Omniprésent dans le rap game dans les années 90 et 2000, le personnage du maquereau, ou « Pimp » en anglais tire son origine dans l’histoire incroyable de Robert Beck, alias Iceberg Slim. Très célèbre écrivain afro-américain et ancien proxénète à Chicago dans les années 50, il publie en 1967 ses mémoires sous forme de roman intitulé PIMP. Une œuvre majeure qui a influencé la culture afro américaine et surtout un personnage dont nombre de rappeurs revendique l’héritage dans la grande Histoire du Hip-Hop.
Si la prostitution est le plus vieux métier du monde, alors celui de proxénète est surement le deuxième. L’art de manipuler une fille pour qu’elle fasse le trottoir et vous rapporte de l’argent porte un nom en anglais : Pimpin’, à savoir l’activité du pimp. Le pimp, c’est celui qui travaille sans effort, celui qui récolte l’argent gagné par ses filles.
Le pimp, c’est un personnage à la street credibility incroyable, quelqu’un qui a fait de la prison, qui roule en Cadillac, est couvert de bijoux, manteau de fourrure sur le dos, des liasses de billets plein les poches et très souvent entouré de belles créatures. Le pimp est capable d’ensorceler, d’impressionner et de controller non pas une, mais une dizaine de filles en même temps. Admiré de tous, il est à l’époque pour beaucoup un symbole de réussite au travers ses accessoires et son style de vie opulent. Parmi tous les pimps ayant existé, si on ne devait en retenir qu’un seul, ce serait sans aucun doute Robert Beck, alias Iceberg Slim.
Robert Beck constitue la référence incontournable en matière de pimp. Il représente le pimp originel, le premier du nom, celui qui a le premier décrit l’univers et le quotidien de ce personnage si controversé. Il doit son nom à un événement survenu un jour dans un bar où il était accoudé au comptoir. Une dispute éclate entre deux clients, un coup de feu part, et la balle vient se loger dans le chapeau de Robert Beck, incapable de bouger, trop défoncé à la coke et alcoolisé. Ses amis réagissent alors en lui disant qu’il a fait preuve d’un sang-froid incroyable, qu’il est tel un glaçon, un iceberg.
Robert Beck est né à Chicago en 1919 et passe la plus grande partie de son enfance dans l’Illinois entre Milwaukee et Rockford. Sa mère tient alors un modeste salon de coiffure qui lui rapporte à peine de quoi vivre. Après avoir été abandonnée par son mari (et père de Robert), elle est contrainte d’élever seule l’enfant et le confie à une baby sitter qui l’abusera sexuellement à l’âge de trois ans, et ce pendant plusieurs années (son roman commence d’ailleurs par le récit cru de ces évènements). C’est par ce biais qu’il apprendra la nature de la domination sexuelle.
Un jour, sa mère le force à revenir à Chicago avec elle, abandonnant lâchement l’homme avec laquelle elle avait refait sa vie, et pour qui le jeune Robert s’était pris d’affection. En partant, l’enfant dit adieu à la seule chance de stabilité qu’il pouvait espérer et vit très mal cette séparation forcée. Après cet épisode, la méfiance vis-à-vis de sa mère ne cessera de s’accroitre et c’est à ce moment-là qu’inconsciemment il commencera à développer une certaine haine vis-à-vis d’elle et des femmes en général.
Arrivé à Chicago, Iceberg se retrouve souvent seul, livré à lui-même pendant que sa mère arpente la ville en quête d’un travail. Il a 15 ans et découvre le ghetto, commence à glisser doucement dans la délinquance au contact d’arnaqueurs en tout genre qui lui montrent les ficèles du métier. Renvoyé de son université, il traine de plus en plus dans la rue et rencontre Pepper, une ex-prostituée mariée à un riche homme blanc. Pepper initiera Iceberg à tous les vices de la vie et en particulier la drogue et le sexe. Cette expérience le conduira en prison, à l’âge de 18 ans, pour une histoire de cambriolage.
Jamais son envie de devenir le roi de la rue n’aura été plus forte qu’à ce moment-là. Dans sa cellule, il entend ses codétenus parler prostituées, argent et proxénétisme à longueur de journée. Il ouvre ses oreilles, écoute les histoires, prend les conseils, et se rend vite compte que les plus talentueux d’entre eux sont ceux qui font le moins de sentiment. C’est alors qu’il commence à se créer son personnage, froid, impénétrable et dénué de toute émotion.
A sa sortie de prison en 1942, c’est déterminé qu’il revient en ville. Chicago est à l’époque une ville très dure, où cohabitent drogue, arnaques et de nombreux règlements de comptes. Beck commence à faire travailler quelques filles pour lui sur le trottoir et se forge une réputation d’homme à la fois loyal et très dur. C’est lui qui fixe les règles et si elles ne sont pas respectées Iceberg n’hésite pas à sévir et à battre très fort ses filles pour lesquelles il n’exprime aucune émotion, pas plus que pour ses rivaux ou pour les flics.
Aucune d’elles n’était capable de lire quoi que ce soit en lui, ce qui le rendait très impressionnant et lui permettait de garder un ascendant psychologique et physique. Certaines iront jusqu’à dire qu’il « jouait à Dieu », même s’il était capable d’un peu de tendresse malgré tout, ne pouvant se contenter de les tabasser à longueur de temps. Distillant un peu d’amour de temps en temps, il se devait d’être une sorte de figure paternelle afin d’asseoir son statut et être sûr qu’aucune d’elle n’ait envie de fuir pour de bon.
Iceberg Slim retournera en prison en 1945 d’où il réussira à s’échapper en 1947, c’est alors qu’il deviendra accro à l’héroïne et la cocaïne. Rattrapé par la justice quelques années plus tard, il se retrouve à l’isolement total. Pour éviter de sombrer dans la folie, il se débrouille pour trouver des échappatoires et développe des conversations seul et joue à des jeux psychologiques avec lui-même qui lui permettent de rester à flot, tant bien que mal.
Il continuera après sa sortie de prison ses activité de proxénète entre drogues, filles, et belles voitures, obtenant le statut de pimp le plus réputé et le plus puissant de tout Chicago, craint et admiré de tous. Ce n’est qu’en 1961 qu’il retrouve sa mère, malade, à Los Angeles. Cette dernière décèdera la même année et c’est dans la foulée de cet évènement qu’il décide de mettre un terme à sa vie de mac, fonde une famille et se lance dans l’écriture de son livre PIMP.
PIMP, paru en 1967, sera le premier livre à l’époque parlant de la vie des noirs américains. Ce livre reflète la dure réalité de la rue de façon à la fois très crue et poétique qui rend l’ouvrage très intéressant. Iceberg ne se contente pas de raconter l’univers du « game », mais il s’attarde aussi sur la douleur de ce dernier. Il y livre ses états d’âme, raconte d’où il vient et toutes les épreuves qu’il a traversé pour en arriver là. A vif, sans filtre, brutal et avec une élégance littéraire incroyable, même si bourré de mots d’argo (il acceptera à la demande de l’éditeur de faire un lexique à destination des lecteurs), Slim donne presque l’impression qu’être Pimp est un truc sympa, un des jobs les plus cool du monde.
A la suite de PIMP, deux autres romans suivront à savoir Trick Baby, paru également en 1967, racontant l’histoire d’un arnaqueur blanc aux yeux bleus surnommé « White Folks » qui deviendra plus tard un film Blaxploitation, et Mama black Widow en 1969, à propos d’un homosexuel afro américain, véritable sujet tabou à l’époque. Ces trois ouvrages majeurs constituent pour un grand nombre de critiques la « Trilogie du ghetto » et vont avoir un impact considérable sur la littérature afro-Américaine, au point qu’Iceberg Slim soit toujours aujourd’hui cité comme un des écrivains les plus influents de son époque.
En publiant tous ces ouvrages, Robert Beck replonge dans son passé et cet univers qu’il ne connait que trop bien. Il s’éloigne petit à petit de sa femme et ses quatre enfants pour des raisons de business et de promotion diverses. Il sera diagnostiqué avec un diabète sévère dans les années 1970, qui lui passera l’envie d’écrire. Peu assidu à son traitement, sa famille prend de plus en plus ses distances avec lui, et il décède en 1992 à Los Angeles des suites de la maladie.
Il est à noter qu’en plus de ces trois livres phares, Iceberg Slim a également publié d’autres ouvrages sous forme de recueil de réflexions personnelles (Public soul of Iceberg Slim), ou encore de roman noir (Death Wish). Il ira même jusqu’à sortir en 1976 un album appelé Reflection sur lequel il raconte sa vie de mac, tout en poésie sur fond musical à la manière d’un slameur. A l’écoute de ces mots, toute une génération de jeunes adolescents sont touchés et influencés par ce qu’ils entendent.
Au travers de cet héritage laissé, on peut aisément mesurer l’influence importante d’Iceberg Slim sur le mouvement Hip Hop. Le pimp rap, ou gangsta rap, trouve en effet ses origines dans ce personnage, popularisé par ses écrits et dans les quelques films Blaxploitation de l’époque (Super Fly, The Mack, Willie Dynamite) qui encreront davantage le pimp dans la culture américaine.
Même si très peu d’artistes se revendiquent ouvertement d’Iceberg Slim, il est clair que ce dernier a été une source profonde d’inspiration pour un grand nombre d’entre eux. Doit-on s’attarder sur les pseudonymes d’Ice-T et Ice Cube pour faire le lien avec le personnage de Robert Beck ? Le pimp va tenir un rôle prépondérant dans le rap game pendant au moins deux décennies, nombre de gangsta rappeurs adoptant le style grosse voiture, bijoux, vêtements tape à l’œil et filles dénudées dans leurs clips.
Si Spoonie Gee fut un des premier à évoquer ces thèmes, en particulier celui du sexe, dans ses chansons, Ice-T raconte lui sa courte expérience de pimp dans sa jeunesse et reprend l’ensemble des codes du personnage. Slick Rick se pare de couronne, dents en or et grosse chaine qui brille, et Too $hort intitule un album Shorty the pimp, où il enchaîne les références et fait l’éloge du Pimpin’.
Dans les années 90, d’autres rappeurs joueront du personnage, Pimp C décide carrément de se l’attribuer comme surnom, Snoop Dogg, manteau de figure sur le dos, ne cessera d’incarner la figure mythique dans ses clips. Au tournant des années 2000, le nouveau visage du gangsta rap 50 Cent démocratise définitivement le terme avec son tube interplanétaire P.I.M.P tandis que Jay-Z fantasme une vie de Pimp moderne avec son Big Pimpin.
Il serait très long de faire la liste exhaustive des rappeurs ayant emboité le pas de ceux cités précédemment, et même si le mouvement du gangsta rap aujourd’hui est en perte de vitesse au profit de genres nouveaux, il aura indéniablement contribué à faire ce que le hip hop est ce qu’il est aujourd’hui, et le rôle d’Iceberg Slim n’y est certainement pas anodin, loin de là. En 2013, Ice-T a d’ailleurs choisi de faire la lumière sur l’influence d’Icerberg Slim avec son documentaire Iceberg Slim: Portrait of a Pimp.
Pour conclure, il est intéressant de relever ce que dit Iceberg Slim lorsqu’un journaliste lui demande ce qu’il pense du fait que son livre ai pu encouragé un grand nombre de jeunes à devenir des macs à la lecture de celui-ci. Voici ce qu’il répond avec une lucidité implacable : « Je pense que c’est très malheureux, qu’il y ait eu tant de jeunes noirs qui n’aient pas assez réfléchi et qui sont passés à côté du message principal du livre à savoir que rien de bien ne m’est arrivé à part la prison, une dépendance à l’héroïne, la détresse et le gâchis complet de ma vie. J’ai bêtement essayé d’avoir quelque chose pour rien. Et à chaque fois que vous essayez d’avoir quelque chose pour rien, vous en souffrez, d’une façon ou d’une autre ».
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