Après Bipolaire en 2012 et Art De Vivre en 2014, A2H revient en cette année 2016 avec Libre, projet qui constitue son véritable premier album, et qui doit voir le jour le 15 avril. On avait donc beaucoup de questions à poser au emcee résidant dans le 77. De son éducation musicale façonnée par de vrais passionnés à, plus tard, la création de son collectif devenu label.
En préambule de cette interview, découvrez le teaser de ce nouvel album : « En Quête De Liberté ». Une bande-annonce produite par l’un des fleurons de la scène Beat à la française, DTWEEZER.
The BackPackerz : Pour commencer, peux-tu te présenter et nous raconter un peu ton parcours pour nos lecteurs qui ne te connaîtraient pas encore bien ?
A2H : Alors moi c’est A2H, je viens du sud de la Seine et Marne. Je suis né au Mée-sur-Seine, j’y ai habité une bonne partie de mon enfance, puis je suis allé sur Melun, qui est une ville limitrophe. J’ai commencé le rap vers l’âge de 12-13 ans, donc vers 2000 et depuis, j’ai fait pas mal de chemin, plein de choses différentes. Des sorties de mixtape à mes deux albums déjà sortis en 2012 et 2014 (Bipolaire et Art De Vivre, ndlr). Et là, le troisième va bientôt sortir.
Par quels rappeurs, ou plus généralement, par quelles scènes as-tu été influencé ?
J’ai grandement été inspiré par la scène West Coast. Comme pour beaucoup de gens, Chronic 2001 m’a traumatisé (rires). Après, niveau influences, j’ai envie de te dire Snoop, Dre, Eminem, tous ces rappeurs-là. Mais il y a aussi The Diplomats avec Cam’Ron et Juelz Santana. J’aimais beaucoup leur swagg, leur flow, ils avaient cette attitude arrogante de pimp qui me fascinait beaucoup. J’ai toujours aimé le Pimp style, de la East ou de la West. Cette espèce de nonchalance, ce côté un peu décalé aussi, quand ils parlent de cul, ou d’autres choses marrantes. J’ai toujours aimé quand les mecs ne se prennent pas toujours au sérieux. Après, en Rap français, il y a eu énormément NTM. Parce que j’aime la performance et vu que j’ai eu une approche de NTM par la scène, leur concert Live 1993 était une des premières cassettes vidéos en live que j’ai vue et j’avais trouvé ça vraiment ouf ! Par la suite, il y a eu Lunatic et après La Caution. On va dire que ce sont les trois groupes qui m’ont vraiment marqué. Il y a le Saian Supa Crew aussi mais je ne le mettrais pas dans cette catégorie « Rap pur et dur ».
Tu es un artiste qui a fait énormément de concerts et de premières parties. Quel est ton rapport à la scène ?
Ce qui me fait vibrer, c’est quand on passe réellement un bon moment. Mais, comme je le dis souvent en live, quand je suis sur scène, « je ne suis pas là pour faire un concert devant vous, je suis plutôt là pour faire un concert avec vous ». Du coup, les concerts où il y a une distance entre le public et moi sont des concerts que je n’aime pas trop au final. C’est-à-dire que je suis plus dans un délire où je fais participer les gens, j’essaie de faire chanter mes morceaux, même s’ils ne les connaissent pas, je leur impose des petits gimmicks et on va rouler avec tout le concert, on va jumper, moi je vais même parfois descendre dans la foule ou au contraire faire monter des gens, on va faire des conneries sur scène. J’aime que ce soit interactif, et j’aime aussi quand les gens ont envie de bouger. Car c’est un kif réel quand tu vois les gens jumper avec toi. Même sur les morceaux plus intimistes, quand tu vois que les gens écoutent et sont réceptifs, c’est très agréable. C’est une vraie osmose qu’il y a avec le public dans ces moments-là.
Après, à l’époque où je faisais surtout des premières parties, je me souviens du premier live dans lequel j’ai eu des sensations de fou, c’était lors de la première partie de Gym Class Heroes à la Flèche d’Or. C’était super car personne ne me connaissait à l’époque, la salle était remplie, personne ne m’attendait mais pendant mon set, tout le monde chantait avec moi. C’est le premier concert où j’ai vu que je pouvais arriver avec un contenu que personne ne connaissait et avoir tout de même le public avec moi. Donc ça reste un très bon souvenir.
Tu es plus à ton aise dans les salles dites plus « intimistes » type Bellevilloise, Maroquinerie (Paris, 20) ou bien dans de plus grosses salles mais en ayant pas forcément ce côté « proche du public » auquel tu sembles tenir ?
J’aime bien les deux. Même si c’est vrai que, quand il y a une grosse jauge, c’est kiffant de voir les mouvements de foule, je dois tout de même t’avouer que personnellement, je vais préférer une petite Bellevilloise, ou un Nouveau Casino (Paris 11) plutôt qu’une grosse salle froide. Mais je trouve également qu’il y a de belles salles. J’ai par exemple fait le Bataclan avec Can I Kick It, un souvenir extraordinaire. J’ai fait aussi des festivals avec Gerard Baste avec lequel on a joué en première partie de IAM ou encore Israel Vibration devant au moins 2000 personnes. Des souvenirs de fou aussi. En fait, ce n’est pas parce que c’est grand que c’est impersonnel. Tu peux aussi avoir un public avec toi même quand c’est grand. C’est juste que moi, je suis habitué aux petites salles, car je remplis des 200-300 personnes pour l’instant. Donc ça, c’est mon terrain, je joue à domicile.
Tu viens d’évoquer Gérard Baste : c’est quelqu’un qui a beaucoup compté dans ta carrière n’est-ce pas ?
Bien sûr ! En fait, Gérard compte énormément dans ma carrière car c’est le premier gars qui a cru en moi et qui m’a mis devant le fait accompli. C’est-à-dire qu’il m’a amené en concert, en tournée et il m’a fait faire ses premières parties dans de gros festivals, alors qu’il n’était même pas obligé, vu que c’était des festivals dans lesquels je n’étais même pas programmé. Il m’a imposé en disant juste « voilà, c’est A2H qui va ouvrir pour moi, il fera des morceaux à lui ». J’ai fait ses backs, sa première partie aussi, sur sa tournée qui marquait son come back en solo. La tournée a duré un an et demi et il m’a pris sur la route avec lui alors que je n’avais rien sorti en tant qu’A2H. J’avais juste sorti une mixtape avec mon ancien groupe. Je lui dois donc beaucoup, car au final, il a cru en moi alors que je n’étais encore personne. On est dans une époque où, pour croire en quelqu’un, il faut qu’il ait des vues sur YouTube donc, forcément, j’ai plaisir à constater que sur ce coup-là, cela s’est fait à l’humain et à l’artistique avant tout.
Tu es en premier lieu rappeur, mais tu es aussi dans la production. Tu joues de la guitare, de la basse, et tu sais aussi jouer un peu de batterie. On peut donc affirmer que tu es un artiste accompli. Comment s’est construite ton éducation musicale ?
J’ai grandi seul avec ma mère et elle était à la base chanteuse de Gospel. Elle a également fait du théâtre. Aujourd’hui, elle est conteuse d’histoires dans le sud de la France. Elle fait par exemple les contes Malgaches et Haïtiens. Elle a toujours plus ou moins été dans un univers artistique. Donc j’ai grandi avec quelqu’un qui avait cela dans le sang ! Ma mère, elle a toujours été dans la musique, elle donnait des petits concerts de Gospel, elle faisait aussi ses spectacles théâtraux, mais la vie l’a ensuite rattrapée. J’ai passé toute ma jeunesse avec une mère qui était au boulot. Avec la maternité, elle n’avait plus forcément le temps de s’exprimer dans son art, jusqu’à ce que je me barre de la maison. Donc ma mère a eu une influence prépondérante dans tout cela, avec tout son bagage Soul, Reggae. Elle avait toute une collection de vinyles de Nina Simone, Bob Marley And The Wailers. C’est là-dedans que je me suis fait musicalement. Mon père, même si ce n’est pas quelqu’un avec qui j’ai grandi, m’a aussi instruit musicalement. Il était à fond dans le Jazz et dans le Blues. Je me souviens aussi qu’il avait également des disques de Guru époque Gang Starr alors que j’écoutais encore 2Be3. Du coup, je ne peux qu’affirmer que mon éducation musicale a été faite par mes parents, je ne peux pas le nier. Ils m’ont fait baigner dans la musique depuis mon plus jeune âge. J’ai aussi un oncle bassiste de Jazz, il a joué avec des musiciens de Frank Zappa, et il a aussi joué pour Archie Shepp. C’est un grand monsieur du Jazz, reconnu dans le milieu. Il s’appelle Dominique Muzeau. Il m’a donné plein de bons conseils quand j’ai voulu commencer la pratique des instruments. Je m’étais aussi acheté une basse d’occasion et il m’avait bien sûr donné quelques cours.
Tu t’es exclusivement consacré au Reggae à une époque. Peux-tu nous raconter ce qui t’a poussé à faire ce choix ?
C’était mon époque lycée. La fameuse époque Mafia K1 Fry. Je me retrouvais pas tellement là-dedans, même si je suis né en banlieue et que j’ai grandi dans une cité. Cette ambiance trop « caillera », elle me fait mal à la tête. Sans prétention aucune, j’ai envie d’élever le truc. J’ai envie d’élever l’image des noirs et des arabes en France. J’ai pas envie de leur « donner ce qu’ils veulent ». Tu sais, un renoi peut aller à la fac, il peut aussi accomplir de grandes choses ici. C’est pas juste un mec qui va venir crier, en faisant le débile. Je trouve que certaines personnes donnent une image négative de la communauté Afro-Maghrébine. Du coup, j’étais vraiment dans ce combat-là, plus quand j’étais ado d’ailleurs, j’étais un peu dans le délire roots et pour faire passer ce genre de messages, je me suis mis dans le Reggae.
Mais en me mettant dans ce truc de « Reggae engagé », je me suis rendu compte qu’en France, les gens qui le faisaient, étaient vraiment des escrocs (rires). Personne n’est sincère là-dedans, ce n’est qu’une façade. Alors que j’étais habité de vrais combats à la base. Je faisais des morceaux sur les enfants soldats par exemple, j’étais dans un vrai délire. Mais au final, ça m’a vraiment dégoûté. Parfois, les auditeurs disent que je ne fais pas assez de « Rap engagé ». Cela vient du fait que j’ai été dégoûté des gens engagés en France. J’étais vraiment dégoûté de ces gens qui fument du tabac roulé à la vanille, ils m’ont saoulé. Je les connais bien, je les ai côtoyés et je trouve que c’est difficile d’être un homme de combats. Il y en a et j’en connais mais j’ai un peu été échaudé par tout ça. Je me suis mis dans le Reggae car j’avais envie de sortir de cette imagerie « caillera ». Et au final, j’ai trouvé pire.
Je vivais un espèce de yo-yo émotionnel. J’étais dégoûté de la cité, de cette mentalité dans laquelle les gens te jalousent, la mentalité « faux frères » en fait. Tu dis que tu es mon frère mais s’il y a un billet à prendre il n’y a plus de frères qui tiennent. J’ai ensuite été dégoûté par la mentalité bobo, genre l’altermondialiste qui te fait tout un discours sur les bienfaits des produits bio mais qui ira quand même taper son Mcdo dans la foulée. J’ai été dégoûté par ces deux milieux. Alors je me suis retrouvé le cul entre deux chaises. Je me sens au final plus proche de l’univers de la banlieue, car c’est là que j’ai grandi mais en même temps, j’ai jamais trop traîné au quartier car j’ai eu très vite l’envie de m’ouvrir. Quand je l’ai fait, les gens m’ont dégoûté, du coup j’avais l’impression de passer énormément de temps à chercher mon camp. Et j’ai fini par en quelque sorte créer le mien.
En parlant de créer ta branche, tu es souvent catalogué « rappeur alternatif ». Qu’en penses-tu ?
En fait, si on utilise le terme alternatif dans sa vraie définition, c’est à dire proposer quelque chose qui diffère de la norme, oui je suis alternatif. J’amène clairement mon truc. J’ai créé mon ambiance avec mes codes, mes références et ma culture. Après, si ma culture alternative passe au premier plan, ça me dérange pas du tout de passer mainstream.
La première fois que j’ai vu le teaser de ton album Libre, un moment a particulièrement retenu mon attention. Celui ou tu déclares qu’en réalité, Bipolaire et Art De Vivre n’étaient pas réellement des albums, mais qu’ils avaient une substance mixtape. Tu affirmes donc que Libre sera ton premier véritable album. Peux-tu nous en dire plus ?
Là ou c’est vraiment un album qui diffère de tous les autres, c’est qu’il n’y a aucune tentative. Je sais pourquoi j’ai fait tel ou tel morceau. Je sais pourquoi j’ai appelé tel producteur pour faire tel morceau. Je sais pourquoi ce featuring est là et pas un autre. Bref, rien n’est fait au hasard sur cet album alors que c’est ce qui caractérisait un peu Bipolaire et Art de Vivre. Je me suis par exemple amélioré en termes de beatmaking, j’ai même produit 3-4 morceaux, alors que ce n’était pas quelque chose que je mettais en avant. Là, on a porté le truc à un niveau supérieur. Avec DTWEEZER on a beaucoup travaillé, même s’il n’y a pas de prods à lui dans l’album, contrairement à ce que les gens pouvaient attendre. Il était sur d’autres projets donc je l’ai laissé un peu s’occuper de sa carrière sur ce coup-là. Je sais qu’il a vraiment envie d’être un producteur de carrière. Il a vraiment envie d’avoir une trajectoire à la Kaytranada par exemple, produire à l’échelle internationale. Du coup, je me suis dit que pour cet album, je vais appeler les mecs que je connais pour ce qu’ils savent faire. Il y a par exemple Kobé qui m’a produit les bangers de l’album, les morceaux un peu plus Trap. Il produit un feat avec 3010 qui s’appelle « Mes Frères ». Il y a aussi Mem’s, qui signe 2 prods pour mon album. Tu verras, ce gars-là est une pointure. Il est buté à tout ce qui est OVO (le label de Drake, ndlr), avec ses influences de Toronto. Globalement, il y a beaucoup de producteurs sur cet album. J’ai un peu fait comme Jay-Z époque Black Album, quand il a été récupérer la vibe de chaque producteur en studio pour garnir son projet.
Cet album, c’est un tournant pour la suite de ta carrière ?
Clairement, oui. On n’a parfois pas le recul nécessaire quand il s’agit de son art, mais j’ai l’impression d’avoir un album super bien produit. Tous les arrangements, les séquençages de batterie, toutes les utilisations de clavier… Tout est millimétré sur cet album. Il est par exemple beaucoup plus abouti musicalement qu’Art De Vivre. Je trouve que je me suis aussi amélioré, notamment au niveau de mes flows et de mes refrains. Je sais par exemple que mes refrains constituaient un défaut. Ils n’étaient pas assez accrocheurs. J’ai aussi mis beaucoup de passages instrumentaux, des solos de guitare et de claviers. Il y a aussi plus de musicalité dans cet album. Je le trouve vraiment au-dessus de ce que j’ai pu faire jusqu’à présent. Peut-être que le public ne verra même pas le travail qu’on a abattu sur ce projet.
Tu es aussi à la tête d’un label, Palace Prod. Peux-tu nous raconter comment l’idée de créer un label de production a germé dans ton esprit ?
Ce label est à la base un collectif que j’ai créé quand j’étais encore au lycée. Avec mes potes, on était fans de ce que faisait Kourtrajmé. On s’est dit qu’on allait prendre tous nos potes qui étaient dans un domaine artistique, pour créer un petit collectif et se donner de la force, mutuellement. Dans le collectif, il y a par exemple une amie styliste ou encore un ami qui bosse dans l’animation 3D. De fil en aiguilles, d’autres rappeurs nous ont rejoints.
L’ album Libre d’A2H sortira officiellement le 15 avril, mais il est déjà disponible en pré-commande. Sachez d’autre part qu’une semaine après, le samedi 21 avril, se tiendra sur la scène du Nouveau Casino la release party de son album. Outre A2H, vous pourrez retrouver les autres membres de Palace Prod, ainsi que d’autres invités, comme DTWEEZER. En attendant, on vous laisse patienter avec le dernier single issu de Libre, « Une Dernière Fois ».
Infos & Reservations : Event Facebook
Crédit Photos : RZOM, Justine Fauvel
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