux, puis trois, puis quatre. Une fois que je visualise le texte dans ma tête, je réalise des maquettes dictaphone. Le résultat est quelque chose de plus oral, plus détendu et plus instinctif.

D’où vient ton nom, Cleim Haring, et l’imaginaire associé ?

Un jour, mon manager est passé chez moi, où j’ai des tableaux de Keith Haring. Mon prénom est Clément, et mon diminutif Clém. Il a proposé Clém Haring. J’ai rajouté un « i » pour la consonance anglaise. Les dessins de Keith Haring ont des formes simples avec beaucoup de fond. À son image, l’idée était d’obtenir une écriture épurée, avec un message plus percutant. Aller à l’essentiel, en somme. Mon photographe Valentin Chenaille m’a convaincu de faire une photo qui assume mes origines indiennes, avec un turban et une barbe. Au final, je n’ai pas souhaité trop jouer avec les connotations spirituelles du turban, que j’ai mis légèrement en retrait, comme un clin d’œil, au profit de l’image du dandy mystérieux. Les prochains visuels seront plus futuristes et plus graphiques.

Toute cette esthétique reflète bel et bien une part de ta personnalité…

C’est sûr ! Dany Dan utilise souvent le terme « Dandy-bandit », moi je dis « bandit-dandy-Ghandi » ! [rires] Pour moi, ça signifie être un homme élégant et classieux, qui fait du rap et qui peut être dirty en même temps. Salement romantique, en quelque sorte. En revanche, pas de joggings. Drake musicalement parlant, oui, mais pas vestimentairement ! [rires]

 

« Si tu veux voir ma tête, viens à mon concert »

 

Ton style poétique et ton phrasé doux sont-il un moyen de te distinguer ?

Mon crédo, c’est de faire ma propre musique sans me soucier des autres, pousser mon art à l’extrême et ne pas me cantonner au rap. À quarante ans, j’adorerais être un Sébastien Tellier ou un Julien Doré. Ces artistes sont extraordinaires sur scène et leurs albums sont incroyables. C’est la suite logique de ma musique, impossible de faire uniquement du rap. Booba est le seul a l’avoir bien fait pendant vingt ans. S’il est possible de mettre une distance pour créer mon propre style, tant mieux. Cleim Haring aspire à faire du Hip-Hop chanté avec sa propre patte, sans faire tout à fait partie du rap jeu. Mes influences dépassent largement le cadre du Hip-Hop. En ce moment, j’écoute Foals comme Erykah Badu.

Pourquoi tant de mystère autour du personnage Cleim Haring ?

D’une part, le nom Libre Penseur était très connoté politique, et m’a cloisonné par rapport à la musique que je voulais faire. Mon rap n’est pas que conscient, d’où le nom Cleim Haring, plus proche d’une marque de mode, d’un produit, comme un parfum. D’autre part, j’ai voulu mettre une distance entre l’ego trip, le rappeur qui montre constamment son visage face caméra, et les fans qui le soutiennent parfois pour sa belle gueule. Ma prise de position est de laisser la musique parler. Montrer des femmes dans mes clips, d’accord, mais gracieusement. L’important, c’est que l’on perçoive avant tout mes projets comme qualitatifs. Même si le public aime s’attacher à un visage, je me dévoilerai petit à petit, de manière progressive et maîtrisée. Si tu veux voir ma tête, viens à mon concert !

À quoi doit-on s’attendre sur scène ?

Pour le moment, simplement un duo DJ-emcee. Jusque là, on a fait que quelques scènes, notamment le Transbordeur et la Maroquinerie. En amont, je compte travailler une vraie scène en résidence pour trouver une scénographie qui me corresponde et amener quelque chose d’inédit. J’imagine des lumières, de la vidéo, une expérience interactive entre public et artiste. Quelque chose de plus par rapport à l’audio. Tout ça demande du travail et viendra au fur et à mesure. Le but n’est pas encore de tourner à tout prix.

Soledad

Premier EP 7 titres produit par Everydayz

1. Pondy
2. Soledad
3. J’ose espérer (feat. Glxya)
4. Chat de gouttière
5. Mon soleil (feat. Glxya)
6. Je vis dans mes rêves
7. Bleu nuit

Télécharger l’EP Soledad

Cover photo : Babacar Paviot Diasse