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IAM en 10 titres essentiels

Par définition, établir une sélection de dix titres dans une discographie aussi foisonnante et riche en morceaux de qualité comme peut l’être celle d’ IAM est une vraie gageure. Il y aura forcément des mécontents, des questionnements, des réflexions etc. C’est normal. On pourrait faire le test et demander un top 10 spécial IAM à 200 personnes, on aurait certainement 200 classements différents. A chacune sa sensibilité, son lien avec tel ou tel morceau, ses souvenirs. Bref, il y autant de raisons possibles que de morceaux, autant de choix que de personnes. Même entre nous, il a fallu batailler pour composer un top 10 susceptible de satisfaire le plus grand nombre. La liste publiée ci-dessous résulte donc de critères tout aussi objectifs que subjectifs, mais on assume et on est prêt à en discuter dans les commentaires.

« Tam-tam de l’Afrique »

Alors que la cassette Concept n’a que peu été diffusée au-delà des frontières de la cité phocéenne, … De la Planète Mars, premier album « officiel » d’IAM sorti en 1991 permet au groupe de prendre une dimension nationale grâce à plusieurs titres dont le très fort « Tam-tam de l’Afrique ». Ce morceau sortira également en maxi et existe donc en différentes versions, en compagnie d’autres titres qu’on ne retrouve pas sur l’album. Dans « Tam-tam de l’Afrique », IAM impose ce qui constituera un de ses fondements, le storytelling engagé. Ici, il n’est pas question de quartier, de galère ou de cité. Pour un de ses premiers titres avec une diffusion aussi forte, le groupe marseillais a voulu frapper fort en s’attaquant directement à un thème poignant, l’esclavage. En racontant les tourments des esclaves vendus pour une bouchée de pain pour aller travailler pour des maîtres blancs brutaux et sans pitié, IAM fait preuve d’humanité et de responsabilité. Fort et éloquent, IAM fait d’un sujet difficile un beau morceau de rap plein de poésie et de fureur à la fois, poussant l’auditeur à la réflexion.

« Ils sont arrivés un matin par dizaines par centaines/Sur des monstres de bois aux entrailles de chaînes/Sans bonjours ni questions, pas même de présentations, ils sont installés et sont devenus les patrons/Puis se sont transformés en véritable sauvages/Jusqu’à les humilier au plus profond de leur âme/Enfants battus, vieillards tués, mutilés/Femmes salies, insultées et déshonorées/Impuissants, les hommes enchaînés subissaient les douloureuses lamentations de leur peuple opprimé »

« Sachet blanc »

Tiré de leur deuxième album, Ombre est lumière qui sort dans les bacs en 1993 et qui est le premier double album de l’histoire du rap français, « Sachet Blanc » prend une résonnance particulière quand IAM reçoit une Victoire de la musique en 1995. Alors que tout le monde s’attend à ce que le groupe marseillais joue son tube imparable « Je danse le mia », les membres d’IAM prennent tout le monde à contre-pied en interprétant « Sachet Blanc » à la surprise générale, mettant là encore un point d’honneur à ouvrir les yeux et les oreilles des auditeurs et des spectateurs sur les ravages de la drogue. Que cela soit d’un point de vue de ceux pris au piège ou des dealers qui ne s’intéressent pas au malheur qu’ils répandent avec leur poudre, AKH et Shurik’N s’attaquent frontalement à un sujet là encore particulièrement difficile, une façon aussi de dénoncer les ravages de l’héroïne dans leur ville. Devant une telle situation, IAM ne peut pas se taire et dénonce dans un texte glaçant et saisissant de réalisme qui fait froid dans le dos. Pour eux, le rap ce n’est pas que de la musique, c’est aussi le moyen de mettre en lumière les problèmes qui ravagent la jeunesse.

« Les pas d’un pauvre mec pressé le mènent à une mort certaine et précoce/Il le sait depuis le jour où il a vu son frère échanger/Un sachet blanc contre de l’argent avec un mec du quartier/Alors pourquoi ne pas faire comme lui/Il trouva de l’argent pour acheter son coin de paradis/Un billet en première pour l’extase en charter/C’était bien cher payer pour une jouissance éphémère/Et aujourd’hui, telle est son existence/Vendre des petits paquets pour assouvir sa dépendance. »

« Je danse le mia »

Qu’on le veuille ou non, dans la carrière d’IAM, il y a un avant et un après « Je danse le mia ». Avant, les Marseillais forment un groupe de rap qui connaît un certain succès. Après, IAM est un groupe populaire qui touche toutes les couches de la population. « Je danse le mia » a été un carton phé-no-mé-nal qui a permis à IAM de franchir un vrai cap en termes de popularité. Si la version la plus connue, celle qui est sorti en single n’est pas la version album, elle sample une chanson de George Benson particulièrement entraînante « Give Me The Night ». En 1994, ce titre est le deuxième single le plus vendu en France derrière « Seven Seconds » de Neneh Chery et Youssou N’Dour. La chanson, très ironique, évoque les soirées festives marseillaises du début des années 80 et livre aussi des indices sur la personnalité des membres du groupe à ce moment-là. Le clip tout autant rempli d’humour a lui aussi contribué au succès du Mia. On peut même penser que l’incroyable succès de ce morceau a permis à l’album d’IAM qui a suivi, L’école du Micro d’Argent d’être le plus grand succès commercial du groupe. Submergé par le succès du Mia, critiqué par les autres rappeurs, IAM a longtemps refusé de le jouer sur scène avant de se rendre compte que les gens les aimaient aussi pour cela et l’ont finalement remis sur leur set-list pour le plus grand plaisir des spectateurs. Osez nous dire que vous n’avez jamais dansé le mia en soirée ?

« Je danse le mia, pas de pacotille/Chemises ouvertes, chaînes en or qui brillent/Des gestes lents ils prenaient le temps pour enchaîner/Les passes qu’ils avaient élaborées dans leur quartier/C’était vraiment trop beau/Un mec assurait, tout le monde criait « ah oui minot ! »/La piste s’enflammait et tous les yeux convergeaient/Les différents s’effaçaient et des rires éclataient »

« Petit Frère »

L’histoire de « Petit Frère » aurait pu être tout autre si IAM n’avait pas décidé de refaire totalement L’école du micro d’argent. Porté par l’incroyable succès du tube « Je danse le mia », Akhenaton et les siens n’ont pourtant pas décidé de se reposer sur leurs lauriers. La preuve, L’école du micro d’argent sera leur plus gros succès commercial en termes de ventes d’album. Mais avant d’arriver à un tel résultat, il a fallu du travail, beaucoup de travail car les Marseillais, peu satisfaits de la première mouture de leur projet ont tout simplement décidé de tout jeter avant de tout reprendre à zéro ou presque. Ce qu’ils voulaient, c’est un disque qui réussirait à synthétiser leurs influences new-yorkaises de l’époque. « Petit Frère » est un des rares titres à avoir échappé à l’écrémage, peut-être parce qu’il contient déjà un sample d’un morceau du Wu-Tang Clan. Constat lucide sur la jeunesse de la fin des années 90, « Petit Frère » décrit l’état d’abandon, de déliquescence dans laquelle elle se trouve. Lucide et violent, ce morceau deviendra pourtant un classique, bastonné en radio, même si la télé a eu du mal à le jouer en raison de sa crudité. IAM peut faire des tubes, le groupe n’en oublie pas sa mission première : dénoncer, mettre les gens en face de vérités qui les dérangent. L’histoire de ce gamin peut faire frémir, elle n’en reste pas moins symptomatique d’une jeunesse à la dérive qui trouve un exutoire dans la violence et le trafic. « Petit Frère » est devenu un classique dans un disque qui l’est tout autant.

« Petit frère rêve de bagnoles, de fringues, de tunes/De réputation de dur, pour tout ça il volerait la lune/Il collectionne les méfaits sans se soucier/Du mal qu’il fait tout en demandant du respect/Peu lui importe de quoi demain sera fait/De donner à certains des raisons de mépriser son cadet/Dans sa tête le rayonnement du tube cathodique/A étouffé les vibrations des tam-tams de l’Afrique. »

« Demain c’est loin »

Difficile d’écrire sur ce que l’on peut certainement considérer comme le meilleur titre de rap français de l’histoire. Bien sûr, on peut en discuter, mais on n’ira jamais plus loin que le podium. « Demain c’est loin » est un immense classique. Pas un tube non, un morceau de choix, un acte de bravoure, un espace de liberté incroyable, un titre qui frappe sec, un titre qui dit tout en neuf minutes pile, sans refrain. AKH lui-même a reconnu un jour que Demain c’est loin était le plus beau morceau qu’IAM n’ait jamais écrit, rappé ou simplement réalisé. C’est une gifle, que dis-je, un coup de boule, un coup de poing dans la gueule, 9 minutes intenses, intègres, vraies, pertinentes, émouvantes… N’en jetez plus ! Surtout, on sent que AKH et Shurik’N en avait encore sous la semelle et que s’ils s’étaient écoutés, ils en auraient écrit pour des heures tellement tout semble fluide et couler de source. Et pourtant, le texte n’est pas si évident que cela mais il explique si bien la vie des quartiers que l’on pourrait le mettre tel quel dans un livre tant il vaut mieux que de longs discours. IAM ne juge pas, ils racontent et ils le font tellement bien que l’on ne peut que s’incliner devant tant de talent et de brio. Comme le clip est du même niveau, on est en face d’un bijou intemporel, tout simplement…

« Regarde la rue, ce qui change ? Y’a que les saisons/Tu baves du béton, craches du béton, chies du béton/Te bats pour du laiton, est-ce que ça rapporte/Regrette pas les biftons quand la bac frappe à la porte/Trois couleurs sur les affiches nous traitent comme des bordilles/C’est pas Manille ok, mais les cigarettes se torpillent/Coupable innocent, ça parle cash, de pour cent/Œil pour œil, bouche pour dent, c’est stressant »

« Reste underground »

Souvent critiqué par une frange de pseudo puristes considérant le groupe comme des vendus qui, forts de leur succès commercial avec le morceau « Je Danse Le Mia », se retrouvaient à faire les pantins comme par exemple chez Christophe Dechavanne. IAM a souhaité ici remettre les pendules de la street crédibilité à l’heure, le morceau étant donc une réponse direct à tous les reproches qui leur sont alors adressés. Véritable morceau à charge, le groupe tourne au ridicule toutes ces prises de positions critiques, jouant avec humour sur le double sens du mot “underground” dans le refrain. Le morceau aura été pris très personnellement par le groupe NTM qui s’est alors senti visé par le texte (cf. leurs explications dans le magazine les Inrocks) puis sera par la suite repris par Sheryo et Ekoué de La Rumeur dans un morceau au nom évocateur “Je reste Underground” dans lequel tour à tour les deux MC’s s’en prennent violemment à Akhenaton. Le morceau reste néanmoins toujours d’actualité puisque le débat underground / mainstream agite toujours autant le rap français sur les réseaux sociaux et ailleurs et permet au groupe une fois de plus de prouver qu’il a su rester droit dans ses baskets et qu’il ne doit de comptes à personne.

« Je me marre quand j’entends la question :/ »Est-ce que le succès ne vous monte pas un peu au citron ? »/Peut-être en ont-ils pris l’habitude de la part d’autres gens/Mais qu’ils calment leurs inquiétudes/Qu’ils attendent un peu avant d’émettre une opinion hâtive/Il faudrait nous connaître, c’est tellement facile de médire sur autrui »

« Sad Hill »

Titre faisant office d’introduction à l’album du même nom de DJ Kheops sorti en 1997, l’auditeur est ainsi immédiatement plongé dans l’univers complètement original de l’opus, puisant ses références dans le film culte Le Bon, La Brute et Le Truand. Freeman, AKH puis Shurik’n y posent chacun leur tour un couplet plein d’énergie et de références à la fois au film de Sergio Leone avec Tuco et Sentenza mais aussi l’univers de Tom Sawyer avec le personnage de Joe L’Indien. Si l’auditeur n’a pas eu la chance de visionner le film avant de découvrir ce morceau, le texte peut laisser perplexe. Pour autant ce morceau est un véritable hommage à cet univers des westerns des années 60 et le travail d’écriture y est d’une grande qualité comme souvent avec le groupe marseillais. Plus de cinq minutes de rap qui claque, entre storytelling et égo trip imaginaire, une instru magistrale signée par l’orfèvre du groupe, font de ce morceau – un peu à part – une pièce supplémentaire à l’édifice du groupe.

« Ma fonction : débusquer les coups et pratiquer ma ponction/Cauchemar des padre champion de l’extrême-onction/Flingue les bourragas pour une poignée de mula/Propre impec’ net nez crochu yeux tirés (au bout là)/J’irai à pied à Sad hill s’il le faut/Creuser la terre avec mes dents pour toucher le magot/Et si la prime brille au bout d’un désert/Mec j’en traverse un/Renverse un peu de bière pour ces crétins sous mon traversin »

« Manifeste »

Présent sur le légendaire premier album solo de Shurik’n Où Je Vis, le titre du morceau porte ici bien son nom. La légende veut que ce titre ait été écrit dans la nuit suivant le résultat des élections législatives de 1997 où le FN empocha 30% des suffrages sur Marseille. Le premier couplet d’AKH est d’une virulence rare, énonçant tour à tour des statistiques au sujet de l’immigration, des votes FN au sein de la cité phocéenne, des taxations étatiques sur les plus pauvres ainsi que sur les droits d’auteurs d’Akhenaton. Jamais l’artiste n’avait évoqué autant de chiffres dans un couplet, donnant l’impression d’assommer son auditeur avec toujours plus de stats accablantes. Mais au-delà des chiffres, ce qui surprend c’est la violence du texte, présentant un Chil écoeuré par la situation de sa ville, à deux doigts de la révolte physique. C’est donc bien un véritable manifeste que nous offre l’artiste en affichant clairement son point de vue face à la montée inévitable d’une extrême droite opportuniste. Face à cette virulence, le couplet de Shurik’n semble vouloir prendre du recul même si le constat est tout aussi amer, la position semble plus réfléchie et modérée. Un refrain qui affirme la volonté des deux MCs de ne jamais cesser le combat qui laisse également la place à une double interprétation sur les vers d’AKH. Un morceau des plus politiques avec une production oscillant entre la mélancolie des cordes et la dureté du breakbeat. Intemporel.

« On est les seuls à croire au Père Noël jusqu’à 30 ans, vieux/80% des gens portent le triple 6 en eux/Marcher sur la tronche des autres/Pour une vie glauque et 300 types/Possèdent 50% des richesses du globe/C’est normal, leurs pantins ont l’index sur un bouton/Et ce putain de peuple broute comme un mouton/Chez moi, la flamme fait 30%, attends/Je fais mes comptes, et ça veut dire/Qu’y a minimum un type sur 3 qu’on devra claquer »

« Noble art »

Forts de leur premier featuring avec les Sunz of Man (dont tous les membres sont affiliés au Wu-Tang Clan) sur le morceau culte « La Saga », IAM remet ici le couvert cette fois avec les deux MCs de légendes Method Man et Red Man dans un morceau dans la plus pure tradition Hip-Hop! Un beat de fou, des couplets feu-follets remplis d’énergie positive, des scratchs, bref tout y est! On sent l’énergie folle et la ferveur que chaque artiste a mis dans ce morceau qui transpire la sincérité vraie. Le clip associé sous forme d’animé est également une réussite pour ce morceau présent sur un album qui lors de sa sortie ne fut pas apprécié à sa juste valeur tant les attentes du public étaient fortes.

« Plutôt warrior comme Holly Field, ma poésie prolifique/Base mes origines au rap qui horrifie, la masse/Qui crache des orifices, la haine de l’habit comme/On hait l’uniforme, pas l’homme et la forme de nos rimes horripile/Le poids des maux tue les clavicules, et les choix que l’Etat »

« La Fin De Leur Monde »

Difficile là encore de résumer un morceau de  la puissance de « La Fin De Leur Monde ». Prenez le non moins légendaire « Demain C’est Loin », changez la focale de l’objectif du réglage “Analyse de la vie de quartier” à “Observatoire des injustices du monde” et vous obtenez ce morceau fleuve de plus de dix minutes, sans refrain, rigoureusement sur le même modèle que son grand frère. Sorti en 2006 sur l’album solo d’Akhenaton Soldat De Fortune, le morceau a fait l’effet d’une bombe. Vous n’en avez jamais entendu parlé? Peut-être à cause des thèmes évoqués qui sont difficilement compatibles avec une diffusion sur une radio même spécialisée. Tout le monde en prend pour son grade: religieux aveuglés par leur fanatisme, dictateurs massacrant des populations, dirigeants de grands pays trempant leurs deux mains dans le sang, jeux de guerres… bref, tout ce que le monde possède de pire est ici dépeint avec une précision, une justesse des mots et des images, qui glacent littéralement le sang. L’analyse de ce texte pourrait tenir en des dizaines de pages tant le nombre de sujets abordés ainsi que les techniques d’écritures en font un morceau référence. Le fatalisme et le pessimisme de Shurik’n et d’Akhenaton atteignent un niveau jamais encore perçu chez eux et laissent groggy l’auditeur tant l’intensité du texte retient l’attention dans ce morceau fleuve. Si vous ajoutez les images aux mots, vous obtenez alors son clip associé, pêle mêle d’images illustrant chaque propos jusqu’à en donner la nausée. Le clip a naturellement été de nombreuses fois censuré non seulement pour la violence de son contenu mais également pour le nombre de dénonciations qu’il illustre. Pour toutes les personnes voyant encore IAM comme un groupe de privilégiés vivant dans un autre monde, ce morceau devrait permettre de réaliser à quel point ce groupe a su garder en tout temps son intégrité et sa ligne de conduite. Tout simplement admirable.

« Et pendant ce temps là, certains amassent des sous par grosses bennes/Devine qui est ce qui creuse mais avec des plus grosses pelles/Quand est ce qu’on y arrive ? Là où le bonheur désaltère/Où l’futur se construit, sans cris, sans mecs à terre/Ni de centrale en fuite, rien sur le compteur Geiger/Et finalement conscient qu’ici, on est que locataires/Tu parles d’une location, regarde un peu ce qu’on en a fait/Quand le vieux fera l’état des lieux, on fera une croix sur la caution/On aurait dû le rendre comme on nous l’a donné/Clean, sans tâche, et innocent comme un nouveau né »

JuPi

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