Apollo Brown & Ras Kass, les gardiens du boombap

Apollo Brown & Ras Kass, les gardiens du boombap

C’est lors de lors récent passage au Villette Street Festival que nous avons eu la chance et l’honneur d’être l’un des seuls médias à rencontrer deux légendes du hip-hop: le producteur Apollo Brown et le rappeur Ras Kass. À l’occasion de la sortie de leur album commun Blasphemy et de leur tournée mondiale, les deux acolytes nous ont ainsi reçu en loge, en toute décontraction, pour nous parler notamment de l’état actuel du rap et du boombap en particulier, de leur façon respective de travailler, de l’explosion de Detroit et du label Mello Music Group, ou encore de leur projets à venir.

The BackPackerz : Pour commencer, pouvez-vous nous raconter comment vous êtes arrivés dans le monde du hip-hop ?

Apollo Brown: J’ai toujours été un fan de hip-hop, j’écoutais tout le temps de la musique en la disséquant. Je séparais les éléments, j’entendais des choses qui me dérangeaient ou qui ressortaient du reste du morceau. Et à un moment, je ne voulais plus n’être qu’un auditeur, je voulais faire ma propre musique.

Ras Kass: Je n’étais pas un gros fan de musique, pour ma part, mais quand j’ai découvert le rap, ça m’a vraiment accroché. Celui qui m’a vraiment donné envie de faire partie du truc fut KRS-One. A partir de KRS, j’ai commencé à écrire des rimes. J’étais très nul au début, jusqu’à ce que j’entende ce qui pour moi était le rap parfait: “N.Y. State of Mind” de Nas. Dès lors, j’ai commencé à bosser très dur pour faire partie de ce mouvement.

Apollo, tes productions s’appuient souvent sur des samples de soul (notamment). Quel est ton secret pour choisir les bons samples et construire les beats autour ?

AB: Je ne sample pas que de la soul, je sample tout, des pubs…n’importe quoi tant que j’arrive à imaginer un beat avec. Tout est question de mélodie et de feeling. Quand je dig, je cherche des mots-clé comme “crying”, “lonely”…des trucs comme ça qui sont généralement dans de bonnes chansons. Je cherche aussi des instruments qui fonctionnent toujours, comme les orgues ou les cuivres.

« Quand je dig, je cherche des mots-clé comme “crying”, “lonely”…des trucs comme ça qui sont généralement dans de bonnes chansons. » – Apollo Brown

Du coup, as-tu un genre de recette ?

AB: Non, je regarde juste mes samples et choisis ceux qui me frappent, ceux qui me donnent envie d’arrêter le morceau en disant “ok, celui-ci, il faut que je l’utilise”. Je n’ai pas de recette mais bien sûr, j’ai une façon de faire les choses. Par exemple, je crée toujours la batterie en premier puis je découpe le sample autour d’elle. J’utilise la batterie comme un squelette auquel je fournis la peau, les muscles et tout le reste, un peu comme la potterie.

Tu as des machines ou des logiciels favoris ?

AB: J’utilise un vieux logiciel de genre 1997. C’est un logiciel de manipulation du son qui n’est pas vraiment fait pour la production de musique. C’est plus fait pour la radio, pour envoyer les pubs, créer les delays de 7 secondes, balancer les drops etc..mais bon, tu peux faire des beats avec tout ce qui permet de manipuler le son tu sais.

Que pensez-vous de l’état actuel du boombap ?

AB: Beaucoup de gens me définissent comme “boombap” et je suis présent, Premier est présent, donc le boombap est clairement vivant, et il y a un public pour. La fanbase est large. Mais on a tous notre définition du boombap. Pour ma part, c’est très simple, mes drums sont très simples parce que selon moi le boombap c’est tout simplement ce “boom, bap, boom boom bap” (il mime la batterie). Je n’aime pas quand il y a trop de drums ou quand elles partent dans tous les sens, parce que cela t’éloigne du feeling de la chanson, du sample, du dur boulot de chopping que j’ai accompli. C’est pour ça que j’aime que mes drums tapent, mais tout en restant simples et cools, un bon pattern qui reste hip-hop.

Et as-tu envie de tester d’autres genres un jour ?

AB: Non, je suis plutôt réac’ mec. Beaucoup évoluent vers ci ou ça, je les laisse évoluer autant qu’ils le souhaitent, mais moi je reste là. Mais pour moi c’est quelque chose de positif parce que pendant que les autres font leurs trucs, ils me laissent seul dans mon domaine. Et il y a une grosse fanbase pour ce que je fais. Je n’essaie pas de réinventer la roue, mais je préserve un son que je kiffe. Si je ne peux pas faire la musique que je kiffe, je préfère ne pas faire de musique du tout.

En France, beaucoup affirment que le rap était mieux avant. Quelle est votre opinion ?

RK: Je pense qu’il y a toujours eu de la bonne musique et de la musique que je n’aime pas personnellement. Concernant la Golden Era, comme on l’appelle, je pense qu’à l’époque c’était carrément plus dur d’intégrer le business du rap. Vers 1995, tu devais investir quelque chose comme 3 000 dollars, au moins, pour enregistrer seulement une chanson. Par conséquent, personne ne pouvait se permettre de gaspiller son argent, donc tu devais prouver ta valeur, tu devais littéralement vivre, marcher, parler, lire, manger, chier, pisser, niquer rap pour être un vrai MC. Parfois tu devais kicker une chanson entière en une prise, parce qu’on avait juste un enregistreur vocal de merde. Aujourd’hui, tu peux faire des millions de prises et ne prendre que les meilleures pour faire ton morceau. En sachant ça, quand il n’y avait que six à dix labels qui ne sortaient qu’un certain nombre d’albums par an, la plupart d’entre eux étaient sacrément bons. Le bullshit ne pouvait pas vraiment sortir. Mais il y aura toujours de la bonne musique, beaucoup de jeunes comme Joey Bada$$ et Kendrick Lamar sont là, et font aussi du boombap, donc pas besoin de s’inquiéter.

« Vers 1995, tu devais investir quelque chose comme 3 000 dollars, au moins, pour enregistrer seulement une chanson. » – Ras Kass

Apollo, tu as beaucoup d’albums collaboratifs dans ton catalogue. Quels sont les principaux avantages de ce format pour toi ?

AB: J’ai toujours aimé gérer un album en entier. Je pense qu’il faut être vraiment bon pour faire tout un LP de 16 morceaux qui sonne de manière homogène, agréable à écouter du début à la fin. Je fais aussi le truc de producteur, j’ai des beats par-ci par-là, et c’est cool, mais j’obtiens une plus grande satisfaction lorsque je vais en studio avec un MC, que je vois sa tête quand il entend mes prods ou vois ma tête quand j’entends un pur couplet. Je cherche à créer des chefs-d’oeuvre, des trucs qui dureront, que tes arrières petits-enfants pourront écouter sans que cela ait pris une ride.

Apollo, la plupart de tes albums sont sorti sur Mello Music Group, un de nos labels préférés en ce moment. Peux-tu nous donner une petite idée d’à quoi ressemble la vie chez MMG ?

AB: C’est plutôt une famille pour moi. Une famille dirigée par une personne qui aime le hip-hop, le bon hip-hop. Il n’est pas là juste pour faire de l’argent, mais pour sortir de la musique de qualité, et cela fait toute la différence. C’est un label dans lequel tu peux contrôler le côté créatif, tu n’as pas des gens qui te disent ce que tu dois mettre sur ton album ou pas, ou quel album faire avec tel MC, etc..Bien sûr, tu as un périmètre, certaines choses hors-label que tu dois respecter. Par exemple, notre album avec Ras Kass devait s’appeler How To Kill God, mais on a dû le changer pour Blasphemy parce que cela ne serait pas passer en distribution. Ce sont de petits sacrifices qui permettent de sortir de la bonne musique et de la proposer aux fans. C’est un super label, je m’y sens comme à la maison, vraiment.

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Apollo Brown et Ras Kass en backstage

Comme MMG, la scène de Detroit explose également depuis quelques années. Comment expliques-tu ce phénomène ?

AB: C’est vrai que depuis au moins cinq ans, le rap se trouve à Detroit, D.C. et Los Angeles. On ne voit plus New York. Pour en revenir à Detroit, c’est clair qu’on sort beaucoup de bonne musique, on a des putain de producteurs, de super MCs, et un paquet de gens qui représentent de manière formidable la ville, et l’émulation créée par tous ces talents nous poussent à nous surpasser, à continuer à sortir de la qualité. Je fais clairement partie de l’équipe des winners.

Y a-t-il encore des gens avec lesquels vous rêveriez de collaborer ?

RK: Non, pas vraiment. Je suis fan de beaucoup de producteurs, et j’ai eu la chance de travailler avec les deux meilleurs producteurs du monde selon moi que sont Dr. Dre et DJ Premier. Mais je suis heureux de travailler avec n’importe qui – qu’il soit violoniste, producteur, rappeur – qui arrive à faire ressortir en toi de nouvelles qualités grâce à une alchimie différente. Tous les talents m’intéressent !

AB: Je suis tout à fait d’accord. Chacun est différent et amène donc une façon de travailler nouvelle, fait ressortir en vous quelque chose qu’une autre personne ne saurait peut-être pas faire ressortir. Bien sûr, j’aimerais bosser avec des gars comme Jay Electronica ou No-Maddz par exemple, qui sont difficiles à atteindre, mais je cherche juste à faire de la bonne musique donc cela peut se faire avec beaucoup de personnes talentueuses.

Quels sont vos prochains projets respectifs ?

AB: Mon prochain projet sortira fin août ou début septembre. Je ne peux pas en dire beaucoup, à part que ce ne sera pas un album instrumental. Ce sera de la bonne came !

RK: Mon prochain projet devrait sortir à peu près à cette même période, mais, comme Apollo, je ne peux pas en dire plus pour l’instant désolé !

Vous écoutez quoi en ce moment sinon ?

RK: En tournée, on n’écoute pas de rap. On écoute du rock des années 80 comme Duran Duran, Journey ou Tears for Fears par exemple. Nirvana aussi.

AB: Oui, on vit hip-hop toute l’année, donc en tournée on aime bien faire une pause en écoutant du bon rock !

Et pour finir en beauté, on vous propose une petite sélection des meilleurs sons d’Apollo Brown, made in The BackPackerz:

Remerciements: Guillaume de Pick Prod et Etienne du Villette Street Festival pour avoir rendu cette interview possible

Photos: Antoine Monégier