Chief, digne représentant de la Swiss Beats

Chief, digne représentant de la Swiss Beats

Après 20syl, Arshitect (Soul Square) et J-Zen, on continue notre tour d’horizon des beatmakers du moment avec, selon moi, un des artistes les plus talentueux de la beat scene européenne: le beatmaker suisse Chief.

Depuis plus de 10 ans, Chief officie à la MPC depuis son fief de Lausanne, où lui et sa team Feelin’ Music (label qu’il a crée en 2007) jouent les alchimistes en concoctant un des sons les plus avant-gardistes du beatmaking européen.

Après avoir travaillé avec certains grands de la scène US underground Blu, J Sands (Lone Catalysts), Kenn Starr sur son album Collabo Collection, il fait la rencontre du rappeur Canadien Moka Only avec qui il produit l’excellent Crickets en 2011.

Depuis quelques années, il se concentre sur l’instrumental pur avec 3 compilations de beatmaking sorties en 2012 et 2013: Shadows Chapter I, II et III.

Lui qui est aussi à l’aise sur des productions de Hip-Hop jazzy que sur de la beat music très glitch, nous souhaitions recueillir l’avis de Chief sur l’évolution du son Hip-Hop et l’impact de la beat scene sur les instrumentales du rap.

TBPZ : Quel est ton premier contact avec le Hip-Hop 

Chief : A la base, j’étais plutôt rock et j’ai entendu un mec qui avait samplé un morceau de Nirvana. Du coup, je me suis un peu intéressé au truc et j’ai découvert l’album 36 Chambers du Wu-Tang Clan. J’adorais aussi vraiment les scratchs, notamment sur les morceaux de Preemo. J’ai commencé à vouloir mixer, j’ai donc acheté mes premières platines vers mes 14 ans, j’ai été DJ dans des soirées et j’ai acheté ma première MPC vers 20 ans. Je l’ai gardé deux ans sous mon lit, sans jamais l’utiliser car je trouvais ça trop compliqué à l’époque. J’avais mis une annonce pour la vendre mais quand un gars est venu pour l’acheter, j’ai bloqué et je lui ai dit que je la gardais parce que je voulais creuser un peu le truc. C’était en 2000. Suite à ca, j’ai commencé à produire des beats je n’ai jamais arrêté. Depuis, j’ai pas mal lâché le mix pour me concentrer sur le beatmaking.

TBPZ : En 2009, tu sors Collabo Collection avec pas mal de rappeurs US. Comment ces collaborations ont-elles été possibles ?

Chief : J’avais fait un premier album avec un rappeur de Washington, Kay Dee. Cet album n’avait pas vraiment marché mais le mec m’avait mis en contact avec J Sands, le rappeur du groupe Lone Catalysts. Lui même qui m’a mis en contact avec Sene, Blu et après ça a été très vite. Mais à la base, je n’avais pas prévu de faire un album de collaborations, je me suis juste vite retrouvé avec une vingtaine de morceau avec des rappeurs, j’ai décidé de tout regrouper sur cet album. Mais je ne referai jamais un album comme ça, ça prend beaucoup trop de temps d’attendre les couplets des rappeurs (rires).

Même si la plupart des featurings ont été réalisés à distance, j’ai pu tourner avec Sene, Blu et Exile et j’ai rencontré pas mal des artistes présents sur l’album par la suite sur des concerts.

TBPZ : Un mot sur la scène Hip-Hop Suisse?

Chief : Alors, il y a eu les piliers Sens Unik, puis Double Pact, les petits boss de Genève avant qu’il rentre en major. Mais je ne suis pas vraiment le rap suisse… Où, je suis basé à Lausanne, il y a une petite scène beatmaking assez intéressante constitué des mecs qui, comme moi, produisait des instru de rap à la fin des 90s.

TBPZ : Et sur ton label Feelin’ Music ?

Chief : Oui, j’ai crée mon propre label Feelin Music en 2007 qui compte désormais des artistes comme Moka Only, John Robinson, Willy Sunshine… On a des artistes d’un peu partout, la Suisse bien sûr mais aussi Etats-Unis, Canada… C’est vraiment une affaire de passion. J’ai eu pas mal d’histoires avec mes précédents labels où je n’étais pas toujours payé. J’ai donc décidé de monter ce label avec l’idée que le jour où je reçois de l’argent pour mes artistes je les paye tout de suite.

TBPZ : En plus du Hip-Hop, on ressent pas mal d’influences de musiques électroniques dans ta musique ? Tu peux nous en parler un peu.

Chief : A la base, j’étais dans un délire jazzy. J’ai aussi été vachement influencé par des artistes comme J Dilla ou Spinna. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, c’est plus la musique électronique (Beat Scene, Bauer…) qui alimente ma production mais toujours avec une grosse base Hip-Hop.

TBPZ : Ton avis sur la scène Soundcloud, ces artistes qui sortent des morceaux chaque semaine et ont un peu délaissé les formats albums traditionnels ?

Chief : Ca risque de prendre du temps ! (Rires) Honnêtement, je ne supporte pas les artistes « strictly soundcloud » ou Bandcamp, je suis pour le physique. Même si ca prend plus de temps, je préfère sortir des albums physiques, prendre le temps de faire la promo des disques, des artistes, des tournées. Le problème, c’est que le jour où Soundcloud ferme, ces artistes qui se reposent uniquement dessus n’ont rien, ils n’ont pas de contact avec les réseaux de distribution physique, pas de deal avec les plateformes de streaming etc… Même avec des milliers de followers, leur existence musicale est ultra précaire.

Moi j’utilise Soundcloud comme un outil de promo, je lâche quelques morceaux de temps en temps pour que les gens ne nous oublient pas. Parce que le problème avec l’inverse, le « strictly vinyl », c’est que le temps que tes albums sortent, tu peux perdes un peu ta fan-base.

En revanche, on utilise pas mal Bandcamp parce que ça nous permet de ne pas passer par un distributeur. Le mec va sur Bandcamp et peut acheter ton album en digital ou en physique et cet argent te revient direct, c’est super intéressant pour les labels. En plus, on peut faire des « bundles » avec des disques en édition limitée avec un T-Shirt ou autre, ça offre de nouvelles possibilités pour l’auto-production.

Quiet Dawn : Moi j’ai 3 morceaux sur Soundcloud. Je ne suis pas vraiment dessus. Ce qui me gonfle c’est la chasse à l’écoute. A l’époque de MySpace, il n’y avait pas cette mentalité, tu pouvais découvrir de la musique et discuter avec les artistes. Chose que tu ne peux pas trop faire sur SoundCloud. Après c’est super pour découvrir des artistes pas du tout connus, dans d’autres régions du monde. C’est aussi cool en tant que beatmaker pour avoir des retours sur ta musique. Pas forcément positif d’ailleurs. J’aime bien recevoir des commentaires de mecs qui me disent : « J’aime bien ta musique mais ce dernier morceau, j’ai pas accroché. »

TBPZ : Toi qui a connu tous les formats (albums de collab avec un rappeur différent sur chaque morceau, album avec un seul MC et album de beatmaking), lequel vas-tu désormais privilégier ?

Chief : Je préfère vraiment le format beatmaking seul. Perso, je bosse assez rapidement. Il me faut généralement moins de deux mois pour faire un album. J’aime cette rapidité dans mes projets et c’est quelque chose que je ne peux pas avoir quand je bosse avec des rappeurs. Tout prend vite du temps, même avec Moka Only qui est super rapide, c’est toujours plus long que quand je sors des projets solo. Et ce qui m’embête c’est que les morceaux vieillissent. Par exemple, dernièrement j’ai bossé sur un album avec John Robinson, mais on a commencé ce projet il y a 3 ans ! L’album ne sort que maintenant mais ce sont des prods de 2009, 2010…C’est un peu dommage.

J’imagine que tu touches, en revanche, plus de monde avec un album avec des rappeurs ?

Oui, c’est vrai que c’était appréciable de pouvoir toucher un public rap avec mes albums comme Crickets avec Moka Only mais aujourd’hui je touche le même nombre de personne avec un album de beatmaking.

TBPZ : Est-ce que tu considères ce que tu fais comme du Hip-Hop ?

Chief : Oui, totalement même si ce n’est pas que du Hip-Hop. J’ajouterai sûrement « /electronic » derrière. Même si je peux partir dans d’autres styles (deep house), ca reste des battements de rap parce que c’est de là que je viens.

TBPZ : Un rappeur avec qui tu rêverais de bosser ?

Chief : J’aime bien Jneiro Jarel mais ça a l’air compliqué… Sinon, je vois pas trop…en fait je re-bosserais avec les mecs avec qui j’ai déjà bossé (ndlr: Moka Only, John Robinson). Ils sont supers !

TBPZ : Tes futurs projets ?

Chief : L’album avec John Robinson, The Scienz Of Life. Il y a aussi un album de beats brésiliens avec Deheb, un pote à moi. Et je suis gentiment en train de préparer un album d’instru.

Si vous souhaitez vous procurer les précédents projets de Chief, tous ses albums sont sur son Bandcamp et celui de Feelin Music.
Et pour ses prochains sorties, il faudra suivre la catégorie Actu Hip-Hop sur The BackPackerz 🙂

Remerciements: Chief, Quiet Dawn et Charly.