Quelques heures avant son concert au Batofar, et après avoir eu la chance d’assister à un improbable concours de corde à sauter avec son acolyte de toujours Exile, Fashawn nous a accordé quelques minutes pour discuter de son activité récente, de la sortie de son dernier album The Ecology et du documentaire qui l’a accompagné à sa signature sur Mass Appeal, le label de Nas himself.
The BackPackerz : Dans une interview que tu avais faite juste après la sortie de ton dernier album, The Ecology, tu disais ne pas avoir eu le temps de profiter de Boy Meets Worlds et que tu le regrettais énormément. Ça fait maintenant sept mois que The Ecology est sorti. Alors, au final, as-tu cette fois réussi à en profiter ?
Fashawn : Absolument ! C’est la première fois que je passe l’été à la maison depuis un bout de temps. J’ai pu passer tout l’été à Fresno avec ma fille, ma famille et mes amis.
On pourrait penser que 2015 a été une année où je n’ai pas eu un moment de répit, mais cela a été tout le contraire. Cela m’a aussi permis de réellement cimenter ma relation avec Mass Appeal. Ce n’est plus uniquement professionnel, c’est une vraie famille maintenant. Et aujourd’hui je ne fais plus la différence entre travail et amusement, j’aime vraiment cela. J’avance tranquillement, au jour le jour. Ça me change vraiment du temps de Boy Meets World, où j’avais été comme aspiré dans un tourbillon dans lequel je ne maitrisais rien.
TBPZ : Pour accompagner la sortie de The Ecology, tu as sorti un documentaire très émouvant qui retrace ton parcours. C’est une démarche assez rare et originale. D’où t’est venue l’idée ? Et que représente ce documentaire pour toi ?
F : L’album devait représenter ce que j’ai toujours fait: rapper et faire de la musique. Le documentaire, lui, avait pour but d’expliquer pourquoi je faisais de la musique. Depuis des années maintenant, tout le monde sait qui je suis et ce que je fais. Mais ils ne savent pas exactement pour qui et pour quoi je fais ceci. C’est pourquoi je voulais leur offrir la possibilité d’en savoir plus.
Je voulais que le documentaire soit vraiment différent de l’album. Alors que je suis logiquement omniprésent dans ce dernier, dans le documentaire, on me voit à peine. Cela s’explique par le fait qu’il met avant tout en lumière les personnes qui sont importantes dans ma vie, les personnes qui me donnent la motivation, comme ma mère. C’est ce que doit être une œuvre comme The Ecology. Et cela, je ne peux le mettre seulement en musique: je dois donc te donner des images, en plus des clips vidéos, afin de te montrer correctement ce qu’est mon ecology, ce qui a façonné ce que je suis aujourd’hui. Si tu écoutes ma musique depuis le début, le documentaire est donc l’occasion de rencontrer de visu toutes ces personnes dont je parle sans cesse. En les voyant, ça te rapproche aussi de moi, de ma vie.
Le documentaire est aussi une opportunité pour moi d’exprimer des choses que je ne pourrais aborder autrement. Ma mère, mon oncle, ils parlent de choses auxquels j’ai dû faire face dans ma vie et dont il m’est très difficile de parler. Et c’est plus facile que cela soit fait à travers leur voix, leur perspective.
TBPZ : Je suis désolé de te poser la question, vu que je suppose que où que tu ailles tu es amené à y répondre, mais je me dois de le faire: comment en es-tu venu à travailler avec Nas ?
F : Avant tout, je dois dire que c’est un putain d’honneur de rapper aux côtés de celui qui est sans doute The G.O.A.T (ndlr : The Greatest Of All Time). Pour expliquer comment j’en suis venu à travailler avec Nas, il faut remonter en 2010 et la sortie de ma mixtape Ode To Illmatic. Après cela, toutes les comparaisons entre lui et moi ont pris encore plus de poids… Mais je n’ai jamais vraiment compris pourquoi, moi venant de la Côte Ouest et lui de la Côte Est.
TBPZ : Peut-être votre âge respectif lors de la sortie de votre premier album, le fait qu’ils soient tous les deux encensés par la critique et la maturité dont vous faites preuve sur ces projets ?
F : Oui, probablement : lâcher comme premier album un supposé classique. Et j’insiste bien sur le terme supposé ! Bref, à la suite de ça l’histoire a pris une peu d’ampleur et certains ont commencé à m’appeler le « West Coast Nas ». J’en pensais pas grand chose. J’ai toujours été un gros fan de Nas mais j’ai aussi toujours pensé que je devais me faire mon propre nom, apposer mes propres empreintes sur le rap game, tracer mon propre chemin. J’ai donc mis de côté tout ça pendant des années, n’y prêtant pas vraiment attention.
Peu après la sortie de Champagne & Styrofoam Cups en 2012, j’étais sur le point de mettre un terme à ma carrière. Ce projet je l’avais fait simplement parce que 2012 allait être une nouvelle année sans que je sorte un album. C’était la seule et unique raison, et c’en était une mauvaise. Alors je me suis dit « Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Fais-je de la musique uniquement parce que je dois le faire ? » J’ai alors vraiment pensé à tout arrêté.
La chose qui m’en a empêchée, c’est que dans le même temps je ne pouvais pas tourner le dos aux attentes, à la demande des gens. C’est ce que je dis sur « Higher ». Autour de moi, on me sollicitait sans cesse : » Hey Fash’, passe donc nous voir ! Hey Fash’, ramène toi au studio ! ». Donc même si j’étais complètement découragé, je continuais à faire mon taf. C’était comme une routine.
Puis un jour, je reçois un appel de mon manager. Il me dit tout de go : « Hey ! Nas veut te signer ! ». J’en ai presque lâché mon téléphone. Je lui ai dit « Te fous pas de moi ! ». Je regarde une nouvelle fois le numéro de téléphone qui s’affiche pour bien m’assurer que c’est lui. C’est le cas. Il me répète encore que Nas veut me signer. Et alors là… Ah mec ! Ça a été le jour le plus dingue de ma vie. Je n’en revenais pas, je ne pouvais toujours pas croire ce qu’il me disait. Alors je lui ai dit « Si tout ça est bien réel, si Nas veut vraiment me signer, il va devoir m’acheter un billet d’avion pour que je vienne le voir en personne ». Et c’est exactement ce qui c’est passé ! Nas m’a acheté un foutu ticket pour le rejoindre au SXSW (le festival South By South West, l’un des plus gros rendez-vous culturels annuels aux Etats-Unis, ndlr) à Austin dans le Texas. Là-bas, on s’est serré la main pour la première fois, il m’a amené sur scène avec lui et, depuis ce jour, je suis sur Mass Appeal.
TBPZ : Tu as récemment collaboré avec des artistes européens comme 20syl, Joke ou encore Shuko. Comment tu en es venu à faire de telles collaborations ?
F : Ça vient juste du fait que j’ai passé beaucoup de temps de l’autre côté de l’Atlantique ces derniers temps, et que je ne viens plus uniquement pour faire des concerts. Pour tout dire, durant mes deux derniers séjours à Paris, je n’ai pas fait de concert, je suis juste venu pour taffer avec 20syl et Joke.
Je ne pourrais pas vraiment expliquer pourquoi, je dirais juste que j’aime vraiment la vibe ici. Paris, c’est particulier : j’adore la ville et son ambiance. J’y ai passé tellement de temps que je me sens à moitié parisien maintenant.
Niveau son, ce que j’apprécie beaucoup ici, c’est que vous avez votre propre style. Vous tracez votre propre voie. La musique ici sonne vraiment authentique, pas une simple version parisienne de ce qui se fait aux États-Unis. C’est pourquoi j’ai autant de respect pour les artistes européens avec qui j’ai travaillé jusqu’ici et que j’y ai pris autant de plaisir.
TBPZ : Et y a-t-il des différences notables par rapport aux artistes américains ?
F : Non pas vraiment. Enfin il y a une exception notable: 20syl. Ce jour-là, cela a été la session la plus particulière que j’ai faite. J’ai écrit mes rimes directement dans le studio, entouré de pleins de chats. Et pendant que j’écrivais, il y a un chat qui se met à passer et marcher sur mon cahier, sans se soucier de moi. Le plus marrant, c’est que c’est ce même chat que l’on peut voir sur « Copycat ».
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