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Flashback : Novembre 2013, je pose mes valises à NYC le temps d’un week-end. « Une pure folie », me diront certains. Seulement voilà, recevoir une invitation pour le 3ème et ultime laboratoire d’idées sur l’éducation grâce au hip-hop était un cadeau du ciel qui ne se refusait pas. En plein cœur de Harlem, j’allais alors rencontrer Christopher Emdin, Martha Diaz, Marley Marl, entre autres, mais aussi Ian Levy.
Comment aurais-je pu deviner que sous son costard-nœud pap se cachait un costume d’artiste hip hop !? Vous aussi, vous n’y croyez pas vos oreilles ? Alors tenez-vous prêt à découvrir l’identité d’un super-héros made in USA surnommé « Professor », qui vous sauve le matin avec ses livres et le soir avec ses mots, 24/7 avec la même passion et le même but : faire bouger les choses.
Skype. Dimanche 28 Septembre. Vingt minutes viennent tout juste de s’écouler depuis son week-end rythmé par des conférences à Washington DC, et pourtant Ian Levy se prête volontiers au jeu de revenir sur des épisodes qui ont marqué sa vie que l’on pourrait renommer « mosaïque ».
Tout d’abord, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Ian Levy, je suis un artiste hip-hop, conseiller d’orientation-psychologue, et doctorant à New York City. Je fais une thèse sur l’éducation scolaire et l’éducation à la santé à l’université de Columbia. J’effectue des recherches au sein même des écoles sur l’efficacité du hip hop comme outil thérapeutique sur un plan psychologique. Mon intérêt pour ce sujet est venu de mon travail en tant qu’artiste où j’ai remarqué avec du recul que le hip hop m’a servi de thérapie. Ecrire sur ce que je ressentais et le mettre en musique, et raconter les épreuves que je traversais grâce à cette forme artistique m’a aidé à grandir. Je voulais donc offrir cette même possibilité aux étudiants.
Parlons à présent de ton EP. Dans le morceau Thelonious, tu dis : « Mais je remarque que la communication n’a jamais été une affaire de choix». Dirais-tu alors que tu as utilisé le hip hop comme un outil de communication ?
Exactement ! Quand je me suis rendu compte que je gardais au fond de moi des épisodes difficiles de ma vie sur le plan émotionnel, je ne savais pas comment en parler aux autres, et, sans même le faire consciemment, le hip hop est devenu un espace où je pouvais dire ce que j’avais sur le cœur. Dès lors que je me retrouverai au beau milieu d’un « cypher » dans un parc ou que je serai simplement en train d’écrire un morceau avec des amis, je leur dirai toutes ces choses-là. A travers ce moyen de communication acceptable en société, les gens me disaient qu’ils adoraient ce que j’écrivais, ce qui me rassurait même sur le simple fait de m’exprimer. Je pense que les choses auraient été différentes si j’avais rencontré toutes ces personnes inconnues la minute précédente et que je leur avais soudainement confié tous mes malheurs.
A quel âge as-tu commencé à rapper ou à t’intéresser au hip-hop ?
Le hip-hop m’intéresse depuis 2009 donc c’est encore tout nouveau pour moi. J’ai grandi en jouant de la trompette, mon père était et est toujours un joueur de trombone jazz, ma mère, quant à elle, est chanteuse d’opéra. La musique tient donc une grande place dans mon éducation.
A quel moment as-tu choisi de composer un EP ? Combien de textes avais-tu quand tu t’es décidé à créer un EP ?
J’avais certainement écrit quatre chansons en plus des piles de textes avec lesquelles je n’avais encore rien fait et que je voulais retravailler avec des amis qui étudiaient à l’école de musique de Manhattan. C’est d’ailleurs une super école sans cesse comparée à celle de Juliard – elles sont les deux plus grandes à New York. Mes parents y sont allés, et aujourd’hui beaucoup de mes amis vont là-bas parce qu’elle se situe juste en face l’université de Columbia. Par conséquent, je vis dans le même quartier que tous ces musiciens, ce qui est vraiment génial.
En plus, je suis devenu ami par hasard avec ce type qui travaille dans un studio, le Candid Music Group, situé à Brooklyn. J’y avais fait un saut uniquement pour leur parler de ma vision des choses sur cet EP et ils ont tout de suite été emballés. Ils m’ont donc aidé à composer davantage d’instrumentales. J’ai ensuite continué d’écrire et les quatre compositions de départ ont fini par être huit.
Combien de temps as-tu travaillé sur cet EP ?
Avec les membres de Candid, j’ai travaillé dessus cinq mois environ mais je dirais que l’EP entier a pris un an et demi de travail car il y avait des choses que je détestais et donc que je jetais, puis que je finissais par aimer – cela a été un processus de recherche pour véritablement enregistrer.
A quel public pensais-tu en composant cet EP ?
Je voulais :
Au niveau du contenu, je voulais associer mon parcours d’éducateur à celui d’artiste pour qu’ensuite je puisse présenter cet album devant un parterre d’académiciens mais aussi de fans de la culture hip hop. Ainsi, je serai en mesure d’interpréter ces chansons lors d’une conférence et de capter à la fois l’attention des étudiants et des professeurs. Je ne me vois pas uniquement comme un rappeur, je me considère être un artiste mais aussi un professeur et je voulais être en mesure d’exercer ces deux métiers simultanément.
Pourquoi avoir intitulé ton EP Mosaic ?
Un des titres que je désirais avant de trouver Mosaic était « Kaléidoscope » mais Bruno Mars avait déjà intitulé un de ses albums de la sorte donc j’ai dû m’orienter vers autre chose. A la base, j’aime les objets qui recouvrent une même signification, c’est pourquoi j’étais à la recherche d’un objet composé de différents morceaux qui s’accordent très bien ensemble mais qui restent indépendants les uns des autres – telle une identité complexe et déstructurée. C’est alors que j’ai pensé aux mosaïques. Mes recherches sur la thérapie à travers l’utilisation du hip-hop en plus de mes nombreuses difficultés éprouvées sur le plan émotionnel me donnent l’impression d’avoir une partie de moi qui est brisée mais qui s’ajuste parfaitement avec l’autre pour ne former qu’une seule et belle image.
Parce qu’il vient souvent d’un milieu privilégié, un blanc doit vivre le hip hop de manière différente et raconter de tout autres histoires.
Contrairement à ton clip de Thelonious, ceux des rappeurs montrent une hyper virilité. Penses-tu que cela est vraiment leur souhait le plus cher ou sont-ils emprisonnés dans un cercle vicieux ? Dans un ouvrage écrit par Bronwen E. Low, j’ai lu que « cette misogynie est un symptôme d’un sexisme global que l’on trouve à la fois dans le hip hop, la culture afro-américaine et notre société de manière générale ». Ainsi, il semble que les rappeurs soient influencés par tout cela. Es-tu d’accord avec ces remarques ?
Je pense qu’ils sont prisonniers de ce système mais qu’ils peuvent encore choisir de brosser un tel portrait d’eux-mêmes. Tout découle des fondements de notre société, et le type de messages envoyés aux jeunes. La musique constamment martelée par la domination du hip hop est ce genre de discours tenu. Lorsque le hip hop est arrivé sur le devant de la scène, ce n’était pas son dessein. Les gens l’utilisaient pour faire pression afin de repousser les inégalités, c’était une sorte de mouvement pour la justice sociale, et c’est encore le cas de bien des façons. Mais je ne pense pas que les rappeurs représentent les femmes de cette manière parce qu’ils ne les aiment pas, je crois que c’est plus « c’est ce que j’ai appris qu’il fallait faire». Si je suis un jeune grandissant dans un quartier pauvre et que je vois Lil Wayne, Wiz Khalifa ou Chief Keef à la télé, je vois des gens qui me ressemblent et qui ont réussi, donc je veux devenir comme eux. Cependant, pour un Blanc, c’est triste parce qu’il est privilégié – quand je jette un œil aux médias, les Blancs ne sont pas aussi nombreux – donc il est contraint de vivre le hip hop de manière différente et raconter de tout autres histoires.
Parlons maintenant de ton travail en thèse. Dans le morceau Mosaic, tu dis : « Je me suis posé des questions en milieu de semestre, comment est-ce possible que tu ne fasses l’impasse sur le hip hop dans un cours sur la culture urbaine ? » Avais-tu remarqué que les professeurs passaient à côté de quelque chose ? Comment en es-tu venu à étudier à la fois la santé mentale et le hip hop ?
J’étais de plus en plus stressé à l’idée d’être diplômé et, de ce fait, de commencer un autre chapitre de ma vie. Je ne savais pas quoi faire de toutes ces émotions, donc j’ai écrit un morceau à ce sujet. Une fois terminé, je me suis senti beaucoup mieux, et j’avais alors le sentiment que davantage de portes s’ouvraient à moi. C’est à ce moment-là que j’ai fait le lien. Je me suis demandé si l’université de Columbia accepterait cette idée du hip hop car cet établissement était pour moi l’un des meilleurs aux Etats-Unis et je voyais le hip hop comme symbole de la rue. Comment ces deux mondes antagonistes pouvaient-ils s’entendre ? Lors du weekend d’admission pour les étudiants, on nous a donné un sac de bienvenu remplis de cadeaux dont un magazine. Je l’ouvris à une page au hasard sur laquelle apparaissait Professeur Emdin revêtu d’un nœud-papillon et tenant un poste radiocassettes dans les mains ; on voyait aussi son ouvrage Urban science education for the hip-hop generation. Toutes mes craintes s’envolèrent par la fenêtre. Je suis allé le voir et il m’a apporté tout son soutien.
J’ai choisi un cours sur les théories d’orientation et de psychologie, et le projet final consistait à écrire une dissertation dans laquelle je devais combiner les théories existantes aux miennes. J’ai alors créé ce que j’ai appelé la thérapie grâce au hip hop et au spoken word. A la suite de cela, mon professeur m’a dit de soumettre ce devoir à une maison d’éditions, et mon travail a été diffusé dans le Journal Poetry Therapy. Une fois l’article paru, j’ai commencé à me rendre à des conférences avec Emdin et ensuite j’y allais tout seul. J’ai obtenu un créneau pour m’exprimer en tant que représentant des étudiants au TEDx à l’université de Columbia, puis j’ai commencé à travailler en tant que conseiller d’orientation-psychologue. L’année dernière, j’ai postulé pour faire une thèse et j’ai été accepté : je commence donc un nouveau cursus que j’espère finir en trois ans.
Quels sont tes espoirs et tes projets pour l’avenir ?
Ce serait génial d’être professeur d’université mais là maintenant je veux simplement rédiger une thèse de qualité qui me donnera l’opportunité de faire mon travail à plus grande échelle. Je ne serais pas là si je n’avais pas commencé à rapper dans ma chambre universitaire en 2009, et tout ceci est un réel plaisir pour moi car cela confirme amplement qui je suis et ce que je veux faire dans la vie. J’aimerais voyager, quitter les Etats-Unis – ce fut un tel bonheur d’être à DC ce weekend et je n’en suis pas rassasié, bien au contraire. Découvrir une nouvelle culture grâce à ma passion serait juste incroyable.
Vous pouvez écouter l’EP Mosaic de Ian Levy sur son profil Bandcamp ci-dessous.
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