IAM – Rêvolution

Un nouvel album d’IAM n’est jamais à prendre à la légère, surtout à quelques semaines des élections présidentielles, surtout lorsque la période est aussi dégueulasse que celle que nous vivons aujourd’hui. Si les Marseillais n’ont pas oublié l’adage du hip-hop, « Peace, Unity & Having Fun », ils sont assez lucides pour savoir que leurs voix portent et que le message qu’ils véhiculent a un sens profond et important. Et si on devait synthétiser Rêvolution en quelques lignes, on pourrait dire ceci : IAM est lucide mais incite à vivre sa propre vie en refusant les diktats d’un monde qui marche sur la tête. Evidemment, Rêvolution, synthèse des deux mots-clés de ce disque, rêve et révolution, est bien plus complexe que ces quelques phrases, mais disons que l’idée principale est là.

Addicts au hip-hop

IAM incite à poursuivre ses rêves coûte que coûte, en faisant la révolution si besoin. Ils interdisent à quiconque de se mettre en travers de leur route et de celle de leurs auditeurs et se posent en exemples vivants : quand on croit fort à quelque chose, on peut y arriver. Les membres du groupe sont des old timers, et c’est dit avec le plus grand des respects, ce qui les autorise à faire profiter leurs auditeurs, certainement plus jeunes, de leur expérience (« Grand rêves, grandes boîtes »). Et puis, il y a une envie toujours aussi forte de le faire. A ceux qui pensent qu’ils sont has been ou périmés, ils répondent dès le premier track : « Depuis longtemps ». Oui, ils sont là depuis un bail, mais ils ont toujours autant le besoin et l’envie de dire des choses, de rapper, de vivre des moments forts. En un sens, ils présentent tous les symptômes d’une addiction profonde et tant pis pour leurs détracteurs, il est trop tard pour changer… Alors hip-hop ils sont, hip-hop ils restent, cet album en est la preuve avec de très nombreux passages de scratchs qui, en respectant la modernité du disque, lui donne un petit côté à l’ancienne pas désagréable, bien au contraire.

Il semble surtout que si le fond est toujours aussi profond, la forme se veut plus libre, plus joueuse, plus ouverte et qu’IAM ne s’interdit rien tant que le son est bon. Le résultat, ce sont des prods assez différentes, parfois très rap « classique » sans tomber dans la nostalgie, parfois gorgées de soul, de funk et plus surprenant de reggae. A noter que toutes sont « maison » et qu’aucun beatmaker extérieur n’est intervenu. On assiste d’ailleurs avec plaisir à la reformation de leur connexion avec Nuttea qui a si bien fonctionné dans les 90’s. Mais IAM n’est pas nostalgique, au contraire. Si le fond est profond, le rap et les paroles matures, la forme elle laisse penser à une espèce de renouveau car il y a une sorte de rupture avec les disques précédents qui semble évidente avec moins de contraintes, plus de liberté et donc plus de créativité, comme si IAM ouvrait, du haut de ses presque 30 ans de carrière, une nouvelle ère de son histoire.

On l’a dit, ils sont lucides et ils savent que non, ce n’était pas mieux avant, ni au niveau social, ni au niveau économique et que si les temps sont durs, il y a malgré tout quand même eu du progrès (« Rigamortis ») et qu’il vaut mieux toujours regarder devant que derrière. Ils le disent eux-mêmes, ils restent « Orthodoxes », en refusant le plan de la société visant à consommer plus et insistent sur le fait que l’on peut vivre autrement. L’orthodoxie se résume aussi chez eux au respect des valeurs du hip-hop, dans le fond et la forme : il faut dénoncer, travailler, évoluer et ouvrir l’esprit des auditeurs. Parce que les membres d’IAM restent des observateurs avisés, revendicatifs, parfois un peu durs mais toujours avec poésie tant leur plume est puissante. Shurik’n a parfois parlé de son rôle d’observateur, il semble que là encore, lui et AKH se fassent le reflet de tendances très nettes dans notre société comme dans le titre « Fiya » (un passe-passe à trois avec Lino d’une très grande technique par ailleurs).

Nous contre eux, rêve contre réalité

IAM fait la différence entre les rêves et la réalité. Les nôtres, que nous n’arrivons pas forcément à atteindre par manque d’ambition parfois (« Bad Karma ») et pour lesquels nous ne pouvons nous absoudre de nos responsabilités car il y a réellement possibilité de changer les choses si on y croit assez et surtout qu’on y travaille. Cette dichotomie entre rêve et réalité se retrouve aussi dans un morceau comme « Danse pour le hood » qui oppose les fantasmes que la télé, les dirigeants ont sur le quartier et ce qui s’y passe vraiment. A trop mettre l’accent sur le négatif, on en oublie que des gens y ont une vie « normale » si tant est que ce terme ait encore un sens. Car IAM prône aussi le dépassement de ces vies banales (« Rêvolution », « Chanson d’automne ») et là encore, il y a une opposition forte entre le peuple et les puissants/dirigeants que l’on retrouve aussi plus brutalement dans « Monnaie de singe ». S’ils restent opposés au rap, c’est parce que le rap pointe du doigt leurs magouilles, leurs malversations et qu’ils les mettent face à leurs responsabilités et ces messieurs n’aiment pas ça. Et s’ils se conduisent ainsi c’est aussi parce qu’ »Ils ne savent pas » ce que le peuple endure pour ne serait-ce que survivre, qu’ils ne connaissent pas la vie dans laquelle il faut lutter, rester debout dans l’adversité.

Tant qu’il reste de l’espoir

Car tout n’est noir non plus. Si le constat est amer (« Terre aride »), IAM y voit aussi de l’espoir. Si le groupe insiste sur cette notion de ne pas se contenter de ce que l’on a mais de toujours chercher à atteindre ses rêves, de trouver le bon chemin, de faire le mieux possible (« Life I Live »), il pense aussi qu’il fait vivre l’instant présent, profiter des siens, des bons moments, rire, garder le bon et se débarrasser du reste. Eux-mêmes ne veulent pas d’ »Auréole ». S’ils peuvent être des exemples, ce sont aussi des hommes qui ont fait du bien et du mal comme n’importe qui. Ils ne s’exonèrent pas de leurs fautes et les assument, une façon aussi de dire à l’auditeur : « je suis comme toi », et comme nous, ils essaient d’ »Exister » au mieux, avec un titre plus joyeux et très entraînant qui vise à redonner le sourire et surtout de l’espoir dans une société morose qui en manque cruellement.

Parce que c’est l’espoir qui nous pousse à rêver de quelque chose de « Bien plus beau », le dernier track de l’album en forme de conclusion lumineuse : peu importe finalement les difficultés, on continue d’avancer, on se relève, on se reprend, on retrouve l’envie car le feu brûle en nous et on ne pourra jamais l’éteindre même si parfois, il faut se battre pour garder la de la joie en nous.

Grégory Curot

Passionné de rap français depuis 1990, il a été journaliste à RER, RAP MAG et Daymolition. Il a vu l’envers du décor et vécu des choses folles avec ses idoles.

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